Une Expédition en Corée (1866)
Par M. Henri Zuber, Ancien Officier de Marine.
Published in Le
Tour
du monde illustré, 1873. T. XXV, p. 401 - 416
Embarqué
sur la corvette Primauguet,
commandée par le capitaine de vaisseau Bochet, un
digne, vaillant et infatigable officier que la marine a
malheureusement perdu depuis, j’ai eu la bonne fortune, assez
rare aujourd’hui, d’aborder sur des côtes encore
inexplorées et de visiter un peuple presque inconnu. Je
me propose de raconter ici ce que j’ai vu pendant cette
expédition.
Le lecteur
me pardonnera de faire préceder mon récit d’un
aperçu général de ce pays de
Corée, qui a aussi joué son rôle dans
l’histoire du monde et où l’on trouvera sans-doute, par
la suite, la clé de bien des problèmes.
La
Corée est une vaste presqu’île comprise entre les
parallèles trente-quatre et quarante-deux de latitude
septentrionale, et les cent vingt-troisième et cent
vingt-septième méridiens de longitude orientale.
Elle est
limitée au nord par le fleuve Hap-nok-Kang, qui la
sépare de la province chinoise du Leao-Tong, et par un
massif de montagnes nommé Paik-tou-san (mont au Sommet
Blanc), à l'est et au sud par la mer du Japon, enfin
à l'ouest par le golfe de Pet-tchi-li ou mer Jaune.
Une grande
chaîne de montagnes d'où sortent cinq fleuves et
une grande quantité de rivières
généralement dirigées vers l'ouest, court
parallèlement et à peu de distance de la
côte orientale, en donnant naisance à plusieurs
ramifications importantes. Ces montagnes, dont plusieurs sont
d’anciens volcans, ont une très-grande
élévation et—peut-être—un manteau de neige
pendant la plus grande partie de l’année. Voici,
à ce sujet, comment un document indigène
décrit la montagne Paik-tou-san :
“Il est
impossible de mesurer la hauteur de la montagne Paik-tou-san.
Un lac se trouve au sommet; l’eau en est noire et l’on n’en
peut mesurer la profondeur. Il y a de la neige et de la glace
jusqu’à la quatrième lune (fin de mai). La
blancheur s’en fait remarquer de loin et le sommet ressemble
à un grand vase blanc. Il est déchiqueté
comme un vase dont l’ouverture serait tournée vers le
ciel. Le cratère est blanc à l’extérieur,
et rouge avec des veines blanches à l’intérieur.
Du côté du nord, il en sort un ruisseau de un
mètre de profondeur qui tombe en cascade et forme la
source du fleuve Heuk-yeung (Dragon Noir). A trois ou quatre
lis (mille deux cents à mille six cents mètres)
du sommet de la montagne, le Heuk-yeung se divise en deux
branches, dont l’une est la source du fleuve Hap-nok-kang
(Canard Vert).
La
superficie de la Corée est d’environ deux cent seize
mille kilomètres carrés et le nombre de ses
habitants est évalué à huit ou neuf
millions [*Un recensement datant de 1793 donne pour la
population de la Corée le chiffre de 7,342,341. Les
hommes étaient alors au nombre de 3,596,860 et les
femmes au nombre de 3,745,481]. La population moyenne est donc
à peu près de trente-six personnes par
kilomètre carré, ou la moitié de ce
qu’elle est en France. Mais cette population est, comme dans
tous les pays de montagnes, très-inégalement
répartie. Assez dense dans les grandes vallées,
et surtout près de la côte occidentale, elle est
rare à l'est et devient presque nulle dans les
provinces du nord. Dans ces dernières, le manque
d’habitants ne tient ni à la rigueur du climat, ni
à l’ingratitude du sol qui est au contraire fertile,
mais bien à un acte politique. En effet, le
gouvernement coréen a dans cette région
supprimé quatre villes et créé un
désert frontière destiné à le
protéger contre les invasions tartares. Cette
barrière n’est ni plus efficace ni moins
singulière que la grande muraille; les deux se valent
en fait d’absurdité.
Quoique
comprise entre les mêmes parallèles que l’Asie
Mineure, la Corée est loin de jouir d’un climat aussi
doux. Ainsi que dans toutes les contrées avoisinantes,
les températures sont extrêmes.
L’été est chaud et très pluvieux, tandis
que l’hiver est sec et froid. C’est pendant cette saison que
les vents du nord-est, qui ont passé sur les steppes
glacés de la Mongolie, soufflent avec le plus de
violence. Les plus beaux mois de l’année sont ceux de
septembre, octobre, novembre et décembre.
La
Corée est divisée actuellement en huit
provinces, dont voici les noms :
1.
Kieung-kei-to.
2.
Tcheoung-tchieung-to.
3.
Tjieun-lo-to.
4.
Kieung-sang-to.
5.
Kang-ouen-to.
6.
Houng-hai-to.
7.
Ham-kieung-to.
8.
Pieung-an-to.
Chacune de
ces provinces, très-inégales en importance, est
administrée par un gouverneur, sorte de préfet,
qui a sous ses ordres un nombre de mandarins
proportionné à celui des villes de la province.
Le
gouvernement de la Corée est la monarchie absolue
héréditaire. Le conseil du roi est
composé de trois ministres supérieurs, et de six
ministres inférieurs chargés chacun d’un
département répondant à peu près
aux nôtres. Le roi reconnait la suzeraineté du
Fils du Ciel et lui paie ou doit lui payer un tribut. Chaque
année, deux ambassades se rendent à
Pékin. La première va chercher le calendrier, ce
qui, soit dit en passant, ne fait pas honneur aux astronomes
coréens; la seconde, qui doit arriver dans la capitale
de la Chine vers le premier jour de l’an chinois, porte
à l’empereur les voeux et les présents de son
vassal. Chaque année aussi, un grand marché se
tient sur la frontière, dans le petit village de
Foung-pien-men; les Coréens y apportent de superbes
fourrures, la fameuse racine de genseng, si recherchée
des Chinois, et divers autres articles que l’on échange
contre les produits industriels du Celeste-Empire. Un commerce
sans importance se fait aussi avec le Japon. Ce sont là
les seules relations que la Corée entretienne avec ses
voisins. Il n’en a pas toujours été ainsi, et
cet état de choses n’existe que depuis le
dix-septième siècle ou même
postérieurement. Il ne s’est établi qu’à
la suite de très-constantes relations tantot
pacifiques, tantot hostiles, avec la Chine et le Japon.
Ainsi la
Corée, grâce à sa position
géographique, a joué le rôle
d’intermédiaire entre le Celeste-Empire et celui du
Soleil Levant; elle ne semble pas en avoir suffisamment
profité, car son état actuel de civilisation ne
peut être mis au même rang que celui de ses
voisins.
C’est au
premier siècle avant Jésus-Christ que les
Coréens se mirent en rapport avec les Japonais; le fils
même du roi de Sin-ra, qui regnait sur la partie
méridionale de la péninsule, se rendit
près du mikado. Dans les siècles suivants, les
ambassades coréennes introduisirent successivement au
Nippon les livres de la philosophie et des sciences chinoises,
plusieurs industries et certains animaux, entre autres le
cheval. Une guerre survint avec la Chine. En l’an 12 de notre
ère, les Coréens furent défaits par
l’empereur chinois Sin-wang, et leur prince fut
déclaré déchu du trone, mais vingt
années plus tard la royauté fut rétablie
par l’empereur Kouang-wou-ti. Les hostilités alors
recommencèrent et à plusieurs reprises les
Coréens ravagèrent le Leao-tong. Le
troisième siècle fut plein de revers pour la
péninsule. En l’an 200, pendant une guerre civile due
à la rivalité de deux frères de race
royale, l’impératrice japonaise Zin-ko débarqua
sur la côte du royaume de Sin-ra, battit les troupes
chargées de l’arrêter et imposa un tribut. En
246, les Chinois, à leur tour, sont vainqueurs des
Coréens, qui font leur soumission; presque en
même temps, les Japonais s’emparent de toute la partie
méridionale de la presqu’île. Au siècle
suivant, un homme appelé Kao, originaire du pays de
Fou-yu, situé au nord-ouest de la péninsule,
usurpe le pouvoir et fonde probablement l’unité du
royaume de Tcho-sen (Extrême Orient), qui prend alors le
nom de Kao-li. [*D’où sans doute vient le nom de
Corée adopté en Europe.]
La
possession du trône est disputée aux descendants
de Kao, mais son petit-fils reste définitivement le
maître. Le cinquième siècle n’est
marqué par aucun évènement d’une
importance capitale. Pendant toute sa durée, les
Coréens et les Japonais sont en relations tantôt
amicales, tantôt hostiles; Ils échangent
fréquemment des ambassades. En 552, le bouddhisme est
importé au Japon. Dix ans plus tard, les guerres
recommencent et continuent pendant longtemps du
côté de la Chine et du côté du
Japon, avec des alternatives de succès et de revers. En
663, la Corée se débarrasse
définitivement des Japonais, et depuis lors les
relations entre les deux pays perdent considérablement
de leur importance politique. Enfin en 637 la Corée est
de nouveau envahie et soumise par les Chinois; depuis cette
époque, ce pays s’est presque complètement
isolé de ses voisins et n’entretient avec eux que les
relations très-restreintes dont il a été
parlé plus haut. [*Nous devons cet aperçu
historique aux très-obligeantes communications de notre
savant orientaliste M. Léon de Rosny.]
La
Corée n’est encore connue des Européens que par
les livres chinois, la relation d’un naufragé
hollandais qui subit une année de captivité dans
la capitale, et quelques courts récits de missionnaires
et de navigateurs. C’est assez dire que ce pays, quand il sera
accessible aux puissances maritimes de l’Occident, offrira un
vaste champ aux investigations des savants et aux explorations
des voyageurs. Malgré sa situation favorable au point
de vue stratégique, malgré son climat salubre,
la Corée est restée à l’abri des
convoitises européennes et en dehors des combinaisons
politiques. Au moment où une partie de l’Europe avait
les yeux fixés sur la Chine et le Japon, qui venaient
de s’ouvrir au commerce extérieur, le nom même de
la péninsule n’était pas prononcé.
Personne, sauf peut-etre les Russes, ne pense à
s'introduire dans cette contré mystérieuse,
vierge du contact des barbares. Mais si la diplomatie n’avait
pas voulu s’en occuper, il n’en etait pas de même de
l’apostolat catholique, toujours à la recherche de pays
nouveaux où il puisse répandre sa foi.
Les
premiers missionnaires entrèrent en Corée vers
l’an 1820, et y vécurent paisiblement jusqu’en 1839.
Cette
dernière année fut dure, et pour le pays
afligé d’une famine, et pour la mission, dont trois
membres furent mis à mort. L’oeuvre de propagande n’en
continua pas moins avec assez de succès pour que,
pendant les années suivantes, de nouvelles
persécutions fussent ordonnées contre elle. En
1847, le gouvernement français résolut
d’intervenir et envoya à cet effet en Corée la
frégate la
Gloire et la corvette la Victorieuse.
Malheureusement, ces deux bâtiments, munis de
renseignements insuffisants, firent naufrage. Les
équipages, pourvus d’armes et de provisions, purent se
réfugier sur un îlot de l’archipel Ko-Koun. Ils
attendirent là les secours que deux courageux officiers
étaient allés chercher à Shang-hai et
furent bientôt recueillis par les navires de la station
anglaise.
En 1856,
l’amiral Guérin, commandant la Virginie, fut plus
heureux: il découvrit le golfe du Prince Jérome
et l’archipel du Prince Impérial; mais ses recherches
pour trouver un chemin conduisant à la capitale
coréenne restèrent sans résultat, et il
dut quitter les côtes de la péninsule sans avoir
rien obtenu des indigènes. J’ai pu constater
moi-même combien il a fallu à l’amiral
Guérin d’énergie et d’habileté pour faire
cette expédition avec un bâtiment à
voiles. Tout était rentré dans le calme et
personne ne songeait plus à la Corée, quand, au
mois de mars 1866, on apprit en Chine que, dans l’espace d’un
mois, neuf missionnaires avaient été mis
à mort. Cet évènement succédait
à une tentative des Russes pour fonder un
établissement sur la côte orientale. Au dire des
missionnaires survivants, le prince régent, qui est le
père du jeune roi, fils adoptif de la reine Tso, avait,
au moment de la venue des Russes, fait mander Mgr Berneux. II
voulait le consulter sur les mesures à prendre pour
éloigner les barbares sans provoquer une guerre.
La-dessus, les Russes s’étaient spontanément
retirés et le régent, complètement
rassuré de ce côté et n’ayant plus besoin
des conseils des missionnaires, avait aussi résolu de
se débarrasser d’eux.
Le 8 mars,
MM. Berneux, de Bretennières, Dorie et Beaulieu eurent
la tête tranchèe; le 11, ce fut le tour de MM.
Petit-Nicolas et Bourthié; enfin le 30, MM. Daveluy,
Huin et Aumaître augmentèrent la liste des
victimes européennes de cette persécution, qui
s’exerca aussi, mais avec moins de rigueur, sur les
indigènes convertis. Trois missionnaires, MM.
Féron, Calais et Ridel, échappèrent
à toutes les poursuites.
M. Ridel,
qui parvint à gagner la côte de Chine à
l’aide d’une frêle embarcation montée par onze
néophytes, fit connaître les tristes nouvelles
que l’on vient de lire. Dès que le commandant de la
division navale des mers de Chine fut informé de ces
faits, il résolut une expédition militaire. Mais
une révolte en Cochinchine, qui necessita le secours de
la frégate amirale, retarda cette expédition
jusqu’au mois de septembre. C’est de cette petite campagne
dans l’un des pays les moins connus de l’Orient que je me
propose d’entretenir les lecteurs. Je passerai
légèrement sur les faits militaires, pour
m’attacher plus particulièrement à la partie
géographique et pittoresque.
Le 12
septembre 1866, la division navale des mers de Chine,
commandée par le contre-amiral Roze, était
réunie devant la petite île de Kung-Tung,
située en face du port chinois de Tche-foo. On y
déployait la plus grande activité pour
compléter les approvisionnements et faire les derniers
préparatifs. Le 18, trois bâtiments de la
division, la corvette Primauguet,
commandant Bochet, portant pavillon de contre-amiral, l’aviso
Déroulède,
capitaine Richy, et la canonnière Tardif, capitaine
Chanoine, appareillaient et se dirigeaient vers la côte
de Corée.
L’amiral,
avant d’engager tous ses bâtiments dans les dangers
d’une navigation incertaine, avait voulu se rendre un compte
exact des difficultés qu’il y aurait à
surmonter. Dès le lendemain à midi, il reconnut
les Iles Ferrières, determinées par l’amiral
Guerin, et le soir, après avoir heureusement franchi
toutes les passes, on mouilla dans le fond du golfe du Prince
Jérome. Une petite île aride et inhabitée,
voisine du mouillage, reçut le nom de
l’Impératrice et servit de point de départ
à toutes les opérations maritimes
postérieures.
Le jour
suivant, le Déroulède,
ayant à son bord le P. Ridel et quelques-uns des
Coréens qui avaient accompagné le missionnaire
en Chine, fut envoyé à la recherche de
l’embouchure du Han-kang. Grace aux indigènes, sa
mission fut en peu d’heures parfaitement remplie. Il revint le
21 au soir, muni des plus précieux renseignements.
Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de jeter un
rapide coup d’oeil sur la topographie de cette partie de la
Corée.
Le fleuve
Han-kang prend sa source dans les grandes montagnes de l'est
et coule généralement dans la direction du
nord-ouest. La capitale, Séoul, est située sur
la rive droite, à dix lieues de l’embouchure. Avant de
se jeter dans la mer, le fleuve est divisé en deux bras
par l'île de Kang-hoa, dont la superficie est de quatre
cents kilomètres carrés. L’un des bras,
inaccessible aux navires européens, coule droit
à l'ouest; l’autre, que les indigènes nomment
très justement « Riviere
Salée », puisque l'eau en est
complètement saumâtre, est dirigé du nord
au sud. Il débouche dans une série d’archipels
qui, sur l’étendue de douze lieues séparant
l'île de Kang-hoa du golfe du Prince Jérome, ne
comptent pas moins de cent quarante-deux îles ou
îlots. Quand on saura que les courants de marée
atteignent souvent dans ces parages la vitesse de sept milles
à l’heure, on appréciera sans peine les
difficultés qu’y rencontre la navigation. Heureusement,
à marée basse, une grande quantité de ces
îles sont reliées par d’immenses bancs de vase
grise qui sont d’un aspect fort triste, mais qui permettent de
deviner les passes. Grâce à ces dépots du
fleuve, on risque moins de se perdre dans cet effrayant
labyrinthe maritime; mais il est à craindre que
l'accès du Han-kang devienne de plus en plus difficile
pour les bâtiments d’un certain tonnage.
Le 22
septembre, les trois bâtiments, guidés par le
Déroulède, s’engagèrent dans le
chenal, en gouvernant au nord. De tous côtés les
Coréens s’assemblaient au sommet des collines, et
contemplaient sans doute avec un mélange d’admiration
et de crainte ces puissants navires à vapeur, d’un
aspect si nouveau pour eux, qui remontaient un courant contre
lequel aucune jonque n’aurait osé lutter. Un peuple qui
vit volontairement dans l’isolement et y puise une idée
exagérée de sa valeur, doit faire de
singulières réflexions quand une des merveilles
de la science européennc se montre inopinément
à lui.
La vue
était assez monotone: à notre droite, les
montagnes arides et brulées de la côte se
dessinaient sur un cicl d’une admirable pureté;
à notre gauche, un défilé ininterrompu
d’îles laissait rarement entrevoir l’horizon. De temps
en temps un bouquet d’arbres couronnait une colline; les
petits bois, sacrés aux yeux des Coréens, sont,
suivant la légende, habités par les genies
protecteurs du pays. Quelques hameaux,
généralement situés à l’abri des
vents de nord-ouest, qui soufflent furieusement en hiver, se
trouvèrent sur notre route. Peu après avoir
dépassé le dernier de ces hameaux et
s’être engagé assez avant déja dans la
Rivière Salée, le Primauguet toucha
sur un banc de roches et perdit sa fausse quille. Cet
échouage, sans gravité d’ailleurs, interrompit
l’exploration, qui fut reprise le lendemain, cette fois par
les deux petits batiments seuls. La corvette resta au
mouillage près d’un charmant îlot, boisé
de la base au sommet.
Le Tardif et le
Déroulède arrivèrent, le 25, devant
le port de Séoul, sans avoir été
sérieusement inquiétés par la population.
On avait dû cependant surmonter de grands obstacles, et
les échouages n’avaient pas fait défaut. Mais la
récompense des efforts qu’il avait fallu faire et de
l’energie qui avait été dépensée
était belle: pour la première fois, des
bâtiments européens mouillaient devant la
troisième capitale de l’Extrême Orient.
Quelques
jonques, qu’il fallut disperser à coups de canon,
tentèrent de s’opposer au passage de nos
bâtiments au moment où ils touchaient au but. A
la suite de cet évènement, un mandarin qui
s’intitulait «l’Ami du peuple » apporta
à bord du Déroulède
un message n’ayant aucun caractère officiel. Le tour de
ce document nous parut assez caractéristique; en voici
la traduction:
«Maintenant
que vous avez vu la rivière et les montagnes de ce
petit royaume insignifiant, ayez la bonté de vous en
aller. Tout le peuple en sera content. Toutefois, si, en
jetant un dernier regard sur nous, vous vouliez
éloigner tout soupçon, tout doute de nos coeurs,
vous nous rendriez très-heureux. Nous osons, mille
fois, dix mille fois, vous implorer, et nous espérons
que vous vous rendrez à notre prière.»
Cette
humble supplique dénotait, de la part de la population,
et probablement du gouvernement, une grande terreur. On
rassura le mandarin, et les bâtiments ne firent en cet
endroit qu’un court séjour, pendant lequel on
exécuta des levées et des sondages. II fut
impossible de voir de près la capitale, distante de la
rive d’environ trois quarts de lieue. Mais, avec l’aide d’un
plan qui nous tomba plus tard entre les mains, avec les
récits des missionnaires et la vue de l’île et de
la ville de Kang-hoa, il nous fut facile de nous figurer
l’aspect de la cité capitale.
Séoul
est batie au pied de montagnes élevées, qu’on
aperçoit de très-loin en mer. Une muraille
percée de neuf portes entoure complètement la
ville, qui est traversée par un petit cours d’eau. Le
quartier, de forme rectangulaire, occupé par le palais
royal et les édifices du gouvernement est
séparé du reste de la ville par un mur et un
fosse. Là seulement se trouve un peu de luxe; la
cité proprement dite ne diffère des
misérabIes villages coréens que par
l’étendue.
Le
Déroulède et le
Tardif descendirent lentement la rivière, en
continuant leurs opérations hydrographiques et en
recueillant des observations de toute nature. Enfin, le 30
septembre, les deux bâtiments rejoignirent le Primaguet, apres
avoir essuyé une fusillade à la hauteur de
Kang-Hoa.
Pendant
ces quelques jours, la corvette, quoique immobile, avait eu
aussi ses aventures. Le soir même de son mouillage en
face de l'île boisée, elle se trouva
échouée sur un banc de sable. Ne connaissant
aucune des données relatives aux marées, on
avait mouillé par un fond de quinze mètres
à mer haute avec la persuasion qu’on était en
parfaite sûreté. A mer basse, il n’y avait plus
que quatre mètres d’eau. La mer avait donc marné
de onze mètres, quantité énorme,
même à l’équinoxe et la lune étant
en conjonction, comme c’était le cas. Le danger
était pressant. On manoeuvra immédiatement, de
manière à soutenir les flancs de la corvette;
les vergues furent rapidement installées en
béquille, malgré la profonde obscurité
qui rendait l'opération difficile et périlleuse,
et prêtait à la scène un caractère
assez dramatique. Grâce à l’activité que
l’équipage, formé déjà par une
longue campagne, déploya en cette circonstance,
l’échouage n’eut pas de suites funestes. Le flot
suivant permit à la corvette, qui avait assez triste
mine avec son gréement haché et sa mâture
dénudée, de changer de mouillage. On se promit
pour l'avenir de ne jeter l’ancre qu’à bon escient.
Dès
le 25, une grande jonque, de construction grossière et
tout à fait dépourvue de
l’élégante originalité qui
caractérise les navires chinoises, approcha du Prémauguet.
Elle était montée par un vieux mandarin tout
cassé et par une quarantaine d’hommes du peuple. Comme
on n’était pas encore en guerre ouverte, on permit
à tout ce monde de grimper à bord, en prenant
toutefois certaines précautions. Tandis que ces
indigènes examinaient avec une curiosité naive
les canons, les cordages, les compas, et s’extasiaient devant
la grosseur des mâts, le mandarin conversait avec notre
commandant par l’intermédiaire d’un cuisinier chinois.
Le fils du Celeste-Empire, habile à faire danser l’anse
du panier, savait le français. Il pouvait donc traduire
en sa propre langue les paroles de notre commandant et les
faire comprendre au mandarin par l’écriture. Le
caractère idéographique chinois est compris de
presque tous les peuples de l’Extrême Orient.
Grâce à ce système, cinq cents millions
d’hommes, de races et de nationalités diverses, parlant
des langues absoluement différentes, peuvent pourtant
se comprendre.
Je reviens
au mandarin, qui, après les premiers compliments
échangés, voulut absolument savoir pourquoi nous
étions venus en Corée. On lui répondit
qu’on avait uniquement en vue l’observation d'une
éclipse de lune qui devait, en effet, se produire dans
peu de jours. II ne parut pas satisfait de cette
réponse. On essaya en vain de le dérider en lui
faisant visiter tout le bâtiment. La machine cependant
excita son attention, et il demanda combien il fallait
d’hommes pour la faire tourner; on ne put, malgré de
louables efforts, lui faire comprendre que la vapeur d’eau
comprimée produit une force énorme, qui remplace
avantageusement les bras humains. La science n’est pas
toujours facile à vulgariser, même chez les
mandarins.
Tous les
jours suivants, les Coréens revinrent, et, voyant qu’on
ne leur faisait point de mal, ils perdirent toute
timidité, et dévoilèrent les nombreuses
lacunes d’une éducation négligée. Leur
manière d’être, en effet, est aussi
eloignée de la digne et exquise politesse japonaise que
de l'obséquiosité chinoise: ils sont grossiers,
indiscrets et fort malpropres. Ils eurent cependant la bonne
pensée de nous offrir des présents, entre autres
de gigantesques éventails dignes de Gargantua, et un
taureau que l’on eut toutes les peines du monde à
hisser à bord. On voulut offrir de l’argent en
échange de ces dons, mais on essuya un refus
catégorique. C’est pendant ces quelques jours
passés au mouillage que j’eus le mieux la
facilité d’examiner nos futurs ennemis. Je les voyais
chaque jour, tantôt à bord, tantôt à
terre, où ils examinaient curieusement et
contemplaient, avec un mélange de crainte et de
convoitise, les instruments dont je faisais usage pour des
levées hydrographiques.
Les
Coréens forment un rameau particulier de la race
mongolique. C’est aux Tartares qu’ils ressemblent le plus;
comme eux, ils ont le nez aplati, les pommettes saillantes,
les yeux légèrement obliques, la peau jaune et
les cheveux très-noirs. Ils sont
généralement grands et très-vigoureux.
Leur agilité est extrême par suite de l’habitude
qu'ils ont de courir dans les montagnes qu’ils affectionnent
particulièrement, et sur le sommet desquelles ils se
réunissent souvent. Nous avons eu plusieurs fois des
preuves de cette agilité, dans les engagements qui
eurent lieu plus tard. Leur caractère est doux et leur
esprit peu cultivé, quoique presque tous sachent lire
et écrire. Ils mènent une vie
très-modeste; ils se nourissent principalement de riz,
qu'ils cultivent en grande quantité, et de poisson
salé et séché. Leur costume est, pour les
hommes du peuple, uniformément composé d’un
large pantalon attaché en bas audessus de la cheville,
et d’une longue robe munie de manches à gigot et
sérée à la ceinture. Ces vêtements
sont en cotonnade blanche, fabriquée dans le pays. Les
cheveux des hommes mariés, relevés sur le sommet
de la tête, sont tordus en chignon et maintenus par un
serre-tête en fils de bambou très-fins,
semblables a du crin. Un large chapeau, également en
fils de bambou, repose sur la tête, qui n’y peut entrer;
il est fixé au moyen d’un ruban qui s’attache sous le
menton; les jeunes célibataires se tressent une longue
queue, comme les Chinois, mais ils ne se rasent point la
tête. Les chaussures sont tantôt en paille,
tantôt en corde ; elles sont terminées sur le
devant par un petit bec relevé, d’un aspect assez
gracieux, Les mandarins et les nobles ont seuls le droit de
porter des vêtements de couleur, et la soie leur est
également réservée. Toutefois les femmes
en usent aussi, surtout pour les courtes vestes à
manches étroites qu'elles passent par-dessus les robes.
Le beau sexe de Corée a le bon sens de ne pas se
mutiler les pieds; la coiffure qu’il a adoptée ne
manque pas d’originalité : elle consiste à
séparer par derrière les cheveux en deux grandes
nattes roulées en turban autour de la tête; des
épingles, à tête d’or ou d’argent
émaillé, fixent la coiffure en la
décorant.
La
conditioin des femmes est plus heureuse en Corée qu’en
Chine: elles jouissent d’une certaine liberté, dont on
prétend qu’elles abusent d’ailleurs volontiers.
Le
bouddhisme est répandu en Corée, mais les
temples sont infiniment plus rares que dans les pays voisins.
Pendant tout notre séjour, nous ne vîmes que deux
pagodes, de très-simple apparence, tandis qu’en Chine
et au Japon on ne peut faire un pas sans rencontrer un
édifice du culte.
L’organisation
sociale de la Corée semble être un mélange
des institutions chinoises et des institutions japonaises. Une
noblesse héréditaire y jouit de certains
privilèges peu mérités, à ce qu’il
paraît, et la hiérarchie administrative et
militaire y est recrutée par voie d’examen. Nous ne
savons pas comment ces deux institutions peuvent marcher
côte à côte; mais il nous semble, a priori, que cet
état de choses doit donner lieu à bien des
conflits. La richesse ne se joint pas toujours à la
noblesse; l’on trouve, dit-on, plus d’un descendant d’antique
et illustre race qui n’a d’autre ressource qu’une sorte de
brigandage pour lequel on est très-indulgent: un
travail manuel déshonorerait absolument un noble. Deux
parties qui portent les noms de Sipai et de Piok-pai, et
correspondent dans un sens tres-restreint, cela va sans dire,
à nos partis libéraux et conservateurs, se
disputent sans cesse l’influence. Dans les dernières
années, les Piok-pai avaient le dessus.
Le 3
octobre au matin, les trois bâtiments
détachés de l’escadre la rejoignaient à
Tche-foo, après une exploration des plus hardies et des
plus fructueuses. Huit jours plus tard, toute l’escadre,
composée de sept bâtiments, se mit en route, et
arriva le 3, sans accident, devant la petite île boisee
dont il a été parlé plus haut. La se
firent les derniers préparatifs. Le lendemain, les
quatre bâtiments légers, traînant à
leur remorque des embarcations montées par les
compagnies de débarquement, s’embarquèrent dans
la Rivière Salée. Pour la seconde fois, les
Coréens aux robes blanches s’assemblèrent sur
les collines; une grande agitation régnait parmi eux,
et il y avait bien de quoi. On ne s’arrêta que devant le
village de Kak-Kodji, au port de Kang-hoa, situé tout
près de l’endroit ou le Han-Kang se divise.
La
Rivière Salée a une largeur moyenne de mille
mètres environ. Elle est semée de bancs et de
rochers, et forme plusieurs coudes, dont l’un est assez
accentué pour présenter de sérieuses
difficultés à la navigation; le courant y est
généralement très-fort.
La rive
occidentale, qui appartient à l'île de Kang-hoa
est garnie d’un bout à l’autre d’une muraille
crénelée flanquée de petits forts
généralement construits sur les
éminences. Bien défendu, ce passage serait
très-difficile à forcer. D’ailleurs, par la
suite, le grand nombre de fortifications, de poudrières
et de magasins d’armes que nous vîmes dans l'île,
nous prouva que celle-ci avait dû jouer un role
considérable dans l’histoire militaire de la
Corée. Le gouvernement du pays n’a nulle part
été économe en ce qui concerne la
défense. Ainsi la rive gauche du Hap-nok-kang est
couverte de forts sur une étendue de cinquante lieues.
Il en est de même de la côte sud-est qui fait face
au Japon et qui a été pendant si longtemps le
théâtre de nombreux et sanglants combats.
Un mandarin essaya en vain par ses gestes suppliants de
conjurer le débarquement, qui s’opéra sans
résistance de la part des Coréens. Ils prirent
la fuite, abandonnant leurs habitations, leur bétail et
la plus grande partie de leurs richesses. Peu après
l’installation des marins dans le village de Kak-Kodji, un
palanquin entouré d’une douzaine d’hommes se
présenta aux avant-postes. On conduisit tout le
cortège auprès de l’amiral. Un vieux chef sortit
alors du palanquin et se répandit en
récriminations; il fallut le renvoyer presque de force.
Je ne pus m’empêcher de rire en voyant la
singulière coiffure adoptée par les hommes de
l'escorte pour se préserver de la pluie qui tombait
à torrents. Sur leur chapeau ordinaire s’appuyait un
immense cône en papier huilé, sous lequel la
tête disparaîssait complètement. Si j’ai eu
un moment de gaîté en face de cette mode si
nouvelle pour moi, je n’entends pas la blamer, car elle me
semble très-pratique. Quand il fait beau, on tient son
cône de papier plié dans une poche; quand il
pleut, on le déploie sur son chapeau sans plus s’en
occuper. Ce système est certainement plus simple que le
nôtre.
Les habitations, lorsque
nous en primes possession, étaient d’une
malpropreté inimaginable; il fallut, pour les rendre
à peu près habitables, un travail qui rappela
à nos esprits classiques celui d’Hercule dans les
écuries d’Augias. Mais on ne réussit pas du
premier coup à chasser les nombreux,
très-nombreux parasites qui vivent aux dépens
des Coréens. Pendant les premières nuits que
nous passâmes dans le village, ces insectes
inexpugnables se chargèrent de venger leurs
légitimes propriétaires.
Le village de Kak-Kodji
occupe la base d’un petit massif de collines dont un des
côtes, tourné vers la rivière, est couvert
d’une très-belle forêt de pins. Au pied meme de
cette forêt, dans une situation des plus pittoresques,
s’éleve une pagode entourée de magasins qui, au
moment de notre arrivée, contenaient de la poudre et
une grande quantité d’armes. La pagode n’a
exterieurement rien de remarquable et l’intérieur ne
diffère guère de ce que l’on voit en Chine:
même statue du Bouddha en bois doré, même
autel surchargé d’ornements d’un goût douteux,
memes vases garnis d’énormes fleurs artificielles, en
un mot aucun indice qui puisse laisser supposer des
différences essentielles dans le culte. Je trouvai
cependant dans le temple un objet intéressant:
c’était une grande peinture sur soie mesurant environ
deux metres cinquante centimètres de chaque
côté. Au milieu était
représenté un Bouddha assis à l’orientale
sur la fleur de lotus; une gloire entourait sa tête,
d’un type très-pur; un grand cercle s’arrondissait
autour du corps, assez heureusement drapé dans un
vêtement rouge qui laissait à découvert
une partie de la poitrine et tout le bras droit. Autour de
cette figure principale venaient se grouper symboliquement les
bustes d’une quarantaine de personnages, également
ornés de la gloire et sans doute célèbres
dans les annales du bouddhisme. Les têtes, dont
quelques-unes portaient une sorte de coiffure en forme de
mitre, étaient peintes avec un soin minutieux et ne
manquaient point de caractère. Leurs expressions
très-variées allaient de l’extrême
férocité à l’extrême douceur. En
somme, cette peinture était une des plus remarquables
que j’eusse vues dans l’Extrême Orient. Il eut
été intéressant d’avoir une certitude
à l’égard de sa provenance, car la rareté
et la grossièrete des peintures et des sculptures en
Corée donne lieu de penser que l’art est loin d’y avoir
atteint le degré de perfection relative que l’on trouve
dans les pays voisins. Non loin de la pagode, le mur de
défense qui longe la rive est interrompu par une grande
porte en maçonnerie, surmontée d’un pavilion de
bois servant de corps-de-garde. Sur la terre ferme, juste en
face, s’eleve une construction semblable environnée de
quelques chaumières. Ces deux portes livrent passage
à la route qui relie Séoul à la ville de
Kang-hoa. Sauf le tracé, qui laisse beaucoup à
désirer en ce qu’il s’attaque trop franchement aux
obstacles, cette route n'est pas mauvaise. Son bon état
prouve que les relations entre les deux villes sont
considérables, ce qui d’ailleurs s’explique par
l’extrême fertilitê de l'île.
Du haut de la colline de
Kak-Kodji, que nous avions nommée la «montagne du
philosophe», parce qu’un indigène plus brave que
les autres continuait d’y vivre malgré notre
présence, la vue était magnifique, surtout le
matin. Pendant que le cantonnement s’animait et que les
fumées bleuâtres montaient droites dans l’air, de
beaux champs de riz, de blé, de maïs et de raves,
semés de bouquets d’arbres et de hameaux sortaient peu
à peu de l’ombre. Les séparations des champs,
formés de petites digues bizarremcnt arrondies et
enchevêtrées sans ordre, faisaient ressembler la
plaine aux jeux de patience des enfants et lui ôtaient
cette monotonie qu’engendrent nos lignes droites. Au bout de
la plaine, on voyait les murs de Kang-hoa, en partie
masqués par une saillie du terrain. Enfin, des
montagnes aux formes accentuées et des vallées
toutes brumeuses composaient le fond du tableau d’un ton chaud
et réjouissant.
Kak-Kodji est
environné de tombeaux; la colline en est presque
couverte. La plupart ne sont que des tumuli sans aucun
ornement, mais dans l’intérieur des petits bois de
chênes et de chataigniers on découvre souvent des
sépultures plus complètes, qui couvrent des
restes de mandarins ou de nobles. Les Coréens ont,
comme leurs voisins du Celeste-Empire, un profond respect pour
les tombes. Ce respect du repos des morts qui à la
longue absorbe beaucoup de terrain, est doublement
méritoire chez un peuple aussi cultivateur. Les travaux
des champs semblent en effet très en honneur chez les
Coréens. Les fermes sont nombreuses et bien
aménagées. J’en vis beaucoup et elles
étaient presque toutes disposées de même.
Quatre corps de logis en pisé couverts de chaume
comprennent une cour carée, quelquefois entourée
d’une véranda sous laquelle des instruments de travail
sont à l’abri. Du côte de la porte se trouvent la
meule, les instruments d’agriculture et les étables,
qui contiennent des boeufs, des ânes et des porcs de
race particulière. Le corps de logis du fond est
réservé aux maîtres. Il est divisé
en deux ou trois pièces par des cloisons de fort papier
tendu sur des chassis de bois. Les fenêtres, petites et
basses, sont également tendues de papier. La cuisine
est située au bout de ce batiment; l’âtre, de
grande dimension, est muni de vastes marmites de bronze; la
fumée, au lieu de s’échapper par une
cheminée verticale, s’engage dans des conduits
horizontaux qui passent sous le sol en terre durcie des
appartements et sort par une petite cheminée
élevée à l'autre bout du bâtiment.
Cette disposition, qui se retrouve dans la province du
Pe-tchi-li, constitue un moyen de chauffage économique
et assez efficace. Nous eûmes beaucoup à nous en
louer, car dès le mois d’octobre les froids
atteignirent trois degrés.
Les corps de logis des
côtés renferment les récoltes, des
provisions et un atelier de tissage. Souvent, une seconde cour
entourée d’un mur contient de très-grands vases
de faience remplis de diverses provisions, parmi lesquelles
nous signalerons particulièrement des choux et des
navets ayant subi un commencement de fermentation. Les
Coréens, qui, comme la plupart des peuples orientaux,
se nourrissent principalement de riz cuit à l’eau,
éprouvent le besoin de relever cette nourriture fade
par des aliments fermentés et des condiments
très-forts; le piment est l’objet d’une grande
cosommation. L’huile de colza, qui se trouve en abondance dans
toutes les maisons, sert aussi bien à l’eclairage
qu’à la préparation des mets, ce qui ne
contribue pas à rendre la cuisine coréenne fort
attrayante pour des Européens.
Le 16 octobre, la ville de
Kang-hoa fut prise malgré les nombreux étendards
aux couleurs éclatantes qui garnissaient les murailles
et étaient destinés à nous remplir de
terreur. Quelques soldats se firent tuer a leur poste, mais la
plupart des habitants avaient pris la fuite et aucune femme
n’était restée dans la ville. Seuls les
vieillards, comptant avec raison sur le prestige de leurs
cheveux blancs ou peut-être incapables de fuir,
demeuraient encore dans la cité terrifiée par
l’approche des barbares. Le premier aspect de Kang-hoa me
surprit et me charma par son originalité; les toits de
chaume lavés par la pluie brillaient au soleil comme de
l’argent et contrastaient vivement avec les tons rouges des
édifices publics et les couleurs des champs et des
arbres; des montagnes arides mais fort belles de formes, se
détachaient sur le ciel bleu en tons chauds et fins,
et, d’un autre côté, apparaissait l’horizon
foncé de la mer.
La ville compte de quinze
à vingt mille âmes. Les murs, hauts de quatre
à cinq mètres, s’étendent sur une
longueur de huit kilomètres. Dans l’intérieur de
l’enceinte se trouve, outre la ville, une assez vaste
étendue de terrain cultivé qui permettrait aux
habitants de se nourrir pendant un long siège. La
partie septentrionale de l’enceinte, dont le terrain a une
forte inclinaison, est occupée par le yamoun du
gouverneur et les édifices du gouvernement.
Le yamoun
domine tout: il se compose de plusieurs bâtiments
indépendants les uns des autres et
séparés par de véritables jardins
anglais, ornés de petits pavilions. Les constructions
sont élégantes et d’un aspect fort
agréable; les toits recourbés, faits de tuiles
grises vernissées, remplacent le chaume des pauvres;
les boiseries, ornées et peintes en rouge, tiennent la
place du pisé et les fondations sont en belles pierres
de taille; l’intérieur est décoré de
peintures et de sculptures; des nattes d’une extreme finesse
et d’un travail exquis couvrent les planchers. Les meubles
sont rares et ne répondent pas à ce que l’on
s’attend à trouver dans un palais; en revanche nous
remarquâmes une abondance d’objets et de vases du plus
beau bronze. La propreté était ici sinon
parfaite, du moins passable.
Au-dessous
du yamoun, de longs bâtiments, dont les uns sont
construits en pierre et les autres en bois, servent de
magasins du gouvernement. Il serait impossible
d’énumerer tout ce qu’ils contenaient au moment de la
prise. Outre les armes en énormes quantité,
canons se chargeant par la culasse, fusils à
mèche, javelots, haches, arcs, armures; outre la
poudre, les bougies qui semblent être l’objet d'un
monopole, les fers à repasser, etc. etc., on y trouva
beaucoup de livres et d’immenses approvisionnements de papier.
La plupart des livres, dont quelques-uns sont ornés de
peintures remarquables, figurent aujourd’hui à la
hibliotheque nationale de Paris. Ils sont presque tous
écrits en caractères chinois, quoique la langue
coréenne possède une notation propre, qui forme
un véritable alphabet, particularité qui ne se
rencontre dans aucun autre pays de l’Extrême Orient.
Quant au papier du murier, qui sert en Corée comme au
Japon, à une infinite d’usages, il était d’une
qualité extraordinairement belle et solide. On pouvait,
en tordant une petite bande, fabriquer une ficelle d'une
grande résistance. L’immense quantité de choses
nécessaires à la vie contenues dans ces magasins
fait penser que le gouvernement est le plus grand
négociant du pays, ce qui n’est certes pas à
l’avantage du peuple.
Au milieu
de la ville, s’ouvre une grande place, au bout de laquelle
s’élève une sorte de halle couverte. Un fouillis
de petites rues bordées de cases uniformes
s’étend tout autour de la place. Ce qui se remarque
tout d’abord, c'est l’absence de boutiques. Point de ces
écriteaux suspendus et vivement coloriés qui
donnent aux rues chinoises un aspect si animé et si
agréable, point de ces étoffes flottantes
couvertes de gros caractères, comme on en voit au
Japon. Ici tout est morne, une porte ressemble à la
suivante, et l’étranger ne peut trouver un
répère dans ce dédale. Toutes les
habitations ont un air triste qui fait peine; comme celles de
la campagne, elles sont bâties en pisé et
couvertes en chaume, mais elles sont plus
délabrées et plus sales. La vie, qui a
déserté la rue, s’est réfugiée
dans l’intérieur: là, en effet, on trouve des
magasins, des ateliers et des appartements d’un aspect
agréable. Les pièces réservées aux
femmes sont l’objet de soins particuliers; quelques-unes sont
de véritables boudoirs: on y voit des meubles de laque,
des nattes fines, des paravents ornés de peintures, des
chiffons, des pots de pommade et de fard, enfin, le
dirons-nous? des faux cheveux. Rien n’y manque pour prouver
que la coquetterie féminine est florissante dans la
presqu’île.
Un fait
qu’on ne peut s’empêcher d’admirer dans tout
l’Extrême Orient, et qui ne flatte pas notre
amour-propre, c’est la présence des livres dans les
habitations les plus pauvres. Ceux qui ne savent pas lire sont
bien rares, et encourent le mépris de leurs
concitoyens. Nous aurions bien du monde à
mépriser en France si l’opinion y etait aussi
sévère contre les illettrés.
Kang-hoa
est complètement dépourvue d’industrie
sérieuse. Nous vîmes bien quelques métiers
à tisser le coton, mais en nombre si restreint, qu’ils
devaient à peine suffire aux besoins des habitants.
Au sud de
la ville, une habitation de mandarin, bâtie sur une
éminence, attira mon attention par sa jolie situation
et le luxe de ses appartements. La soie, les fourrures, les
laques, les bronzes, les porcelaines, en un mot tous les
objets si recherchés des Européens,
remplissaient cette demeure, dont la richesse contrastait
péniblement avec la pauvreté uniforme des
chaumières du peuple. Faut-il conclure de ce contraste
que le simple mortel coréen n’a guère le droit,
ou du moins le pouvoir d’arriver à la fortune? Je suis
d’autant plus tenté de le croire que les récits
des missionnaires confirment cette supposition, et que ce qui
se passe dans l’Empire du Milieu a beaucoup de chance de se
produire aussi en Corée. La rapacité est le
défaut dominant des mandarins.
Une
immense quantité de vases en bronze, de la plus
charmante couleur et d’une sonorité incomparable,
était répandue dans la ville; les plus
misérables chaumières en possédaient. Ces
vases, dont certains ont de très-grandes dimensions,
ont presque tous la forme de bols, et servent à une
infinité d’usages. La profusion d'une matière
aussi rare indique que la Corée recèle de
grandes richesses minérales. Pour qu’à l’aide
seulement des procédés métallurgiques
très-primitifs sans doute employés par les
indigènes on puisse produire une pareille
quantité de metal à des conditions aussi
abordables pour tout le monde, il faut que le minerai soit
prodigieusement riche et abondant. Aussi paraît-il
certain que, dans les relations commerciales qui
s’établiront forcément un jour entre les nations
européennes et le peuple de la Corée,
l’exportation des metaux tiendra un grande place.
Le 18
octobre, un haut mandarin de la cour de Séoul
présenta au commandant en chef une lettre du roi. Je
transcris la traduction de ce document, qui ne me semble pas
absolument dépourvu de bon sens, mais où le roi
se fait la part un peu trop belle :
«Quiconque
renie la loi divine doit mourir.
«Quiconque
renie la loi de son pays mérite d’être
décapité.
«Le
Ciel a créé les peuples pour qu’ils
obéissent à la raison.
«Les
pays sont séparés par des frontières et
protégés par des lois.
«A
qui doit-on obéir? A la justice, sans aucune
restriction. L’homme qui la viole ne mérite point de
pardon. J’en conclus qu’on doit supprimer celui qui la renie,
décapiter celui qui la viole.
«De
tout temps, les relations avec les voisins et l’assistance
donnée aux voyageurs ont été
traditionnelles. Dans notre royaume, on montre encore plus de
prévenance et de bonté. Il arrive souvent que
des navigateurs ignorants de la situation et du nom du pays
touchent à nos côtes. Alors les mandarins de nos
villes reçoivent l’ordre de les accueillir avec
prévenance. On leur demande s’ils viennent avec des
intentions pacifiques; on donne des vivres à ceux qui
ont faim, des vêtements à ceux qui sont nus, et
on soigne les malades. Telle est la règle qui a
toujours été suivie dans notre royaume, sans
subir aucune infraction. Aussi la Corée, aux yeux de
tout le monde, est-elle le royaume de la justice et de la
civilisation. Mais, s’il se trouve des hommes qui viennent
pour séduire nos sujets, s’introduisent
secrètement, changent leurs vêtements et
étudient notre langue, des hommes qui
démoralisent notre peuple et renversent nos moeurs,
alors la vieille loi du monde veut qu’on les mette à
mort. Telle est la règle pour tous les royaumes, pour
tous les empires. Pourquoi alors vous formalisez-vous, puisque
nous l’avons toujours observée? N’est-il pas suffisant
que nous ne vous demandions pas compte des raisons qui vous
ont amenés ici des pays lointains?
«Vous
vous fixez sur notre sol comme si c’était le
vôtre, et en cela vous violez la raison d’une
façon abominable. Quand vos bâtiments, il y a peu
de temps, remontaient la rivière impériale, ils
n’étaient que deux; les hommes qui les montaient
n’étaient pas plus de mille. Si nous avions voulu les
détruire n’avions-nous pas des armes? Mais, par
bonté et à cause des égards que l’on doit
aux étrangers, nous n’avons pas supporté qu’on
leur fit du mal ou qu’on leur montrat de l’hostilité.
«C’est
ainsi qu’en franchissant nos frontières, ils prenaient
ou acceptaient comme ils le désiraient des boeufs ou
des poules, qu’ils allaient et venaient dans des embarcations,
qu’ils furent interrogés en termes polis. On leur fit
des cadeaux, sans les inquiéter d’aucune façon.
Par conséquent, vous vous montrez ingrats envers nous,
tandis que je ne le suis pas envers vous. Ceci ne vous suffit
pas; il vous était nécessaire de vous
éloigner; votre retour est malséant. Cette fois,
vous pillez mes villes, vous tuez mon peuple, vous
détruisez mes biens et mes troupeaux. Jamais on ne vit
le Ciel et les lois violés d’une manière plus
grave. De plus, on a dit que vous voulez répandre votre
religion dans mon royaume. Ceci est une faute. Les livres
différents ont leurs sentences particulières qui
présentent le vrai et le faux. En quoi nuit-il que je
suive ma religion, vous la vôtre? S’il est blamable de
renier ses ancêtres, pourquoi venez-vous nous enseigner
d’abandonner les nôtres et d’en prendre
d’étrangers? Si on ne devait pas mettre à mort
les hommes qui enseignent de telles choses, on ferait mieux de
renier le Ciel.
«Je
vous traite comme Yu et Tan traiterent l’Impie Kopey, et vous
vous revoltez comme Nysean-yean envers Tcheou-ouen. Quoique je
n’ose pas me comparer à ces rois
célèbres, cependant on ne peut pas passer sous
silence ma magnanimité.
«Tu
te montres maintenant ici avec une armée nombreuse,
comme si tu étais l’instrument de la justice
céleste. Viens à la cour; ayons une entrevue, et
nous déciderons s’il sera nécessaire de
réunir des troupes ou de les renvoyer, d’essayer de la
victoire ou de la défaite. Ne fuis pas: incline-toi et
obéis!
«La
cinquième année du règne de Toung-tchy,
la neuvième lune, le onzième jour.»
En
écrivant cette lettre, le régent avait
oublié les coups de fusil tirés contre le Tardif et le
Déroulède; il avait aussi oublié un
fait beaucoup plus grave: le massacre de l’équipage
d’une innocente goélette américaine, qui avait
eu lieu quelques mois auparavant.
Le porteur
du message royal avait fort bonne tournure. Il était
richement vêtu de soie; un vaste chapeau de feutre,
garni de plumes de paon et retenu par une sorte de chapelet en
boules résineuses alternativement blanches et noires,
couvrait sa tete, sa physionomie était assez
distinguée. Des bottes en entonnoir, comme on en
portait sous Louis XIII, et un grand sabre à longue
poignée, complétaient ce costume, dont
l’ensemble était vraiment fort élégant.
La trop grande familiarité dont ce personnage usa
envers un jeune matelot lui attira une très-vive
correction, et nous prouva en même temps que la bonne
éducation n’est décidement pas l’apanage du
Coréen, même dans les classes
élevées.
Après
le départ du mandarin, qui rapportait à son
maître une réponse défavorable, plusieurs
engagements eurent lieu avec les troupes coréennes. Ces
dernières se comportèrent bien, et firent preuve
d’habileté militaire et d’une certaine bravoure. Nous
pûmes constater, dans ces combats, que les arcs, les
javelots et les casse-têtes, trouvés en si grande
quantité dans les magasins de Kang-hoa, ne sont plus en
usage, et ont complètement cédé la place
aux fusils à mèche. Cette arme, terminée
par une crosse trop petite pour permettre d’épauler,
est d’un maniement difficile; il faut au tireur un parapet,
une embrasure, ou, en rase campagne, l’épaule d’un
autre homme pour appuyer son arme et lui donner une direction
convenable. Les canons coréens sont en
vérité peu redoutables, et quand leurs
projectiles atteignent le but, c'est tout à fait par
accident. Quelques soldats étaient revêtus
d’armures. Composées d’un casque de fer à
panache rouge, de brassards et de cuissards en cotte de
mailles, et enfin d’un grand vêtement double de plaques
de cuir bouilli superposées et réunies par de
gros clous, ces armures sont incapables de résister aux
balles.
Le corps
de débarquement occupa Kang-hoa et Kak-Kodji jusqu’au
11 novembre. Le temps de loisir que nous laissait le service
etait généralement consacré à la
chasse. Le gibier est respecté par les
indigènes, qui se soucient assez peu d’en manger; il
est, par suite, fort abondant. Les faisans, les oies, les
canards sauvages, les sarcelles, les pluviers, les ramiers,
etc., se succédaient sur nos tables, peu
accoutumées à un pareil luxe. Le gibier de poil
est, paraît-il, assez rare, et je ne sache pas que
pendant tout notre séjour un seul lièvre ait
été aperçu. Dans les montagnes de l'est
on trouve des loups, des renards, des ours et des tigres dont
les peaux sont fort célèbres en Chine. D’habiles
chasseurs font, malgré l’imperfection de leurs armes,
une guerre heureuse à ces animaux féroces, dont
les dépouilles alimentent principalement le commerce
d’exportation.
Je me
souviendrai longtemps, avec plaisir, de ces excursions dans
l'île de Kang-hoa. II faisait toujours un temps superbe;
l'air était légèrement chargé de
vapeur, et une magnifique lumière inondait les champs
et les bois, dont la brise emportait les feuilles jaunies.
Rien de bien nouveau ne s’offrait d’ailleurs à ma vue;
les cases se ressemblaient toutes, les habitants aussi, du
moins à l’exterieur, et je n’avais pas Ie pouvoir de
pénétrer leur caractère, qui semble doux.
Ces pauvres gens, revenus de la première terreur
qu’avait inspirée notre débarquement,
reprenaient peu à peu leurs travaux agricoles; quand
nous les rencontrions, occupés à couper le riz
ou à le réunir en grandes meules, ils se
prosternaient sur notre passage; arrivions-nous dans une
maison habitée, vite on nous offrait des caquis [*
Fruit très-abondant au Japan et en Corée, et
ayant le goût de la figue, avec l’apparence d'une petite
pomme.] et d’excellente eau fraîche, avec les
mêmes marques de profond, de trop profond respect. Il
était bien facile de voir, en effet, que ces
témoignages étaient dus à la peur. Tout
en nous disant qu'il fallait faire la part des moeurs et ne
pas être surpris de ces génuflexions
prodiguées sans doute à tous les mandarins, nous
ne pouvions nous empêcher d’être
péniblement affectés par tant de
servilité.
Le 22
novembre, l’escadre de Chine et du Japon quittait
définitivement la côte de Corée et chaque
bâtiment allait reprendre sa station
particulière. Le résultat qu’on avait
espéré de l’expédition n’avait point
été obtenu; un redoublement de
persécutions contre les chrétiens avait
coincidé avec le départ de l’escadre, et le
gouvernement Coréen avait répandu un manifeste
pour repousser et flétrir toute tentative de compromis
avec l’envahissement européen. On le voit, nous
n’avions pas eu le bonheur de nous faire aimer pendant notre
séjour. Trop souvent l’Europe se montre pour la
première fois aux peuples étrangers avec le
caractère de la violence et des prétentions
despotiques. Du moment qu’un pays n’a pas le bonheur de
posséder des télégraphes
électriques et que les principes de sa civilisation
diffèrent des nôtres, nous nous croyons permis de
violer à son détriment toutes les règles
du droit des gens. Il est surtout pénible d’être
amenés à verser le sang au nom des doctrines
pures et élevées qui, par leur nature
même, ne devraient jamais obliger de recourir à
ce triste et douteux moyen de persuasion que l’on nomme
« la force » .
Quoi qu’il
en soit, dans l’état de choses actuelle la Corée
ne peut tarder à s’ouvrir volontairement, ou sous
l’empire de la contrainte, au commerce occidental. Sa position
entre deux pays dont les relations s’étendent chaque
jour davantage et qui semblent avoir définitivement
renoncé au système d’exclusion, lui en fait
presque une nécessité. Il est difficile à
ceux qui ont le sentiment délicat et le goût de
l’art et de la variété, de ne pas
éprouvor d’abord et avant toute réflexion, un
certain regret en voyant les influences européennes de
toute espèce pénétrer partout.
Assurément la civilisation et la science ont tout
à y gagner, mais aussi les caractères des
peuples s’effacent et leur originalité se perd. Les
nobles Japonais ne s’affublent-ils pas déjà de
pantalons et de redingotes!
Il reste
sans doute encore bien du chemin à parcourir avant que
l’uniformité règne sur la terre, et les
contrées inexplorées sont encore assez
nombreuses pour répondre à tous les
désirs des voyageurs. Aussi laissons de
côté les vains regrets des hommes d’imagination,
pour exprimer le voeu que la France, renonçant à
son rôle trop désintéressé, prenne
une plus large part du mouvement commercial européen
qui tend chaque jour davantage à se répandre sur
le monde entier.
H. ZUBER.