Le Carillon du Boulevard Brune, 1re
année, numéro 11, Mai 1894. Hong-Tjyong-Ou Le courrier de Chine apporte au journal Le Temps des
détails complémentaires fort curieux sur le meurtre de
Kim-ok-Kium, le célèbre chef de la conspiration de 1884
en Corée. Kim a été tué de la main de Hong Tjyong-Ou, le
traducteur - en collaboration avec nous - de Printemps parfumé
et d'un roman japonais, Kou-NiNo, qui
paraîtra dans la Collection Nelumbo. Nous avons eu avec
Hong Tjyong-Ou des rapports personnels tout intimes et
l'on se figure le noir à l'âme où nous jeta l'affreuse
nouvelle d'une action qui paraît tellement inexplicable
et féroce. Il a fallu, en effet, pour exécuter son
crime, que Hong-Tjyong-Ou entrainât Kim-ok-Kium, de
Nagasaki (Japon), à Shang-Hal (Chine), et l'on se
demande quels moyens furent mis en œuvre pour cela,
quand on sait que Kim-ok-Kium était en Corée
l'adversaire implacable de la suzeraineté chinoise,
comme il était d'autre part, l'ami, le fidèle allié du
Japon. Kim, après l'échec de la révolution de 1884,
apres qu'une armée chinoise eut rétabli en Corée
l'ancien parti, Kim s'était réfugie au Japon, et il y
vivait depuis dix ans d'une pension du Mikado.
Hong-Tjyong-Ou avait été un des lieutenants de
Kim-ok-Kium en 1884; il avait gagné l'Europe, il avait
noblement vécu de son travail à Paris, étudiant les
institutions, les mœurs, les sciences, les industries,
les arts français dans le but d'aider au relèvement de
sa patrie. Il espérait, grâce à une civilisation
spontanée, sauver à la fois la Corée des convoitises
européennes et du joug des nations mongoles voisines. Il
a été trop notre ami, nous avons été trop puissamment
intéressés à la réussite de son œuvre pour ne pas faire
une enquête approfondie sur les motifs qui l'ont poussé
au meurtre de Kim-ok-Kium. Puisse-t-il être innocent,
puisse-t-il au moins trouver quelque excuse dans un cas
de lègitime défense ou d'exaltation patriotique! Nous
possédons les très vagues indices que voici. Arrêté
après le meurtre par les soins de la police européenne
de Shanghaï, Hong-Tjyong-Ou s'est réclamé de la justice
chinoise, prétendant n'avoir tué Kim-ok-Kium que sur les
ordres exprès du roi de Corée. Kim, aurait-il ajouté,
est un traître. L'excuse serait peu valable à nos yeux
si Hong-Tjyong-Ou n'a fait qu'obéir à son roi, s'il
n'avait pas des raisons personnelles de croire à la
perfidie de Kim-ok-Kium. Nous nous souvenons que
Hong-Tjyong-Ou nous parlait assez fréquemment de la
violence de Kim-ok-Kium, et des paroles suivantes de Kim
à Hong lors-qu'ils se séparèrent : M Hong, - dit Kim, - si jamais tu changes
d'opinion, je te tuerai! Or, Hong-Tjyong-Ou, au contact de la
civilisation européenne avait changé d'opinion. Il
n'espérait plus dans la violence, il n'admettait plus
l'intervention armée du Japon. A son retour au Japon,
a-t-il essayé de convertir Kim ? Kim s'est-il répandu en
menaces? A-t-il dénoncé Hong à la terrible vindicte
japonaise? A-t-il commis des actes ou prononcé des
paroles qui faisaient croire à de la haute trahison?
Hong-Tjyong-Ou s'est-il vu forcé de feindre pour sauver
sa vie? A-t-il rendu à Kim perfidie pour perfidie?
Telles sont les sinistres queslions que nous nous sommes
faites. Le temps les résoudra peut-être. Hong-Tjyong-Ou
nous a écrit du Japon avant le meurtre. Rentré en Corée,
admis dans les conseils du roi, ne tiendra-t-il pas à
honneur de se laver à nos yeux d'une action qu'il sait
que nous réprouvons; le bon, l'honnètè, le noble
Hong-Tjyong-Ou que nous avons connu, si charitable aux
pauvres vieux mendiants, si grand ennemi de toute
violence, poli, lettré, plein de poésie mélancolique,
voudra-t-il rester éternellement le perfide meurtrier de
Shang-Haï? Nous ne le croyons pas, et un passage de sa
dernière lettre nous donne même quelque assurance sur ce
point.
J. H. ROSNY. From: Le Carillon du Boulevard Brune, 1st
year, number 11, May 1894. Hong Tjyong-Ou Mail from China has brought to the
newspaper Le
Temps curious further details of the murder of
Kim-ok-Kium, the famous leader of the conspiracy in 1884
in Korea. Kim was killed by the hand of Hong Tjyong-Ou,
the translator – in collaboration with us – of Fragrant Spring
and a Japanese novel, Kou-NiNo, to be
published in the Nelumbo Collection. We had with Hong
Tjyong-Ou a close personal relationship and readers may
imagine the dark emotions inspired by the terrible news
of an action that seems so inexplicable and fierce. In
order to perform his crime, Hong Tjyong-Ou had first to
transport Kim-ok-kium from Nagasaki (Japan) to Shang-Hal
(China), and one wonders what means were set to work for
this, given that Kim-ok-kium was the implacable enemy of
Chinese suzerainty over Korea, just as he was the friend
and ally of Japan. Kim, after the failure of the 1884
revolution, after a Chinese army had restored the old
party in Korea, found refuge in Japan, and he lived
there for ten years with a pension from the Mikado. Hong
Tjyong-Ou had been a lieutenant of Kim-ok-Kium in 1884;
he reached Europe, where he lived nobly by his work in
Paris, studying the institutions, customs, science,
industry, arts of France in order to assist in the
rehabilitation of his country. He hoped, through
spontaneous civilization, to save Korea both from
European covetousness and from the yoke of the
neighboring Mongol nations. He was really our friend, we have
been too powerfully interested in the success of his
work not to make a thorough investigation of the reasons
that prompted the murder of Kim-ok-kium. May he be
innocent, or at least may he offer some excuse in
self-defense or patriotic exaltation! We have very vague
clues here. Arrested after the murder by the European
Police of Shanghai, Hong Tjyong-Ou called for Chinese
justice, claiming to have killed Kim-ok-kium on the
express orders of the King of Korea. Kim, he added, is a
traitor. The excuse would be of little value to us if
Hong Tjyong-Ou was merely obeying his king; he had no
personal reasons to believe in the perfidy of
Kim-ok-Kium. We remember that Hong Tjyong-Ou spoke
frequently to us of the violence of Kim-ok-Kium and the
following words of Kim to Hong when they parted: Hong - said Kim, - if you ever change
opinion, I will kill you! However, Hong Tjyong-Ou in contact with
European civilization had changed his opinion. He placed
no hope in violence, he did not accept Japanese armed
intervention. On his return to Japan, did he try to
convert Kim? Did Kim make threats? Did he denounce Hong
to the terrible vindictiveness of the Japanese? Did he
he perform acts or speak words, which indicated high
treason? Was Hong Tjyong-Ou forced to pretend in order
to save his life? Did he repay Kim perfidy for perfidy?
These are the sinister questions we ask ourselves. Time
will perhaps solve them. Hong Tjyong-Ou wrote to us from
Japan before the murder. Once back in Korea, admitted to
the councils of the king, will he not be honor-bound to
justify himself to us for an action that he knows we
disapprove; the good, honest, noble Hong Tjyong-Ou we
experienced, so charitable to poor old beggars, so great
an enemy of all violence, polite, well-read, full of
melancholy poetry, will he want to stay eternally the
treacherous murderer of Shang-Hai? We do not believe so,
and a passage from his last letter even gives us some
assurance on this point. J. H. ROSNY. |