Sur la Corée

 

Alexandra Myrial (Alexandra David-Néel)


 

Mercure de France Volume XLIX No. 169, janvier 1904, pages 97 - 110


 

Alexandra David-Néel was a woman with a most extraordinary life history. Most important in the French Wikipedia text is : « en 1889, elle se convertit au bouddhisme, ce qu'elle note dans son journal intime, paru en 1986 sous le titre de La Lampe de sagesse. Elle a 21 ans. La même année, pour se perfectionner en anglais, langue indispensable à une carrière d'orientaliste, elle va à Londres où elle fréquente la bibliothèque du Musée britannique et fait par ailleurs la connaissance de divers membres de la Société théosophique. L'année suivante, de retour à Paris, elle s'initie au sanscrit et au tibétain et suit divers enseignements au Collège de France, et à l'École pratique des hautes études sans toutefois y passer d'examen. Pour Jean Chalon, c'est au musée Guimet qu'est née la vocation d'orientaliste et de bouddhiste d'Alexandra. » This must be how she met and spent time talking to Hong Jong-u.

« Durant les saisons 1895-1896 et 1896-1897, sous le nom d'Alexandra Myrial, Alexandra David occupe l'emploi de première chanteuse à l'Opéra d'Hanoï. »

She married Philippe Néel in 1904. She also sometimes used the name Alexandra Myrial when publishing on orientalist topics. Her text echoes things that she recalled from talking with Hong.

 

Dans ces derniers temps, l'attention du public a été tout spécialement attirée sur la Corée, pays lointain jalousement convoité par les Russes et les Japonais. Quelques détalls sur cette contrée peu connue peuvent, ce me semble, présenter un certain Intérêt pour le lecteur en qui le nom de la grande presqu'île n'éveille, le plus souvent, que la vague notion géographique d'une région quasi-barbaré, située à l'autre bout du monde. La Corée— officiellement Tchio-Shen, royaume de la Sérénité du Matin–est, certainement, à l'heure actuelle, celui des pays d'Extrême-Orient qui nous est le moins familier. Si, depuis quelques années, les données ethnographiques que nous possédons à son sujet se sont rapidement accrues, le nombre des personnes au courant de son histoire est encore des plus limités aussi, est-ce sur le passé politique de cet état asiatique que porteront ces notes succinctes.

Ainsi que tous les peuples orientaux, les Coréens font remonter leur histoire à la plus haute antiquité. Les insulaires de Tsiei-tsiou ou Tchae-tchiou, dans la mer de Corée (C'est l'île designé sous le nom de Quelpaert par les Occidentaux), vont jusqu'à prétendre que leur montagne sacrée, le Pak-than-san ou Halla san, fut le berceau du genre humaln.

A l'origine de la terre, dit la légende, il n'existait ni hommes, ni bêtes, ni végétaux. Ces derniers et les animaux furent déposés, sur le Halla San, par les nuages. Quant aux hommes, Ils surgirent du sommet de la montagne. Ils étaient au nombre de trois et se nommaient Ko, Pou et Yang. Ces ancêtres de l'humanité descendirent avec majesté vers la plaine, tout en discourant de questions philosophiques (?) et en agitant de profonds problèmes. Arrivés au bord de la mer, ils aperçurent trois grandes boîtes que les vagues portaient doucement au rivage. Ils s'en emparèrent, les ouvrirent et y trouvèrent trois femmes d'une extraordinaire beauté qu'ils épousèrent aussitôt.

L'orgueilleuse tradition des Coréens de Tchae-tchiou est, malheureusement pour eux, fortement battue en brèche par certaines chroniques chinoises et japonaises qui attribuent, à leur fameuse montagne sacrée, une origine volcanique relativement récente, postérieure de dix siècles à l'ère chrétienne.

Moins ambitieux, les Coréens de la terre ferme commencent leur histoire à 3 siècles av. J.-C., ne le cédant, que de trois siècles environ à la chronologie officielle des Chinois, datée de la 61" année du règne du grand empereur Hoang-ti (2637 ans av. J.-C.).

Les vieux historiens rapportent que, la sixième année du règne de l'empereur chinois Yao, un ermite vint fixer sa demeure sur le mont Taihakou (selon une autre version il descendit miraculeusement sous un arbre de santal). Pleins de vénération pour son savoir et ses vertus, les indigènes le nommèrent roi sous le nom de Tankoun. Ce souverain vécut 1668 ans puis fut enlevé par des génies qui le conduisirent dans les demeures célestes.

Le lettré Hong-tjyong-ou, avec qui j'ai eu de longs entretiens sur le passé de son pays, place l'arrivée de Tankoun en Corée, vers l'an 2358 avant notre ère. D'après la chronologie chinoise, l'empereur Yao aurait effectué sa sixième année de règne en 2822 av. J.-C. mais j'estime que ce détail est de fort médiocre importance lorsqu'il s'agit de personnages dont l'âge atteint un chiffre aussi respectable de siècles.

Hong-tjong-ou, dont l'esprit était trop cultivé pour admettre la réalité de cette légende fantastique, tentait de l'expliquer de la manière suivante :

On trouvé dans le Chou-king (le livre des Rois des Chinois) un passage où il est rapporté que l'empereur Yao envoya l'un de ses hauts fonctionnaires vers une montagne située à l'Est de sa capitale et derrière laquelle le soleil semblait se lever. Ce seigneur, nommé Ghi-Tciou, avait pour mission de s'établir sur la montagne désignée et, là, de saluer chaque matin, au nom de son souverain, l'astre du jour émergeant de l'horizon (Telle est la version d'Hong-tjyong-ou, mais le texte du Chou-king semble plutôt indiquer que l'envoyé devait se livrer à des observations astronomiques et non à une cérémonie à tendances astrolatriques.). S'appuyant sur ce texte, Hong-tjyong ou suppose que le mystérieux ermite Tankoun pourrait bien etre Ghi-Tciou, l'émissaire de Yao.

L’hypothèse est fort plausible. L'empereur Yao est, en effet, représenté par les chroniques comme très épris d'astronomie. Il envoya des savants dans la direction des quatre points cardinaux pour y faire des observations sur la longueur des jours et la position de certains astres. Dans un entretien qu'il a avec les chefs du tribunal d'astronomie et de religion, ce monarque établit que l'année de 365 jours était en usage, dans son empire, plus de deux mille ans avant notre ère.

En dehors de ce que rapportent des légendes et de vagues traditions, il n'existe aucune donnée sérieuse sur les siècles qui suivirent l'avènement de Tankoun. La période fabuleuse de l'antiquité coréenne ne prend fin que vers le onzième siècle avant J.-C., date à laquelle s'ouvre, avec le règne de Ghi-si, l'ère vraiment historique du pays.

Si le premier souverain de la Corée semble avoir étê un astronome, le second n'est rien de moins qu'un philosophe, ainsi que le prouve son nom chinois: Ki-tse c'est-à-dire Ki le philosophe. Il figure dans les annales de la Corée sous la dénomination de Ghi-si, adaptation à la langue nationale du mot étranger Ki-tse.

Ki-tse était l'oncle de l'empereur chinois Chéou-sin, le dernier souverain de la dynastie des Yn (La dynastie des Yn n'est autre que la seconde partie de la dynastie des Chang. Vers 1.400 av. J.-C. l'empereur Pan-keng des Chang changea son nom de famille en celui de Yn, que ses successeurs continuèrent à porter.). Les remontrances qu'il avait adressées à son neveu, dont la conduite, au dire des historiens, était des plus blâmables, excitèrent contre lui la colère de son impérial parent et il dut simuler la folie pour échapper au châtiment qu'on lui préparait.

Lorsque Wou-Wang, après avoir détrôné Chéou-sin, eut pris en main les rênes de l'empire, il fit appeler Ki-tse à la cour et lui témoigna la plus haute estime. Le nouvel empereur se plaisait à converser longuement avec ce sage lettré sur la philosophie, l'économie politique, l'astronomie, etc. Les propos de Ki-tse ont été relatés, en partie, par les historiographes chinois et nous pouvons, par la lecture du Chou-king, nous faire une idée des pensées que nourrissait, il y a plus de trois mille ans, celui qui devait être le véritable fondateur du royaume de Corée.

« A la treizième année, dit le texte, le roi Interrogea Ki-tse.

« Le roi dit « Oh Ki-tse, le ciel a des voies secrètes par lesquelles il rend le peuple tranquille et fixe. Il s'unit à lui pour l'aider à garder son repos, son état fixe. Je ne connais point cette règle, quelle est-elle? »

Ki-tse lui répond par un exposé des neuf règles de la sublime doctrine qui sont

1º La connaissance des lois propres aux cinq « agissants », c'est-a dire les cinq éléments: l'eau – le feu – le bois – les métaux – la terre.

2º L'attention à donner dans les cinq occupations : le maintien – la parole – la vue – l'ouïe – la pensée.

3° L'application aux huit principes de gouvernement : les vivres – la répartition des richesses – le culte et les cérémonies – les travaux publics – l'instruction publique – la justice, sanctions pénales, magistrature– le régime à appliquer aux étrangers résidant sur le territoire de l'empire – les armées.

4° L'accord dans les cinq choses périodiques : l'année – le mois – le jour – la révolution des astres – les nombres astronomiques (L'accord dont il s'agit est, vraisemblablement, celui du calendrier officiel avec le mouvement des astres).

5º La règle de conduite du souverain.

6° L'observance des trois vertues : la droiture – l'exactitude et la sévérité dans le gouvernement – l'indulgence et la douceur.

7º L'intelligence dans l'examen des cas douteux.

8º L'attention apportée aux phénomènes: la pluie – le beau temps – la chaleur, le froid – le vent – les saisons.

9º La poursuite des cinq bonheurs : une longue vie – la richesse – la paix – l'amour de la vertu – une mort paisible aprés avoir accompli sa destinée; et l'éloignement des six malheurs : une vie courte et vouée au vice – les maladies – les afflictions – la pauvreté – la haine – la faiblesse et l'oppression,

Ki-tse développe chacun de ses neuf points. Ses dissertations paraissent obscures en plus d'un passage et le commentaire de Tchou-hi n'y apporte pas de bien grands éclaircissements.

Comme tous lès anciens, Ki-tse croyait qu'il existait une corrélation directe entre les actes des hommes et les manifestations de la nature

« Quand la vertu règne, dit-il, la pluie vient à propos... Quand on rend des jugements équitables le froid vient à son temps. »

A côté de ces propos, nous en trouvons d'autres qui dénotent, chez le premier roi de la Corée, des connaissances d'ordre sociologique et un esprit sceptique, dénué d'illusions sur les causes, toutes matérielles, qui font régner la paix dans le peuple et inclinent à l'équité l'âme des magistrats. Le bien-être lui paraît être le meilleur gardien de la tranquillité et de la vertu publiques:

« Si la constitution de l'atmosphère dans l'année, le mois, le jour est conforme à la saison, les grains viennent à leur maturité, il n'y a aucune difficulté dans le gouvernement et chaque famille est dans le repos et dans la joie. Mais s'il y a du dérangement dans l'atmosphère, les grains ne mûrissent pas, le gouvernement est en désordre, la paix n'est pas dans les familles. »

« Si vos magistrats ne manquent de rien ils seront vertueux. »

Wou-wang, pénétré d'admiration pour la sagesse de Ki-tse, le nomma prince de Corée (Certains historiens coréens prétendent, paraît-il, que Wou-wang aurait envoyé Ghi-si (Ki-tse) en Corée pour se debarrasser d'un homme dont la haute réputation lui portait ombrage et qui, fort de sa parenté avec le précédent empereur, refusait de paraître à la cour de l'usurpateur. Le texte du Chou-king ne permet pas de seranger à cetteopinion). Celui-ci quitta la cour de Chine, emmenant avec lui huit savants éminents qui devaient lui servir de conseillers.

De nos jours, encore, huit familles coréennes prétendent posséder une généalogie remontant à ces illustres personnages. Elles entretiennent ensemble des relations de parenté et se considèrent comme formant la plus haute noblesse du pays. Mon ami Hong-tjyong-ou se targuait, avec fierté, d'avoir pour grand ancêtre l'un de ces compagnons de Ki-tse, nommé Hong.

Ki-tse, devenu le roi Ghi-si organisa ses états d'après le système chinois. La durée de son règne est réputée comme une ère de paix et de prospérité sans égales. A cette époque, le royaume de Corée ne comprenait pas, ainsi que de nos jours, toute l'étendue de la presqu'île. La partie méridionale, sauvage et presque inexplorée, restait indépendante. Elle portait le nom de Shim.

Vers le commencement du 2e siècle av. J.-C., le roi Ghi-joun se déclara souverain de la presqu'île entière. Vaincu par un prince chinois, qui l'avait attaqué, il dut se réfugier dans le Shim, qui se peupla rapidement par l’émigration de nombreux Chinois s'expatriant pour éviter d'être englobés dans les bandes de travailleurs que l'empereur Chi-Hoang-ti faisait recruter de force, pour la construction de la « Grande Muraille ». Il est utile de remarquer que c'est improprement que les Occidentaux donnent le nom de Corée à l’ensemble de la presqu'île seul, un territoire de la partie septentrionale était autrefois appelé Kouré. Quant aux régions s'étendant vers le sud, elles furent dénommées, comme je l'ai indiqué plus haut, d'abord Shim, et ensuite Kam. Au temps de Ghi-joun, elles se divisaient en Ba-Kam, Ben-Kam et Shim-Kam, formant, ainsi, trois petits états distincts, quoique ayant des liens comuns.

Les descendants du vainqueur de Ghi-Joun ne jouirent pas longtemps de son héritage. Son petit-fils You-kio se vit, à son tour, dépossédé par un empereur chinois de la dynastie des Han, dans le courant du premier siècle avant notre ère.

Un laps de temps assez long s'écoule ensuite, sans que nul relève le trône du grand Ghi-si; puis un étranger, venant du Nord, s'empare du pays et prend le titre de roi.

L'histoire de ce personnage comporte plus de légendes que de détails vraiment historiques. Son origine, comme celle de la plupart des héros orientaux, est fabuleuse et voici, d'après la tradition, la façon surnaturelle dont sa mère le conçut

Dans le palais du roi de Pou-Yo (contrée indéterminée qui était située au nord de la Corée) se trouvait une jeune vierge, fille du génie d'un fleuve. Ce souverain l'avait vue, par hasard, dans une de ses promenades et, frappé de son extraordinaire beauté, s'était empressé de la faire conduire parmi ses femmes. Cependant, le roi dut entreprendre un très long voyage. A son retour, il s'aperçut que la jeune fille était enceinte. Plein de fureur il ordonna qu'on la mit à mort; toutefois, avant de l'envoyer au supplice, il voulut permettre à la coupable de présenter sa défense.

« Seigneur, lui dit alors la fille du génie, je me trouvais dans une chambre de l'appartement des femmes lorsqu'un rayon de soleil y pénétra avec une intensité telle que j'en fus incommodée. Pour éviter son ardeur, je passai dans une autre pièce. La lumière éclatante m'y poursuivit. J'essayai de me retirer dans les parties les plus obscures du palais, mais, partout, les rayons éblouissants de l'astre du jour s'attachaient à moi. Peu de temps après cet événement mystérieux, j'ai senti que je portais un enfant en mon sein.

« Le roi, devinant, dans ce phénomène, la manifestation d'une puissance supérieure, fit grâce à la jeune mère, qui donna bientôt naissance à un fils. Dès qu'il fut sorti de la première enfance, le jeune garçon se manifesta comme un archer d'une adresse incomparable et reçut, de ce fait, le nom de Shou-Mô (tireur adroit). Plus tard, obligé de fuir le royaume de Pou-Yo pour échapper à des rivaux. qui complotaient sa perte, il s'enfuit dans la direction du sud, s'arrêta dans la région appelée Kouré, et, comme on vient de le voir, en devint le roi.

Tandis que les descendants de Shou-Mô se succédaient sur le trône de Kouré, la presque totalité du sud de la presqu'île passait sous la domination de Shei-Kyo-Khan qui, au dire de certains, aurait été l'ancêtre du fameux Tchinggis Khan (On sait que les Japonais revendiquent TchinggIs-Khan pour leur compatriote. Certains de nos orientalistes inclinent à croire que le terrible guerrier était d'origine coréenne.).

A cette époque, l’ensemble de la Corée actuelle comprenait les royaumes de Sinnra, fondé par Sheï-Kyo-Khan, de Kouré, fondé par Shou-Mô, et de Koutara, fondé par un fils de Shou-mô.

Si l'histoire de ces états minuscules est, en général, dénuée d'intérêt, elle comporte cependant un fait d'une importance capitale la civilisation du Japon due, pour la plus grande partie, à leur influence.

Au deuxième siècle de notre ère, les Japonais, qui marchent aujourd'hui à la tète du progrès en Extrême-Orient, étaient encore un peuple barbare, sans philosophie, sans arts, sans science, sans industrie. Or il advint, à cette époque, qu'un parti se forma parmi les Japonais habitant le littoral de la mer du Japon et voulut se soustraire à la domination de l'empereur. Les sujets du roi de Shinra encouragèrent les révoltés,. et, traversant le détroit de Corée, vinrent à leur secoure contre les troupes de leur souverain. Celui-ci, ayant triomphé de la rébellion, résolut de punir les étrangers qui avaient fomenté des troubles sur son territoire. Il fit donc équiper une flotte pour se rendre en Corée mais, avant que les préparatifs fussent terminés, le monarque mourut.  

L'impératrice, qui avait, accompagné son mari pendant toute la campagne, ne renonça pas à poursuivre le projet du défunt. Elle partit et, sous ses ordres, son armée débarqua sur les côtes du Shinra.

Cependant, le roi de Corée, avait de son côté, rassemblé des soldats et s'avançait à la rencontre de l'envahisseur. Les deux adversaires furent bientôt en présence. Mais en apercevant l'impératrice qui, selon lès chroniques, était d'une beauté sans égale, toute idée belliqueuse abandonna le souverain, il se prosterna devant celle qui lui apparaissait comme une divinité et ne songea plus qu'à conclure la paix.

A leur tour, le roi de Kouré et celui de Koutara vinrent admirer l'impératrice japonaise et ne furent pas moins enthousiasmés que leur voisin. Les trois monarques et la souveraine conclurent un traité d'alliance, puis celle-ci s'en retourna dans ses Etats (Telle est la version coréenne, mais les historiens japonais prétendent que l'impératrice Ling-gou-kuo-go défit les troupes envoyées contre elle et imposa à la Coree le paiement d'un tribut).

Depuis lors, de nombreux Coréens se rendirent au Japon ; ils y portèrent, avec eux le système d'écriture chinoise, les sciences, les arts et l'industrie que la Corée tenait de la Chine. Les belles-lettres, la philosophie des Chinois et, plus tard, le bouddhisme, lorsque les Coréens l'eurent adopté, passèrent, à leur tour, chez les Japonais par le même intermédiaire.

Les habitants de l'Empire du SoIeil Ievant (DaïNippon, le Japon) furent de bons élèves et dépassèrent rapidement leurs premiers maîtres.

Après cet événement, le plus saillant de l'histoire de Corée, la vie de la grande péninsule retombe à la monotonie des luttes entre les petits états qui partageaient son territoire. Quelques campagnes contre les Chinois qui, à plusieurs reprises, tentèrent de s'annexer la Corée, tranchent seules sur la banalité des querelles entre roitelets indigènes.

Vere 610, les Coréens repoussèrent victorieusement l'armée de l'empereur chinois Yang-ti. Une trentaine d'années plus tard, l'empereur Tai-Tsoang, ayant voulu s'emparer de la Corée, dut, égatement, renoncer à son projet.

En 668, le roi de Shinra fut attaqué par ses voisins de Koutara et de Kouré. Pour leur résister, il demanda l'appui de la Chine. Ses ennemis ripostèrent en appelant les Japonais à leur secours. Ils furent vaincus. Le roi de Kouré se rendit aux généraux chinois qui avaient pris sa capitale. Un de ces généraux fut nommé gouverneur du royaume. On établit un tribunal chinois dans la capitale de la Kouré et le pays fut divisé en cinq gouvernements, neuf départements, quarante-deux arrondissements et cent cantons.

Le royaume de Shinra, délivré de ses rivaux, est ensuite en proie aux luttes intestines : les souverains sont fréquemment détrônés ou massacrés, le trône est successivement occupé par des chefs de parti qui s'expulsent a tour de rôle. L'un d'eux, nommé O-Ken porta ses armes au delà des anciennes limites du Shinra et reconstitua, en partie, le royaume de Kouré, qu'il adjoignit au Shinra (vers 950). Ses descendants régnèrent trois siècles.

Vers 1300, le fils de TchinggIs-Khan donna à l'un des successeurs d'O-Ken la partie septentrionale de la presqu'île dont la Chine s'était emparée six siècles auparavant. Ce prince fut le premier qui régna sur la Corée entière. Ses successeurs suivirent la fortune de la dynastie mongole en Chine dont ils furent les fidèles alliés. Le dernier d'entre eux se vit forcé d'abdiquer devant l'hostilité que lui témoignaient ses sujets. Un général, du nom de Li-Shei-Kei, le remplaça sur le trône, en 1392.

Li-Shei-Kei est, lui aussi, le héros de' plusieurs légendes qui lui prêtent des actes merveilleux. Une tradition, très en honneur en Corée, rapporte que l'empereur chinois Hoang-wou, le chef de la dynastie des Ming, lui prédit, plusieurs années à l'avance, le sort glorieux qui lui était réservé. Voici comment le fait est narré

Li-Shei-Kei, avant d'avoir embrassé la carrière des armes, avait songé à devenir moine. Il habitait donc, en qualité de novice, un couvent situé à la frontière chinoise dans les monts Tcio-Hakou. Parmi ses compagnons se trouvait un autre novice de très humble origine, fils de campagnards, qui se nommait Tchou-youan-tchang. Pendant les dix années qu'ils vécurent côte à côte, les deux jeunes gens n'échangèrent jamais une parole.

Un jour, fatigué des corvées humiliantes que les bonzes lui imposaient, Tchou-youan-tchang abandonna le monastère pour s'enrôler dans un parti révolutionnaire qui tentait de libérer la Chine du joug des Mongols en renversant la dynastie régnante. Comme il allait franchir le seuil du couvent, Tchou-youan-tchang s'adressa pour la première fois à Li-Shei-Kei « Vous régnerez un jour, lui dit-il, sur le pays qui s'étend au sud de ces montagues; moi-même j'aurai en partage l'Empire du Milieu. » La prédiction se réalisa à la lettre Tchou-youan-tchang devint rapidement le chef dès insurgés et, après une campagne victorieuse, il prit possession du trône sous le nom de Houng-wou. C'est l'empereur désigné, dans les tables chronologiques, par le titre honorinque de Ming-taï-tsou (grand aïeul de la dynastie des Ming).

En ce qui concerne le novice coréen, la prophétie de son taciturne compagnon s'accomplit avec la même exactitude, puisqu'il devint le souverain de son pays.

Nous avons dit que l'appellation de « Corée » n'avait jamais été appliquée, par les Coréens, à l'ensemble de la péninsule et qu'une région seule avait, momentànément, formé un royaume de Kouré. En 1398, le roi Li-Shei-Kei abolit définitivement l'ancien nom.de Kouré et lé remplaça par celui de Tcio-Shen (Sérénité du Mâtin), seul usité, aujourd'hui, en Corée.

La fin du xvie siècle est marquée, pour les Coréens, par de longues luttes contre les Japonais et les Chinois, dont leur pays devint le théâtre.

En 1604, à la fin des hostilités, la Corée signa un traité de paix avec le Japon. Ce fut, pour elle, le terme des guerres avec l'étranger. Son histoire n'enregistre plus, ensuite, que des troubles locaux, des intrigues de palais sans grande importance, peut-on croire puisque, après cinq siècles, la dynastie fondée par Li-Shei-Kei se continue encore en la personne du souverain régnant. Dans les temps modernes on peut signaler la reconnaissance de l'indépendance de la Corée par la Chine qui, jusque-là, l'avait toujours traitée en royaume vassal. Cependant, malgré l'abandon officiel de ses droits, Ie Céleste Empire conserve toujours, dans le pays, un prestige et des prérogatives dont ne jouissent point les autres états. Mais nous touchons, ici aux événements contemporains généralement connus et qui, par cela même, sortent du cadre de ces notes.

***

Quel sort les compétitions actuelles de ses voisins prépare-t-elles à la Corée? Une fois de plus, peut-être, son sol servira de théâtre aux luttes des belligérants. Les gouvernants coréens, enclins à la superstition, comme tous les Orientaux, ne s'étonneront sans doute pas, si l'avenir réserve encore des jours sombres à leur malheureux pays. Une antique légende, toujours vivante en Corée, semble, en effet, devoir vouer le royaume de la « Sérénité du Matin » aux plus tristes destinées. L'étrangeté de cette tradition mérite qu'on la rapporte En butte aux sortilèges d'on ne sait quel magicien ou quel dragon ennemi, la Corée est selon l'opinion de ses habitants, une contrée enchantée. Tout y est bouleversé, détourné de son ordre naturel. Montagnes, fleuves, rivières y occupent une place différente de celle qui leur avait été assignée à l'origine du monde.

A quelle époque s'est accompli ce singulier cataclysme? Les Coréens l'ignorent, mais la croyance populaire emprunte encore une nouvelle force à la confirmation que lui donnent les paroles du très illustre bonze Ha-thing, qui vivait en Chine vers le ixe ou le xe siècle.

Un moine coréen, nommé To-Sou, attiré par la grande réputation de Ha-thing, s'était rendu près de lui dans but d'apprendre, sous sa direction, les diverses philosophlès chinoises, l'astronomie et la magie. Lorsqu'il crut son instruction suffisante, il manifesta le désir de retourner dans son pays. Alors, son maître lui parla en ces termes

« J'ai appris qu'il y a, en Corée, beaucoup de montagnes et de cours d'eau qui ont désobéi à leur maître; il s'ensuit que ce pays a subi des divisions successives et que, sans cesse, il a été troublé par des conspirateurs. La terre est donc malade son sang, ses nerfs sont dérangés; voilà pourquoi les Coréens meurent, tués par les maladies, la famine et les guerres. »

Le savant Ha-thing n'aurait point été digne de son renom s'il n'eût trouvé le remède approprié à cette situation aussi fâcheuse qu'extraordinaire. Il n'eût pas été un véritable moine s'il n'avait pensé à confier, à ses confrères, le soin de cette cure d'un genre, peu commun

« Je veux soigner la maladie des montagnes et des rivières de votre pays, annonça-t-il à To-Sou. Àpportez-moi une carte de la Corée. »

Lorsqu'il eut la cartè entre les mains, il la considéra attentivement : « Puisque les montagnes et les cours d'eau sont dans de telles conditions, dit-il, il est certain que la Corée doit être la scène de nombreuses guerres. » Il désigna alors, par un trait de pinceau, dix-huit cents points situés soit dans les montagnes, soit sur Ie bord des fleuves et, rendant la carte à son disciple, il ajouta

« Quand on est malade, il faut chercher promptement l'endroit où l'on doit piquer les veines et brûler la peau c'est ainsi que l'on peut guérir les maladies. Les maladies des montagnes et des canaux ressemblent à celles de l'homme: Si l'on établit des monastères aux endroits que j'ai marqués, les résultats obtenus seront pareils à ceux de l'acuponcture et du feu et les maladies de la terre seront alors guéries. De même que les personnes ignorantes qui ne veulent pas qu'on les pique et qu'on les brûle sont condamnées à une mort certaine, de même, si l'on ne me croit pas ou si l'on détruit les monastères que l'on aura érigés, le pays sera certainement dépeuplé. »

Les dix-huit cents bonzeries exigées par l'ascète chinois furent-elles édifiées? Il serait peut-être exagéré de le croire. Cependant, de très nombreux couvents s'élevèrent autrefois en Corée; mais une réaction violente, amenée par la conduite des moines, s'étant produite vers le xiv" siècle, ceux-ci furent massacrés et leurs couvents détruits.

Le sol de la péninsule, privé du remède prescrit jadis par le vieil Ha-thing,est-il à la veille de subir une recrudescence de la mystérieuse maladie dont il souffre en devenant le théâtre de combats sanglants?. L'avenir nous l'apprendra.