DEUXIÈME
PARTIE (Index)
LIVRE
IV Depuis
la mort de Mgr Ferréol jusqu’à la mort du roi
Tchiel-tsong. 1853-1864. — 423 — CHAPITRE III. Mgr Daveluy est sacré
coadjuteur. — Arrivée de M. Féron. — Progrès de
l’Évangile
pendant les années 1857 et 1858. — Mort de M. Maistre.
Avant son départ pour
la Corée, Mgr Berneux avait reçu du Saint-Siège les
pouvoirs nécessaires pour
se choisir et consacrer un coadjuteur. Il ne voulut
pas rester plus longtemps
sans en faire usage. L’état toujours précaire de la
chrétienté, le souvenir des
anciens désastres, les difficultés inouïes que l’on
avait eues à surmonter pour
faire entrer des missionnaires, la crainte que de
nouvelles persécutions ne
vinssent bientôt, en frappant le premier pasteur,
anéantir l’espérance de
perpétuer le sacerdoce en Corée, toutes ces
considérations réunies lui faisaient
un devoir de ne pas tarder. Son choix tomba sur M.
Daveluy, que onze ans de
travaux, une connaissance exacte du pays, un zèle tout
apostolique et les
solides vertus d’un vrai missionnaire, désignaient
clairement comme le plus
digne. Mais il eut à lutter contre l’humilité de ce
saint prêtre, et dut, pour
ainsi dire, lui imposer de force cette charge
redoutable.
« Mes répugnances
naturelles, » écrivait Mgr Daveluy quelques semaines
plus tard, « mes
répugnances naturelles pour cette position suffisaient
seules pour me porter au
refus. Je ne me suis jamais cru fait pour commander ;
c’est déjà beaucoup pour
moi de savoir obéir. D’autre part, l’épuisement réel
de mes forces, suivi de la
perte de mes facultés intellectuelles, ne me
permettait pas d’accepter ce
fardeau. Mais Sa Grandeur me parla dans des termes qui
me firent craindre qu’un
refus obstiné ne me mît hors de la voie de la
Providence, et j’eus le malheur
de donner mon consentement. Le jour de la consécration
fut donc fixé au 25
mars, fête de l’Annonciation. MM. Maistre,
Petitnicolas et le P. Thomas furent
réunis pour cette cérémonie que la prudence ne permit
pas de faire au milieu
des chrétiens. Elle eut lieu dans la maison de Sa
Grandeur, pendant la nuit, en
présence des catéchistes de la capitale et d’un petit
nombre des principaux
chrétiens. La localité et le secret ne permirent pas
de grande pompe ; c’était
presque comme dans les catacombes. Qu’il nous fut
pénible de ne pouvoir
satisfaire au désir de tous nos néophytes ! Jamais — 424 — il ne leur a été donné de
contempler la majesté de nos cérémonies, et ils
sont inconsolables de n’avoir pu assister à la seule
de ce genre peut-être qui
aura lieu de leur vivant.
« Aujourd’hui tout est
fini, mais, s’il ne s’agissait pas de moi, ce serait
une grande consolation de
penser à la marche progressive de la religion dans ce
pays. Ici aussi, la
consécration épiscopale s’est donnée, la hiérarchie
s’établit selon les règles
habituelles de l’Église. N’est-ce pas un progrès réel
? un acte de la plus
grande conséquence pour l’avenir ? Oui, cette terre
fécondée par le sang de
tant de martyrs portera ses fruits ; oui, j’ose
compter sur la protection de
tant de vaillants athlètes, dont les têtes tombées
sous le sabre servent de
fondation à la sainte Église de Dieu dans ce pays.
Terre des martyrs, la Corée
deviendra chrétienne, je n’en doute pas, et c’est ce
qui me console au milieu
de l’accablement où je suis. Les événements se
pressent, et tous semblent nous
annoncer une ère de développement rapide. Dès le
lendemain de mon sacre, notre
chère mission pouvait contempler son nombreux clergé —
l’expression est devenue
juste — réuni en synode, selon l’esprit de l’Église,
pour régler ce qui peut
concourir à l’avancement de la religion. Pressés par
les circonstances, nous ne
consacrâmes que trois jours à cette heureuse réunion,
où furent arrêtées plus
clairement nos règles de conduite et le plan des
opérations que semblent nous
permettre les circonstances. La discipline est
raffermie, les esprits tendent
plus facilement vers le même but, et surtout l’union
de charité entre nous se
resserre admirablement. Quelles actions de grâces ne
devons-nous pas rendre à
Dieu ? »
Ce premier synode était
à peine terminé et les missionnaires étaient encore
réunis, quand l’arrivée
inattendue de M. Féron, nouveau confrère que tous
croyaient encore pour
longtemps en Chine, vint mettre le comble à leur joie.
Voici les détails donnés
par M. Féron lui-même dans une lettre à ses parents :
« Quelque inexpérimenté
que l’on soit en fait de voyages, avec la protection
du bon Dieu, on se tire d’affaire
assez aisément. Or cette protection divine a été bien
plus sensible que je n’osais
l’espérer moi-même. Mon arrivée si heureuse en Corée
est un vrai miracle. En
effet, pendant que je partais de Chang-haï,
Monseigneur le Vicaire apostolique
écrivait à notre procureur et à moi qu’il ne pourrait
pas envoyer de barque à
notre rencontre, et qu’il me faudrait, en conséquence,
retourner à Hong-kong
pour deux ans. Les communications ordinaires étant
interrompues dans le nord,
par les glaces, la lettre de Sa Grandeur dut attendre,
plus — 425 — de deux mois, au Léao-tong-,
et, pendant ce temps-là, je partais
joyeusement pour ma bien-aimée mission. La barque que
je rencontrai était celle
d’un païen venu pour Caire le commerce, en
contrebande, avec les banques
chinoises qui se rendent dans l’archipel coréen pour
la pèche du hareng. Il y a
peut-être dans toute la Corée une douzaine de matelots
chrétiens, lesquels sont
ordinairement occupés aux travaux des champs et ne
s’embarquent guère que sur
les ordres de l’évêque ou des Pères, lorsqu’il faut
aller chercher des
missionnaires. Comment se fait-il que ce païen en ait
réuni sept qui
composaient tout son équipage, bien qu’ils habitassent
à je ne sais quelle
distance les uns des autres ? C’est ce que nous
n’avons jamais pu comprendre ;
mais, enfin, c’est ce qui est arrivé. Aussi
n’eurent-ils rien de plus pressé,
en voyant un Père destiné pour la Corée, que de
déclarer à leur patron qu’ils
renonçaient, s’il le fallait, à leur salaire, mais
qu’ils m’emmenaient avec
eux.
« Le païen s’exécuta de
bonne grâce, et, pendant les cinq jours que je
demeurai à son bord, nous fûmes
les meilleurs amis du monde. Je n’avais point d’habits
coréens, un matelot me
prêta les siens ; Dieu sait en quel état ils se
trouvaient. Mais lorsque le
moment fut venu de quitter la barque, un des hommes de
l’équipage remarqua que
mes bas chinois n’avaient pas la couture faite comme
celle des bas coréens.
Grande affaire ! Un des chrétiens ôta les siens
aussitôt et me pria de les
mettre : j’avoue que le cœur me manquait. Je réussis à
leur faire comprendre
que, descendant de la barque au milieu de la nuit pour
arriver avant le jour
auprès de notre évêque, il n’était pas probable
qu’aucun païen s’amusât a considérer
la couture de mes bas. Ils le comprirent, et nous
voilà partis. À moitié chemin
de la ville, nous nous arrêtâmes chez un des matelots
pour prendre une petite
collation, composée de navets salés et de vermicelle
fait avec de la farine de
sarrasin.
« Enfin, au point du
jour, nous entrâmes chez Mgr Berneux, qui crut son
domestique fou lorsque
celui-ci, en l’éveillant, lui annonça l’arrivée d’un
nouveau Père. Je trouvai
là presque tous les confrères réunis. Mgr Berneux
venait de sacrer son
coadjuteur et de terminer un synode : j’arrivais à
temps pour manger ma part de
la croûte du pain dont la mie avait servi pour essuyer
les onctions de la
consécration. Jugez quelle fête ! Mais elle n’eût pas
été complète si le bon
Dieu ne nous eût rappelés à la pensée des misères
humaines, en mêlant à notre
bonheur un peu du bois de la croix. Nous en étions
encore aux premiers moments
de joie, — 426 — quand le patron païen, qui
connaissait bien notre position et savait que
nous n’avions aucun recours contre lui, mettait la
main sur mon bagage, qu’il a
refusé jusqu’à présent de lâcher à moins d’une somme
très-forte : encore ne
consent-il à en rendre qu’une faible partie, car il a
déjà vendu la plus
considérable. Il est vrai que sa tête est entre nos
mains et que d’un seul mot
nous pourrions le faire condamner à mort comme voleur
; mais il nous connaît
trop pour craindre que ce mot nous échappe. »
Après le sacre de Mgr
Daveluy et la célébration du premier synode de
l’Église coréenne, chacun des
missionnaires retourna à son poste avec plus d’ardeur
et de confiance que
jamais. Voici comment le P. Thomas T’soi, dans une
lettre, du 14 septembre
1857, à M. Legrégeois, continue son récit de l’année
précédente et rend compte
des principaux faits arrivés dans son district :
« Quand j’écrivis au
Père ma dernière lettre, j’étais sur le point de
partir pour une nouvelle
chrétienté éloignée, et je lui promis, une fois de
retour, de lui raconter tout
ce qui m’aurait paru digne d’attention. J’accomplis
aujourd’hui ma promesse.
Ceux qui déposèrent les premiers germes de la foi dans
cette chrétienté furent
une pauvre femme exilée et sa famille. Lors de la
dernière persécution générale
de 1839, cette femme s’était enfuie de la capitale
pour se soustraire à la
fureur des bourreaux. Elle vint se réfugier dans cette
ville, où elle entra au
service d’une famille très-riche. Peu à peu la
maîtresse de la maison, grâce à
sa servante, connut la vérité de la religion
chrétienne, se mit à la pratiquer
avec ferveur, et la fit connaître elle-même à d’autres
personnes qui l’embrassèrent
également. Mais son mari ne tarda pas à s’apercevoir
de ce changement.
Transporté de fureur, il essaya, à force de mauvais
traitements, de la
détourner de notre sainte religion. Comme il
n’aboutissait à rien, il la prit un
jour et la traîna à travers les rues de la ville,
menaçant de la faire
condamner à mort par le mandarin si elle ne revenait
au culte des idoles. Cette
fidèle servante de Jésus-Christ, calme en face du
péril, se laissait conduire
au tribunal sans mot dire, quand enfin son barbare
mari, vaincu par cette
inébranlable constance, la ramena à la maison.
L’unique résultat de sa démarche
fut de faire savoir au loin qu’il y avait des
chrétiens dans la ville. Les
parents de la pauvre exilée, qui vivaient dans une
bourgade du voisinage,
furent remplis de joie en entendant cette nouvelle.
Privés eux-mêmes, depuis de
longues années, de tout commerce avec les chrétiens et
plongés dans une
profonde ignorance, ils gémissaient sur leur triste
sort, et ne désiraient — 427 — rien tant que de rencontrer
quelques chrétiens, pour apprendre d’eux plus à
fond les vérités nécessaires au salut. Aussi, quittant
à la hâte leur village,
ils vinrent habiter auprès de leur parente chrétienne.
« Là, chrétiens et
catéchumènes, ne faisant pour ainsi dire plus qu’une
seule famille et s’appuyant
les uns sur les autres, devinrent plus fermes dans la
foi et plus fervents dans
la pratique de la religion. Bien plus, par leurs
efforts réunis, ils parvinrent
à convertir plusieurs personnes, parmi lesquelles se
trouvait la femme d’un des
grands de la ville, qui combattit vaillamment le
combat du Seigneur. Tourmentée
de mille manières par son mari, elle opposa à ses
menaces, à ses coups et à ses
persécutions de tout genre une fermeté invincible.
Impossible de dépeindre la
sainte avidité avec laquelle cette pauvre âme, lors de
mon arrivée, écouta mes
paroles et reçut les sacrements. Depuis longtemps,
elle ne faisait que soupirer
: « Quand donc verrai-je de mes yeux le prêtre du
Seigneur ? Quand donc recevrai-je
de sa bouche les divins enseignements ? Lorsque cette
grâce m’aura été
accordée, oh ! alors je pourrai mourir en paix. »
« Tel était l’état des
choses, quand, hélas ! un épouvantable ouragan vint
s’abattre sur la pauvre
chrétienté. La veille de mon départ, une vieille
femme, toute transportée de
joie au sortir de l’oratoire où elle avait, avec les
autres chrétiens, entendu
la divine parole et participé aux sacrements, s’en
alla trouver une de ses
amies qui, sourde jusque-là à toutes ses exhortations,
n’avait jamais consenti
à embrasser la religion chrétienne. Elle lui raconta
tout ce qu’elle venait de
voir dans l’oratoire, persuadée qu’elle la
convertirait en lui révélant toutes
les merveilles auxquelles elle avait pris part, et qui
remplissaient son cœur d’une
joie indicible. Mais cette amie insensée rapporta tout
à son mari. Celui-ci
convoqua pendant la nuit tous les maris de ces femmes
qui honoraient Dieu en
secret, à l’insu ou contre le gré de leurs familles,
et leur dévoila ce qu’il
venait d’apprendre. Là-dessus, grand émoi ; on résolut
de chasser immédiatement
de la ville la famille de cette femme exilée,
laquelle, étant tout entière
chrétienne, avait seule pu dresser un oratoire dans sa
maison.
« Je venais de célébrer
la sainte messe et de terminer l’administration des
sacrements, j’étais à peine
sorti de la ville et le plus jeune des membres de
cette maison, qui m’avait
accompagné, n’avait pas encore eu le temps de revenir
auprès des siens, quand
la populace, se précipitant sur l’oratoire, démolit la
maison, pilla et dévasta
tout ce qui appartenait à cette infortunée — 428 — famille et la chassa du pays.
Je ne sais comment, dans la suite, les
chrétiennes de ce lieu pourront être visitées par le
missionnaire. Il n’y a pas
une maison dont on puisse faire un lieu de réunion,
car ce qui reste de
néophytes sont des femmes qui honorent Dieu en secret,
et, d’un autre côté,
elles ne peuvent sortir de la ville. Que le Seigneur
daigne jeter un regard de
miséricorde sur ces infortunées et tienne compte de
leur bonne volonté !
« Dans une autre
chrétienté, éloignée de toutes les autres de plus de
trois jours de marche, j’ai
rencontré cinq pauvres familles. Elles s’y étaient
fixées depuis peu de temps,
parce que, dans le lieu qu’elles habitaient
auparavant, elles ne pouvaient
vaquer à la pratique de la religion chrétienne. Leur
village est situé au
sommet d’une montagne horrible appelée Man-san. C’est
là que je m’installai
pour faire la visite et administrer les sacrements.
Or, à cent dix lys (onze
lieues) plus loin, se trouve un autre village chrétien
où venaient d’arriver
quelques pauvres familles qui, n’ayant pas encore eu
le temps de se construire
des demeures ni par conséquent un oratoire, étaient
toutes obligées de venir à
Man-san pour y recevoir les sacrements. Les vingt
personnes environ qui les
composaient se divisèrent en deux bandes, et, pendant
que l’une se rendait à
Man-san, l’autre demeura pour garder les bestiaux et
le petit mobilier. Quand
les premiers eurent reçu les sacrements, ils s’en
retournèrent, et la seconde
bande se mit en route à son tour. Elle était formée de
deux hommes, d’une jeune
fille de seize ans, de deux enfants, l’une de treize
ans, l’autre de onze, et
enfin d’un petit garçon de neuf ans. Cette petite
troupe pacifique avait cent
dix lys à faire en un seul jour. Partie de grand
matin, elle avait déjà
parcouru plus de la moitié de la route, quand, arrivée
à un certain village,
elle fut assaillie par une vingtaine d’hommes de
l’endroit, qui, armés de
bâtons, ne rougirent pas de se précipiter sur les
pauvres voyageurs. Mais,
pendant le conflit, un vieillard vénérable sortit du
village, reprocha à ces
furieux leur impudence et délivra nos malheureux
captifs. Ces vaillants
chrétiens, quoique épuisés par la fatigue, la faim et
la secousse de cette
attaque inopinée, continuèrent leur marche et, sur le
soir, arrivèrent tout
triomphants à l’oratoire. Le Père conçoit avec quels
transports de joie et
quels sentiments de commisération nous les reçûmes,
les chrétiens du village et
moi, et avec quel empressement nous allâmes ensemble
rendre à Dieu les plus
vives actions de grâces.
« J’arrivai deux jours
plus tard dans un autre village où — 429 — quelques chrétiens vivent en
secret au milieu des païens. Ces derniers,
soupçonnant la présence d’un missionnaire, firent
bonne garde tout le jour
suivant autour de la maison dans laquelle j’étais
caché, et voulurent même l’envahir
pour me prendre. Mais un catéchumène, que les païens
regardaient comme un de
leurs plus fidèles coreligionnaires, les détourna de
ce projet, et leur montra
la gravité du danger qu’ils allaient courir en
pénétrant ainsi de force dans
une maison étrangère ; car, s’ils n’y trouvaient rien
de suspect, ils s’exposaient,
pour leur témérité, à être punis du dernier supplice.
Touchés par cette
considération, ils n’osèrent pénétrer dans la maison,
mais ne laissèrent pas
cependant d’en garder toutes les issues, afin de me
prendre si je sortais. Je
parvins néanmoins à m’évader de grand matin à la
faveur des ténèbres, laissant
plongés dans la désolation et privés des sacrements
ces malheureux chrétiens
qui les attendaient avec impatience depuis deux ans.
Oh ! qu’il est douloureux
d’être contraint, à cause des persécutions des
méchants, d’abandonner ces
pauvres faméliques sans les avoir rassasiés, et de les
voir réduits à une telle
détresse, sans espérance, au moins pour le moment, de
les en tirer !
« Mais détournons nos
regards de ce triste spectacle pour les reposer sur un
sujet plus agréable. Un
jeune homme ayant entendu dire que dans le village de
Kan-ouel, éloigné de
plusieurs jours de marche de sa ville natale, il y
avait des hommes pratiquant
une religion particulière, s’en vint, poussé par la
curiosité, trouver le
catéchiste de ce lieu, le priant de l’instruire de
cette sainte doctrine.
Celui-ci, suspectant ses intentions, refusa de
condescendre à ses désirs et le
renvoya aussi ignorant qu’il était venu. Le jeune
homme revint à la charge
quelque temps après, et s’efforça de tout son pouvoir
de prouver au catéchiste
la sincérité de son cœur. Vains efforts ! Chassé une
seconde fois, il revint
une troisième. Enfin le catéchiste, cédant à ses
importunités, et convaincu que
cet homme cherchait la vérité, consentit à lui
expliquer les éléments de la
religion chrétienne, et lui donna même un petit manuel
de piété, un recueil de
prières et un catéchisme. Ravi de joie, notre
catéchumène transcrivit de sa
propre main les livres qui lui étaient nécessaires ;
puis, riche de ce trésor
inestimable, il s’en retourna chez lui où il n’eut
rien de plus pressé que de
faire participer ses amis intimes, ses parents et
toute sa famille au bienfait
de la vérité qu’il venait de recevoir. Peu après, lui
et tous ceux qu’il avait
convertis quittèrent leur ville natale, où ils ne
pouvaient pratiquer assez
libre- — 430 — ment les devoirs de la
religion, pour venir s’établir près de Kan-ouel.
Lors de ma dernière administration, il m’amena six
hommes parfaitement préparés
à recevoir le baptême, et me promit de faire élever un
oratoire dans son
village et de revenir l’année prochaine avec tous les
siens aussi bien préparés
que ceux-ci. Un autre village, composé de cinq ou six
familles, a été converti
et évangélisé de la même manière.
« Mais il faut que je
raconte au Père l’histoire de la conversion d’une
famille en particulier. Cette
famille était obsédée par le démon depuis plusieurs
générations. Hommes,
femmes, enfants étaient tourmentés par de mauvais
génies qui leur
apparaissaient sous la figure de leur père ou de leur
aïeul, et mille fois, le
jour comme la nuit, écrasaient leurs épaules ou leur
dos d’un poids énorme. Ces
malheureux étaient plongés dans une consternation et
un désespoir
inexprimables. Il ne leur était même pas permis
d’habiter un peu de temps dans
le même endroit, car les mauvais génies les forçaient
d’émigrer ailleurs, avec
défense d’emporter aucun de leurs ustensiles
domestiques ; s’ils
transgressaient cette défense, le démon les obsédait
avec tant d’opiniâtreté
pendant la route qu’il les obligeait à reporter ce
qu’ils avaient pris. Aussi
étaient-ils réduits à la plus épouvantable misère. Sur
ces entrefaites, un
néophyte ayant eu connaissance de leur infortune, et
persuadé que, s’ils
embrassaient la foi chrétienne, ils ne tarderaient pas
à être délivrés par la
grâce de Jésus-Christ des poursuites du démon, leur
enseigna notre sainte
religion, et les conduisit dans un village de
chrétiens. Là, cette famille
commença tout d’abord par éprouver un soulagement
sensible. Tandis qu’elle
apprenait avec ferveur les prières et le catéchisme,
elle était complètement
délivrée ; mais lorsqu’au contraire, elle se relâchait
dans cette étude et
priait d’un cœur tiède, les vexations recommençaient ;
et ainsi, le démon
lui-même semblait prendre à tâche de les former à la
piété. Quand tous eurent
été baptisés, ils furent entièrement délivrés, et l’on
m’assure que maintenant
ils se portent à merveille et vivent, dans la joie et
la paix, de la culture de
leurs champs.
« Au reste, si je
voulais raconter en détail tous les autres traits de
ce genre, je ne pourrais
finir cette lettre.
« Dans tout le cours de
l’année, j’ai entendu deux mille huit cent
soixante-sept confessions, baptisé
cent soixante-onze adultes, renouvelé les cérémonies
du baptême à dix-sept
adultes, enrôlé cent quatre-vingt-une personnes dans
l’œuvre de la Pro- — 431 — pagation de la Foi. Le nombre
des chrétiens de mon district s’élève en tout
à quatre mille soixante-quinze, celui des catéchumènes
à cent huit.
« Les apostats qui
étaient venus l’an dernier avec des satellites dans le
village où je célébrais
les saints mystères, pour se saisir de ma personne, et
qui avaient été
repoussés par nos néophytes, ont mis tout en œuvre
pour se venger de cet échec.
Ils avaient même juré d’exterminer le nom chrétien du
milieu de la Corée. Ils
sont allés trouver quelques-uns des principaux
mandarins, dans l’espoir d’obtenir
d’eux l’autorisation de massacrer les chrétiens, et de
déposer accusations sur
accusations contre notre sainte religion. Mais ils ont
été éconduits
ignominieusement ; et, à l’heure qu’il est, ils
semblent avoir perdu, sinon
leur haine, du moins toute leur puissance. Les
néophytes qui à cette occasion
avaient été pris et jetés dans les fers, ont été remis
en liberté. Bien plus, à
la suite de ces troubles excités par nos ennemis, un
village tout entier s’est
converti et s’est fait chrétien. »
De son côté, Mgr
Daveluy écrivait, à la même époque : « Dans la partie
orientale de la Corée, où
se trouve maintenant notre collège sous la direction
de M. Pourthié, la croix
porte encore ses fruits. Des vexations graves faites à
des chrétiens des
environs firent craindre pendant un certain temps des
difficultés sérieuses.
Tous étaient sur le qui-vive. On cacha sous terre les
livres et le mobilier, et
chaque nuit, les élèves et le missionnaire se tenaient
prêts à fuir au premier
signal. Mais le Seigneur commanda aux vents et à la
mer, et il se fit une
grande tranquillité. Le mandarin, saisi de ce procès
par les chrétiens, leur
rendit justice sans que le mot de religion eût été
même prononcé. C’est de sa
part, une marque de bon vouloir dont nous lui sommes
très-reconnaissants. Sur d’autres
points de la mission, il y a eu aussi quelques
conflits, car le bon Dieu ne
veut pas que nous puissions nous endormir dans une
sécurité trompeuse. Mais, en
somme, chacun des missionnaires a pu faire sa visite
en paix ; tous nos
chrétiens ont été administrés, et cinq cents baptêmes
d’adultes ont augmenté d’autant
notre petit troupeau. À Dieu seul toute la gloire !
« Et voyez combien
admirables sont ses desseins ! Un catéchumène meurt
baptisé par un catéchiste à
l’heure de la mort. Cette même nuit une espèce
d’arc-en-ciel paraît sur la
maison du défunt, au grand étonnement de quelques
spectateurs païens et
chrétiens. Les païens croient y voir un signe du ciel,
et une — 432 — quinzaine d’entre eux ont
commencé à s’instruire de notre sainte religion.
Quelle qu’ait été la cause de ce phénomène ou prodige,
Dieu en a tiré déjà sa
gloire et le salut de quelques âmes. Certaines
conversions se font,
pardonnez-moi l’expression, contre toutes les règles.
Dernièrement une jeune
fille chrétienne est donnée en mariage à un païen, au
mépris des lois de l’Église.
Mgr de Capse met en interdit les parents de la jeune
personne. Ne sachant que
faire, ceux-ci vont trouver le jeune marié païen et
lui disent : « Nous sommes
à cause de toi sous le poids d’une punition grave ; il
faut de suite apprendre
notre doctrine, et nous faire délivrer. » Celui-ci
écoute, tout étonné, se fait
expliquer le comment et le pourquoi, et finit par dire
: « Il paraît que tout est
bien ordonné dans votre religion : elle doit être
bonne ; » et il se met à
apprendre le catéchisme. On espère qu’il sera baptisé
sous peu.
« Une femme qui
pratiquait à l’insu de son mari ne savait guère de
catéchisme ; on la presse d’apprendre
un peu mieux. Elle prétexte l’impossibilité où elle se
trouve et les
difficultés de sa position ; mais ses raisons ne sont
pas admises, et on la
menace du refus des sacrements. Toute désolée, elle
dit : « Puisque c’est
ainsi, je n’ai plus qu’un moyen, c’est d’avertir mon
mari et d’essayer de le
convertir. — Fais comme tu voudras. » Elle tint
parole, et le mari, docile à la
grâce qui le sollicitait par la bouche de sa femme,
consentit à être chrétien.
Ces petits détails sont mesquins en eux-mêmes ; mais
pour moi il me paraît si
consolant de voir tous les moyens que Dieu prend pour
attirer ses élus, que j’ai
cru vous faire plaisir en vous les rapportant, tels
qu’ils se présentent à ma
mémoire. »
Mgr Berneux, dans sa
lettre au Conseil de la Propagation de la Foi, du 23
novembre 1857, résume
ainsi les travaux de cette année, qu’il nomme une
année de bénédictions :
« Mettant à profit
cette petite paix dont on nous laisse jouir, je me
suis hasardé à appeler tous
mes missionnaires à la capitale, pour assister à la
consécration de mon
coadjuteur. C’était la première fois qu’une aussi
touchante cérémonie avait
lieu en Corée ; nos chrétiens eussent été heureux d’y
prendre part, mais la
prudence ne nous permit pas de les admettre. Malgré la
tranquillité dont nous
avons à rendre grâce au Seigneur, nous devons
cependant user de précautions
extrêmes, et ne pas nous hâter de sortir de nos
catacombes. C’est donc à huis
clos, et au milieu des ténèbres de la nuit, que M.
Daveluy, qui depuis onze ans
a rendu de si importants services à cette mission, a
reçu la consécration — 433 — épiscopale, sous le titre
d’évêque d’Acônes. Nous étions encore tous
réunis, et terminions un synode de trois jours, où
nous avons pris des mesures
pour procurer l’avancement de nos chrétiens et la
conversion des idolâtres,
quand nous arriva, le 31 mars, d’une manière toute
providentielle, et amené par
l’ange de la Corée, un confrère que personne
n’attendait, M. l’abbé Féron.
Ainsi cette mission de Corée, autrefois presque
inaccessible aux Européens,
qui, il y a deux ans, n’avait pas d’évêque, et pesait
tout entière sur deux
missionnaires et un prêtre indigène, la voilà
maintenant avec deux évêques,
quatre apôtres étrangers et un prêtre coréen. N’est-il
pas vrai, Messieurs, que
le sang des martyrs commence à porter ses fruits, et
que le Seigneur paraît
avoir sur ce peuple de Corée de grands desseins de
miséricorde ? Serait-ce trop
se flatter d’espérer que cette chrétienté, qui s’est
fondée elle-même, sans le
secours d’aucun missionnaire, qui, pendant de longues
années, par la seule
vivacité de sa foi et l’énergie de son caractère,
s’est soutenue, a pu même s’accroître,
malgré de sanglantes persécutions ; est-ce trop se
flatter, dis-je, d’espérer
qu’elle va nous donner d’abondantes moissons,
maintenant que le Seigneur lui
prodigue tant de secours, dans le zèle intelligent de
mon vénéré coadjuteur et
des cinq missionnaires qui l’arrosent de leurs sueurs
apostoliques ? Il nous
semble les voir, ces espérances, commencer déjà à se
réaliser. Nous avons
encore, sans doute, bien des ennemis dans toutes les
classes ; il est cependant
incontestable qu’il y a une tendance plus sensible que
jamais à se rapprocher
de notre sainte religion. Les persécuteurs eux-mêmes
le constatent, et des
mandarins, comme autrefois cet empereur apostat,
avouaient, il y a peu de mois,
dans une de leurs réunions, que le Christ triomphait,
et que, malgré leurs
efforts, avant dix ans, la moitié du royaume aurait
embrassé le christianisme.
Que diraient-ils s’ils voyaient le fils d’un ministre
du roi, mandarin
lui-même, nous envoyer des présents, et solliciter,
comme une grâce, la
permission de nous venir visiter ; s’ils savaient que
la femme d’un des oncles
du roi a engagé ses frères à se faire catholiques, et
que, dans ce même palais
où tant de fois on a juré d’exterminer jusqu’au
dernier vestige du nom
chrétien, le vrai Dieu a ses adorateurs qui
n’attendent que des temps plus
calmes pour se présenter au baptême ? Ils verraient
peut-être, dans ces faits,
l’accomplissement des oracles de la sibylle coréenne,
qui annoncent que la
reine mère doit mourir cette année (au fait elle vient
de mourir), que le roi
mourra l’an prochain (on le dit atteint d’une maladie
récente, qui ne laisse
aucun — 434 — espoir de guérison), et que
dans deux ans la religion chrétienne sera
florissante dans le royaume.
« Nous devons donc,
Messieurs, remercier le Seigneur des bénédictions
qu’il répand si abondamment
sur ce pays, et le conjurer en même temps de nous les
continuer. Les espérances
que nous donne l’état actuel de la Corée sont fondées,
mais une persécution
générale pourrait les renverser, et cette persécution,
nous en sommes menacés
prochainement. La reine mère, qui nous protégeait un
peu, vient de mourir. Le
crédit des hommes qui partageaient sa modération tombe
sensiblement, tandis que
nos ennemis arrivent aux premières charges. Déjà une
adresse a été présentée au
roi, demandant qu’on recherchât les chrétiens ; les
commissaires spéciaux, qui
parcourent en ce moment le royaume, reçoivent de
nombreuses listes, en tête desquelles
les missionnaires figurent et où des villages entiers
sont dénoncés. Déjà un
vieillard de soixante-dix-huit ans vient d’être jeté
en prison. Dans quelques
semaines, au retour des commissaires, on délibérera au
conseil royal sur le
parti à prendre à notre égard. Dieu, qui tient en ses
mains le cœur des rois,
et sans la permission duquel un cheveu ne se détache
pas de nos têtes,
détournera peut-être les coups dont est menacé ce
troupeau, qui déjà a tant
souffert. Que s’il entrait dans ses adorables desseins
qu’il fût encore frappé,
et que nous fussions appelés à partager le sort de nos
glorieux prédécesseurs,
notre dernière bénédiction, Messieurs, serait pour
vous et pour les pieux
associés de votre sainte œuvre, auxquels nous n’avons
cessé de donner chaque
jour une grande part dans nos prières.
« Le résultat de nos
travaux pour l’année 1856-1857, est : confessions
annuelles, neuf mille neuf
cent quatre-vingt-une : baptêmes d’adultes, cinq cent
dix-huit ; baptêmes d’enfants
de chrétiens, six cent deux ; baptêmes d’enfants de
païens à l’article de la
mort, huit cent quatre ; confirmations, deux cent
vingt-six ; mariages, cent
quatre-vingt-quinze ; extrêmes-onctions, deux cent
dix-huit ; non confessés
pour cause d’absence, cent quatre-vingt-un. Total de
la population chrétienne,
quinze mille deux cent six. » On sera surpris peut-être
d’apprendre que le même courrier qui portait
cette lettre de Mgr Berneux était chargé d’une autre
lettre, dans laquelle le
prélat suppliait la Sacrée Congrégation de la
Propagande d’accepter sa
démission de vicaire apostolique de Corée. Cette
demande, on le pense bien, ne
fut pas accueillie. Dieu réservait à son serviteur de
plus longs combats
couronnés — 435 — par un glorieux triomphe.
Voici comment, deux ans plus tard, il expliquait
lui-même à M. Albrand, supérieur du séminaire des
Missions-Étrangères, cette
démarche inattendue. « N’allez pas en chercher la
cause ailleurs que dans le
motif exprimé : l’état de ma santé. Je suis parti du
Léao-tong avec la pensée
que je ne rendrais d’autre service à la Corée que
celui de lui sacrer un
évoque. Ma santé, depuis longtemps ruinée et qui me
rend de plus en plus
incapable de rien faire, ne permettait pas d’espérer
autre chose. Mais ce
service me sembla assez important pour ne laisser lieu
à aucune hésitation.
Depuis mon entrée ici, je suis réduit, pendant au
moins six mois chaque année,
à ne pouvoir rien faire. L’hiver, j’administre un
district aussi étendu, autant
et plus fatigant que celui d’aucun confrère, parce
que, dans une mission comme
celle-ci, où le travail est excessif, où les
privations sont continuelles, un
moyen de tout faire supporter gaiement aux confrères,
c’est que le vicaire
apostolique prenne pour lui la plus large part de ce
travail et de ces
privations, et ne laisse aux missionnaires que ce
qu’évidemment il ne peut pas
faire. Mais, ce district administré, je ne puis me
livrer à aucun travail ; pas
de sommeil, impossibilité de prendre des aliments, de
rester même assis, de
réunir deux idées : voilà mon état habituel. Ma
conscience s’inquiète, parce
que l’œuvre de Dieu souffre. Sans tête qui le dirige,
le zèle des missionnaires
devient inutile, et cette Corée, qui ne demande qu’à
marcher, reste
stationnaire. Voilà la raison qui m’a fait faire cette
démarche, et qui me fait
désirer que ma demande soit écoutée, quoi qu’il doive
m’en coûter. Mon cœur se
brisera en quittant cette mission ; Dieu sait combien
je l’aime ; la pensée
seule que je cesserai de travailler dans notre société
à laquelle je suis
attaché du fond des entrailles, me remplit d’amertume.
Mais l’intérêt de cette
mission doit parler plus haut et faire taire toute
autre considération. »
Comme on le voit, ce n’étaient
ni le découragement produit par l’excès du travail, ni
la crainte du danger, c’était
l’humilité profonde de Mgr Berneux qui le faisait
reculer devant les terribles
responsabilités de sa position. Ce qui le prouve mieux
que tout le reste, c’est
qu’après avoir accompli cet acte que sa conscience lui
faisait considérer comme
un devoir, après avoir essayé de secouer ce fardeau
qu’il se croyait incapable
de porter, il s’abandonna résolument à la sainte
volonté de Dieu, et continua
de remplir tous ses devoirs de supérieur avec plus de
soin et de zèle que
jamais.
À l’époque même où il
demandait à être déchargé du vicariat — 436 — apostolique, il insistait
énergiquement auprès de ses confrères, les
directeurs du séminaire des Missions-Étrangères, sur
la nécessité de nouveaux
ouvriers. « Les renforts que vous avez envoyés à cette
mission semblent déjà produire
leurs fruits qui, j’ose l’espérer, deviendront de plus
en plus abondants. Nos
chrétiens, pleins d’une bonne volonté admirable, font
pour s’instruire des
efforts qui dépassent tout ce que je pouvais attendre
; la ferveur augmente, et
ce mouvement paraît se communiquer aux païens. C’est à
nous d’entretenir et d’augmenter
ces heureuses dispositions qui sont l’effet de la
grâce, en leur procurant les
moyens de recevoir les sacrements dont ils sont
saintement avides. Cette terre
de Corée, Messieurs et vénérés confrères, ne demande
qu’à produire ; mais il
faut des bras pour y jeter la divine semence et la
cultiver, et les bras nous
manquent ! Mgr le coadjuteur qui a presque terminé son
dictionnaire
coréen-chinois-français, s’occupe activement à
recueillir les documents qui
concernent nos martyrs depuis l’introduction de
l’Évangile dans ce pays. Ce
travail aussi difficile qu’important nous mettra à
même de rédiger d’une
manière complète l’histoire de la religion en Corée.
M. Pourthié enseigne les
élèves de notre séminaire, et M. Petitnicolas, dont la
santé exige du repos, va
aider mon vénéré coadjuteur dans ses travaux. En sorte
que sur sept
missionnaires que nous sommes ici, quatre seulement
peuvent faire mission ; c’est
trop peu.
« Chargé d’un immense
district, le missionnaire aura beau se consumer de
travaux d’un bout de l’année
à l’autre, il succombera à la fatigue, mais il ne
réussira pas à suffire aux
besoins spirituels de son troupeau. Il ne faut pas
oublier que la mission de
Corée, depuis son origine, a été bouleversée par de
continuelles persécutions
et que, jusqu’à présent, les missionnaires y ont été
si peu nombreux que,
malgré le zèle qui les dévorait, il leur a été
impossible de consacrer plus d’un
quart d’heure à chaque néophyte dans le cours d’une
année. Maintenant, grâce
aux bénédictions du Seigneur, nous sommes plus
tranquilles, et le nombre des
chrétiens augmente chaque jour, il importe de les bien
former. Plus tard, les
difficultés seront plus sérieuses. Un des besoins les
plus pressants, c’est l’instruction.
Or, dans l’état où nous sommes réduits, nous ne
pouvons instruire que par les
livres, et les livres manquent ; il est donc
indispensable que quelques
missionnaires abandonnent toute administration pour se
livrer à l’étude de la
langue et se mettre en état de pouvoir traduire nos
livres de doctrine
chrétienne. C’est pour cette rai- — 437 — son, Messieurs et chers
confrères, que je vous ai demandé encore des
missionnaires pour le printemps de 1859. Le temps
semble arrivé où l’œuvre de
Dieu peut être avancée dans ce royaume, veuillez donc
nous venir en aide et
croyez bien que, sans un besoin extrême, je ne ferais
pas d’instances, parce qu’ici
tout ce qui n’est pas nécessaire entrave. Connaissant
votre zèle à subvenir aux
plus urgentes nécessités, je regarde comme assuré que
deux confrères arriveront
à l’époque indiquée ; et en conséquence je ferai tous
les préparatifs pour les
envoyer chercher. Ils doivent être à Chang-haï en
novembre ou en décembre 1858,
et partiront en janvier 1859 pour arriver, vers le 19
mars, aux îles où un
bateau les ira prendre. Que s’ils ne viennent pas à ce
rendez-vous, je ne sais
comment nous passerons l’année 1859 ; l’argent va nous
manquer, et déjà nous
sommes grevés d’une dette de trente mille francs. »
Par suite de cette
demande, deux nouveaux missionnaires, MM. Landre et
Joanno, furent envoyés en
Corée, où ils essayèrent de pénétrer par mer dans le
courant de l’année 1859.
Mais l’impéritie ou le mauvais vouloir du capitaine
chinois fut cause qu’ils
manquèrent au rendez-vous, et durent rentrer à
Chang-haï, après trois mois d’inutile
navigation.
L’histoire de l’année
suivante (1857-1858), nous est racontée dans diverses
lettres adressées au
séminaire des Missions-Étrangères par Mgr Berneux, M.
Pourthié et Mgr Daveluy.
Le fait le plus saillant est la mort de M. Maistre,
mort qui fut pour ses
confrères, déjà surchargés de travail, une bien
douloureuse épreuve. Du reste,
l’état général de la mission n’a pas changé. Ce n’est,
comme les années
précédentes, ni la guerre ni la paix, ni la
persécution proprement dite ni la
tranquillité. L’œuvre de Dieu va toujours en
progressant, au milieu de
difficultés de toutes sortes. Mais au lieu d’en
résumer les détails, laissons,
au risque de quelques redites inévitables, les
missionnaires eux-mêmes nous
raconter, chacun de son côté, leurs tribulations et
leurs joies, leurs craintes
et leurs espérances. Ces lettres que nous citons ont
été écrites par des
martyrs ; elles sont, à ce titre seul, des monuments
précieux, chers aux cœurs chrétiens.
La lettre de Mgr
Berneux est du 14 août 1858. « À l’époque où je vous
écrivais l’année dernière, notre horizon était
sombre ; on parlait de persécution générale, et déjà
des arrestations avaient
eu lieu. Dans le cœur de l’hiver, sur différents
points du royaume, des
chrétiens furent saisis et emprisonnés. Dans le
district de Mgr d’Acônes, un
village entier, pour se sous- — 438 — traire aux poursuites des
satellites, s’enfuit sur les montagnes,
abandonnant ses maisons et ses champs, tandis que
d’autres familles du
voisinage cherchaient leur salut dans une émigration
lointaine. La persécution
s’annonçait donc en grand, lorsque tout d’un coup les
prisonniers sont élargis,
sans apostasie, un seul excepté ; les fuyards
descendent de leurs montagnes, et
Monseigneur le Coadjuteur, qui avait aussi pris la
fuite, rentre dans sa
retraite. Marie, la Consolatrice des affligés, avait
abaissé un regard de
compassion sur ce petit troupeau tant de fois et si
cruellement éprouvé, et l’orage
s’était dissipé soudain. Les captifs ont été relâchés,
tandis qu’un de leurs
accusateurs, qui s’était présenté au mandarin et au
commissaire royal avec une
liste de cent chefs de familles chrétiennes, a été
garrotté, jeté en prison et
roué de coups. L’issue de cette affaire est une
victoire pour nous ; victoire
importante, en ce qu’elle donne du cœur à nos
néophytes, et rassure les païens
que la crainte seule arrête encore. Les familles qui
émigrent au loin, dans ces
circonstances, sont réduites à une grande misère et
ont beaucoup à souffrir.
Tout en compatissant à leurs épreuves, nous nous
consolons dans l’espérance du
bien qui en résultera. Ces émigrants portent avec eux,
dans les contrées où
elle n’a pas brillé encore, la lumière de l’Évangile,
et nous attirent presque
toujours un certain nombre de païens. C’est la semence
emportée par la tempête
; déposée sur une terre inculte, elle ne tarde pas à
la féconder.
« Le nombre des
baptêmes d’adultes n’atteindra peut-être pas, cette
année, le chiffre de l’an
dernier ; cela tient à la résolution que nous avons
prise d’exiger, des
nouveaux convertis, plus d’instruction et une plus
longue épreuve. Mais, en
revanche, le nombre de nos catéchumènes a presque
triplé ; près de douze cents
sont inscrits sur mes listes. Nous avons tous
remarqué, avec actions de grâces
envers le bon Dieu, le mouvement qui se fait sentir
dans tout le vicariat : la
capitale surtout semble se remuer. On fait des efforts
inouïs pour s’instruire
; on y est généralement plein de ferveur malgré les
obstacles qu’il faut
surmonter. Ce mouvement des chrétiens gagne les
infidèles et déborde en dehors
des murs de la ville royale. Une famille des plus
nobles du royaume a embrassé
la foi ; le chef de cette maison, beau-père d’un
proche parent du roi actuel, a
été baptisé pendant l’hiver. Bien d’autres conversions
suivront celle de cette
famille, si elle devient fervente. Dans la ville où
résident les Japonais nous
avons un catéchumène habile et plein de zèle. Huit
nouvelles chrétientés se
sont formées dans le district du P. T’soi, — 439 — et sept autres s’annoncent
pour l’année prochaine. Une conversion, que vous
connaissez sans doute, promet de grands résultats,
parce que le doigt de Dieu s’y
montre clairement.
« Il y a deux ans, un
bateau coréen fut porté par une tempête dans les
parages de Canton. Les hommes
qui le montaient mouraient de faim, lorsqu’ils furent
aperçus par un navire
anglais. Un seul d’entre eux put être recueilli et
conduit à Hong-kong, où se
trouvait un de nos élèves coréens. Dans l’intention
des hommes, ce jeune élève
avait été envoyé de Pinang à Hong-kong pour rétablir
sa santé ; mais la divine
Providence voulait se servir de lui pour sauver une
âme, et, avec elle,
peut-être beaucoup d’autres. Instruit par cet élève,
sous la direction de M.
Rousseille, ce naufragé a été baptisé. Il est revenu
heureusement cette année
en Corée, où il a pu rencontrer M. Féron et le P.
T’soi, qui l’ont muni de
livres, et lui ont indiqué les moyens de se mettre en
communication avec moi.
Ce nouveau chrétien est de Quelpaert ; il est
intelligent et d’une foi vive ;
il ne doute pas que sa famille, environ quarante
personnes, ne se convertisse
entièrement. Daigne le Seigneur donner de
l’accroissement à ce grain de sénevé
! »
Ajoutons de suite que
Félix-Pierre (c’est le nom de ce converti) revint en
Corée à la fin de 1860,
pendant les fêtes de Noël, pour recevoir les
sacrements. Il avait eu beaucoup à
souffrir de la part des parents de ses compagnons de
naufrage, qui l’accusaient
de les avoir tous assassinés. Le mandarin eut le bon
sens de le renvoyer de la
plainte, en disant aux accusateurs : « Êtes-vous fous
? je comprendrais que six
hommes en eussent assassiné un ; mais qu’un seul en
ait tué six, c’est par trop
fort. » Félix avait converti déjà une vingtaine de
personnes, la plupart
membres de sa famille. Il avait acheté une barque dont
tous les matelots,
excepté un qu’il espérait gagner plus tard, étaient
catéchumènes. Un de ces
derniers, nommé Kô, fut baptisé par M. Petitnicolas
sous le nom de Pierre, et
ainsi que Félix, voulut de suite s’enrôler dans
l’œuvre de la Propagation de la
Foi. Mgr Berneux leur avait promis de leur envoyer un
missionnaire aussitôt que
possible, mais il ne put tenir sa parole. En 1866, au
fort de la persécution,
Félix revint de nouveau en Corée, amenant au prêtre
deux autres nouveaux
convertis tout préparés au baptême. Il avait, dans
l’intervalle, été jeté par
un naufrage sur la côte du Japon, où il vit les
missionnaires, entre autres le
vicaire apostolique, Mgr Petitjean.
« Parmi nos
catéchumènes, « continue Mgr Berneux, « un — 440 — certain nombre montrent une
foi et une constance si touchantes que je ne
puis résister au plaisir de vous en citer quelques
traits ; ils vous édifieront
et vous feront prier pour nous. Un enfant de quinze
ans veut se faire chrétien
; en quelques mois il apprend les prières et le
catéchisme. Mais son père et sa
mère, instruits de sa détermination, cherchent à
l’ébranler par toutes sortes
de moyens. On lui représente la mort qui le menace,
s’il est découvert ; mais
la mort devant lui ouvrir le ciel, il ne la craint
pas. On le frappe
cruellement ; il souffre les coups en silence, et,
quand son père est fatigué
de frapper, il se lève et proteste qu’il sera
chrétien. Il n’est pas encore
baptisé.
« Touché de la foi de
ces néophytes, le Seigneur semble vouloir la confirmer
encore en glorifiant
ceux qui, sur cette terre coréenne, l’ont
généreusement confessée par l’effusion
de leur sang. Voici ce que m’a écrit M. Féron : « À
Mang-sang-i, province de
Kang-ouen, faisant l’administration, je trouvai un
enfant de douze à treize
ans, nommé Hoang, infirme de naissance. Il ne pouvait
se tenir debout, et n’avait
jamais marché qu’en rampant sur les coudes et les
genoux ; il était d’ailleurs
pieux et assez bien instruit. Touché de son état,
j’invitai les habitants du
village à demander à Dieu sa guérison, par
l’intercession des martyrs de la
Corée. Ma proposition fut accueillie avec une sorte
d’incrédulité. Néanmoins,
sur mon ordre formel, on commença une neuvaine le jour
de mon départ, 30 novembre
; j’avais donné, de mémoire, les noms de quarante
martyrs principaux, et promis
de dire la sainte messe le jour de la clôture, fête de
L’immaculée-Conception
de la Sainte Vierge. Une lettre des chrétiens de
Mang-sang-i m’apprend que, le
jour même, l’enfant a été guéri. Je n’ai aucun détail
certain sur le moment où
s’est opérée la guérison. Un oncle de l’enfant a dit,
dans une chrétienté peu
éloignée de chez moi, qu’au moment où, les prières
récitées, les chrétiens se
levaient, les jambes malades s’étaient étendues avec
un craquement, et l’enfant
s’était levé comme les autres. Je ne dois pas taire
une circonstance dont Votre
Grandeur pourra rechercher et apprécier la cause,
c’est que la guérison est
incomplète, en ce sens que l’enfant se sert encore
d’un bâton pour s’aider en
marchant. »
« La distance des lieux
ne m’a pas encore permis de faire dresser un
procès-verbal. Une autre guérison
a été obtenue de la même manière dans mon district ;
mais les documents que j’ai
reçus ne sont pas assez authentiques pour que je
puisse en écrire maintenant
les détails.
« Voilà, Messieurs et
chers Confrères, les consolations que le — 441 — Seigneur nous ménage ; les
épreuves ne nous manquent pas non plus. Le lion
Dieu nous en a envoyé une, cette année, qui nous a
tous douloureusement
affectés : M. Maistre est mort. Ce cher confrère était
venu me voir, l’an
dernier, à la fin de mars, en terminant son
administration. Malgré sa
lassitude, il semblait bien portant. Dans le courant
du mois d’août j’allai, à
vingt lieues, passer un jour avec lui ; sa santé était
encore bonne. Néanmoins,
comme je savais qu’il avait été fatigué de sa
précédente administration, je lui
donnai un district un peu moins pénible. Il se mit en
campagne au commencement
de novembre. Le 18 décembre, j’appris que ce cher
confrère, atteint d’une
maladie grave, se mourait à huit lieues du village où
je faisais mission. Je
partis en toute hâte et j’arrivai à la nuit auprès de
lui. Son état était en
effet bien alarmant ; trop faible pour articuler un
seul mot, il me reconnut
cependant et me prit la main en souriant. Craignant
qu’il ne passât pas la
nuit, je lui donnai l’absolution et lui offris
l’extrême-onction qu’il refusa,
me donnant à entendre par signes que le danger n’était
pas encore pressant, et
qu’il désirait attendre. La nuit fut assez bonne. Le
lendemain 19, M.
Petitnicolas arriva, après une marche continue de
vingt heures. Nous passâmes
la journée dans la chambre du malade, lui prodiguant
tous les secours qu’il
était en notre pouvoir de lui procurer. Le mal
semblait parfois offrir quelques
lueurs d’espérance, qui ne tardaient pas à s’évanouir.
Le 20 décembre, avant le
jour, je lui donnai le saint viatique,
l’extrême-onction et l’indulgence
plénière, au milieu des sanglots de nombreux
chrétiens, que mes ordres avaient
été impuissants à écarter de la chambre du malade :
ils voulaient voir une
dernière fois celui qui avait eu pour eux l’affection
d’une mère, et assister à
la mort d’un saint. Je le laissai seul faire son
action de grâces et s’entretenir
avec son Dieu qu’il devait bientôt posséder. Sur les
dix ou onze heures du
matin, pendant que je récitais mon office, on vint
m’avertir que le mal faisait
des progrès rapides. Nous allâmes, M. Petitnicolas et
moi, dans l’appartement
du malade, d’où nous ne devions sortir qu’après avoir
recueilli son dernier
soupir. Son regard était fixe, sa respiration courte
et pénible ; il ne
reconnaissait plus personne. Enfin, à midi, il rendit
paisiblement, sans
violence et sans douleur apparente, sa belle âme à
Dieu. Lorsque j’en donnai la
nouvelle aux chrétiens qui se tenaient en grand nombre
dans la cour, leurs
sanglots, expression d’une douleur bien sincère,
annoncèrent à tout le village
que leur père venait de leur être enlevé. En ce jour,
20 décembre, les chrétiens
de Corée perdaient un père, un — 442 — apôtre ; les missionnaires un
modèle de toutes les vertus apostoliques ; et
moi, je perdais un ami dont les conseils m’ont été
plus d’une fois utiles dans
cette mission. Enfin, le 20 décembre, à 9 heures du
soir, assisté de M.
Petitnicolas, et au milieu d’un concours de plus de
trois cents chrétiens, je
déposai sa dépouille mortelle dans le tombeau qui lui
avait été préparé sur le
sommet d’une petite montagne. M. Maistre a laissé
parmi nos chrétiens une
réputation bien méritée de grande sainteté. Toutes les
vertus dont il n’a cessé
de nous édifier avaient leur principe dans un entier
abandon à la volonté de
Dieu, auquel, dès son entrée dans la carrière
apostolique, il s’était donné
sans réserve. Dieu seul connaît ce qu’il a eu à
souffrir, pendant dix ans de
courses incessantes et inutiles, pour entrer dans
cette mission. Au milieu de
tant et de si longues souffrances, son calme et son
aménité ne se sont jamais
démentis un instant ; au point que des hommes qui ne
pouvaient comprendre tant
de vertu, l’accusèrent de ne pas désirer sérieusement
d’entrer en Corée. Toute
la vie de M. Maistre se résume dans un mot qu’il me
dit quelques instants avant
sa mort. Je lui demandais s’il faisait volontiers à
Dieu le sacrifice de sa vie
; recueillant alors le peu de forces qui lui restaient
: « Je l’ai fait dès le
premier jour, Monseigneur, » me répondit-il. Et, dans
une autre circonstance,
lorsque, à la prière des chrétiens, je lui offrais un
poste qui me semblait
devoir répugner à ses goûts, il m’écrivit ces mots,
dignes d’un saint
missionnaire : « Je fais tout par devoir, rien par
plaisir, mais « tout avec
plaisir. »
« La mort du bien
regrettable M. Maistre, » écrivait de son côté M.
Pourthié, « a été le grand
accident de notre mission. Ce bon confrère, obligé de
traverser un petit bras
de mer, a attendu pendant quatre heures, les pieds
dans la boue et par un froid
terrible, qu’une barque chrétienne vînt le prendre ;
cette embarcation arrivée,
il dut encore passer quatre heures dans l’humidité.
Aussi ne tarda-t-il pas à
ressentir les premiers symptômes de la maladie qui
nous l’a ravi.
« À part cet événement,
il n’est rien arrivé d’extraordinaire ; le bon Dieu
augmente toujours son petit
troupeau de quelques additions annuelles, et sa
souveraine Majesté a daigné
nous favoriser de consolations assaisonnées, comme
toujours, de tribulations et
d’épreuves. Les unes comme les autres vous ont été
décrites par des personnes
plus compétentes que moi ; je m’abstiens donc d’entrer
dans ces récits, et vais
d’un autre bord.
« Me voici toujours
enfoncé dans les montagnes centrales de la — 443 — Corée, donnant mes soins à
quelques enfants et à une petite chrétienté qui
s’épanouit autour de moi. Comme cela doit être dans un
pays qui semble encore
bien loin de reconnaître la liberté religieuse, nos
affaires se font à petits
pas, sans bruit et dans les ténèbres : à ces
conditions, si nous ne passons pas
inaperçus, du moins on feint de ne pas nous
apercevoir. D’ailleurs certains
événements, qui sont grands pour ce petit royaume,
occupent l’esprit de nos
païens et même de nos gouvernants. L’année dernière, à
l’automne, la mort de la
vieille reine, mère adoptive du roi, entraîna le deuil
général commandé à tout
le peuple coréen. Incontinent après, la femme du
dernier roi défunt voulut
obtenir, avec le titre de reine mère, une large part à
l’autorité : elle était
secondée dans cette entreprise par un parti puissant,
à la tête duquel se
trouve la famille de cette femme. Comme le
gouvernement résistait à ses
prétentions, elle a poussé la hardiesse jusqu’à tenter
de se défaire du
souverain actuel. On s’en est avisé à temps, et le roi
n’a pas pris le breuvage
empoisonné. Cette méchante femme a continué ses
criminelles intrigues ;
plusieurs fois elle a essayé d’incendier la capitale.
Le gouvernement, fatigué
de ces menées, a fait mourir les deux chefs de cette
famille remuante.
« Vous ne soupçonneriez
pas, monsieur le Supérieur, avec quelle courtoisie le
roi de Corée se défait
des puissants personnages qu’il ne veut pas livrer aux
tribunaux. Il leur
envoie fort poliment un présent, qui consiste en une
bonne dose de poison ;
cela veut dire : Faites vos dispositions
testamentaires, et puis avalez ma
potion. Ces hauts dignitaires ne désobéissent jamais,
ils prennent leur parti
en braves, et en peu de jours se font mourir. Les deux
mandarins en question
sont morts de cette manière, et en même temps que le
gouvernement était délivré
d’une entrave, nous l’étions aussi d’une menace de
persécution ; car ce parti
est très-hostile à notre foi.
« À l’agitation causée
par ces événements a succédé la crainte de la famine ;
et, pour plus grande
complication, voilà qu’une brillante comète apparaît à
l’occident, court avec
grande vitesse du nord au sud, double Arcturus dans la
journée du 7 octobre, et
se trouve en ce moment dans la constellation du
Serpent. Ce bel astre a achevé
de décontenancer le peuple coréen ; c’est presque une
épouvante comme au
jugement dernier. De tous côtés l’on vous affirmera
qu’il y a guerre imminente,
que les armées sont en marche ; beaucoup de païens ont
déjà couru se cacher
dans les montagnes les plus affreuses ; ceux qui
restent sont pâles de terreur.
Qu’arrivera-t-il ? on ne peut rien assurer ; mais
l’his- — 444 — toire coréenne prouve que,
dans ces années de panique, il se trouve
toujours des aventuriers qui, exploitant l’effroi
général, en profitent pour
piller, pour faire des levées en masse, mettre tout à
feu et à sang, et même
parfois s’emparer du trône. On n’en viendra peut-être
pas jusque-là, mais
très-probablement cette année nous aurons beaucoup à
souffrir, ne fût-ce que
des voleurs, qui déjà s’organisent en bandes pour le
pillage, et au besoin pour
l’assassinat.
« Nos chrétiens et
nous, sachant qu’il ne peut guère arriver quelque
chose de pire, nous nous
tenons tranquilles, appuyés que nous sommes sur la
volonté divine, et
convaincus qu’elle fera tourner les événements à sa
plus grande gloire et à
notre bien spirituel. » Quelques semaines plus tard,
en novembre, Mgr Daveluy écrivait à son tour :
« Notre année se résume
ainsi : misères sur misères, mais partout grande
protection de Dieu, et, au
milieu des tribulations, avancement de l’œuvre
apostolique.
« Dès avant le départ
de nos dernières lettres, un chrétien âgé de
soixante-treize ans avait été
saisi et emprisonné, sur l’ordre d’un grand
inquisiteur envoyé par le roi, avec
des pouvoirs illimités, pour visiter secrètement les
provinces. Le néophyte fut
enfermé dans une ville, à deux lieues de ma résidence.
Bien qu’il fût arrêté
pour cause de religion, il y avait aussi probablement
quelque autre motif
étranger à la foi. Quoi qu’il en soit, il avait été
assez bien traité, quand le
juge, auquel avait été confié son procès, sembla
vouloir soulever une affaire
plus grave. Il interrogea l’accusé sur notre présence
dans le royaume, sur nos
allées et venues dans son village, sur d’autres
détails fort peu rassurants
pour nous, et ajouta quelques tortures à ses
questions. Le bon vieux répondit
assez adroitement, sut décliner les réponses directes,
et, sans avoir eu le
courage de confesser hautement sa foi, put éviter une
apostasie formelle. L’inquisiteur,
qui n’était pas mal disposé, ne se montra pas
difficile et le chrétien fut
relâché sans bruit, après environ deux mois de
captivité.
« À cette même époque,
un païen ennemi de la religion, et qui en connaît
assez bien tous les secrets
parce que plusieurs de ses parents la pratiquent,
voulut soulever une
persécution générale. Il dressa donc une liste de cent
chrétiens choisis entre
les plus notables, et la fit présenter au grand
inquisiteur. Quand ce chef de
la police la reçut, il était en compagnie d’un autre
mandarin très-haut placé.
Celui-ci, en ayant pris lecture, dit : « Voilà — 445 — d’un seul coup plus de cinq
cents victimes (il parlait des familles des
personnes dénoncées). Est-il juste de faire cette
boucherie, ou bien ne vaut-il
pas mieux ne punir qu’un seul homme ? C’est à vous
d’en décider. » Sur ce, l’inquisiteur
envoie aussitôt ses satellites pour saisir
l’accusateur, et le fait lier de la
corde rouge réservée aux voleurs et aux grands
criminels. Le païen tut battu,
traîné de prison en prison, et eut grand’peine à
obtenir la vie sauve, après
plus de deux mois de détention. J’ignore si la pensée
de dénoncer les chrétiens
lui reviendra encore en tête. Ce châtiment n’est-il
pas un coup de la
Providence ?
« Toujours vers le même
temps, c’est-à-dire fin novembre, des idolâtres
poussés par la cupidité,
voulurent rançonner les néophytes, et, pour y mieux
réussir, contrefirent le
sceau du grand inquisiteur. Les chrétiens reconnurent
la fraude et la
signalèrent au mandarin, qui fit arrêter les
faussaires. L’esclandre avait eu
lieu dans un village situé à deux lieues de ma
retraite. Un des païens
compromis était initié à toutes les affaires de la
mission ; il savait notre
présence dans le pays et connaissait même, dit-on, ma
résidence. Pour se
justifier devant le juge, il accusa nos chrétiens, et
l’un d’eux fut cité au
tribunal du mandarin, qui l’interrogea en termes
très-modérés, cherchant moins
à le mettre dans l’embarras par ses questions qu’à lui
fournir des moyens de
défense.
« Le pauvre homme ne
comprit pas les intentions bienveillantes du juge ; il
perdit la carte et,
disant ce qu’on ne lui demandait pas, se déclara
chrétien. Il n’y avait plus à
hésiter ; le mandarin le fait battre assez légèrement,
et du premier coup
obtient, avec l’apostasie, l’aveu qu’il a chez lui des
livres de religion.
Quelques paroles de dépit, qu’il laisse échapper,
irritent le juge omnipotent
et le font envoyer au chef-lieu militaire de la
province. Bientôt il est mis à
la question, les aveux se confirment et sont aggravés
par les charges de l’accusateur
païen, qui lui aussi avait été transféré à ce nouveau
tribunal. Aussitôt on
envoie des satellites pour chercher les livres
dénoncés. Les satellites de
cette ville sont renommés pour leur férocité, et nos
annales font foi de leur
haine contre la religion ; mais cette fois ils eurent
sans doute une consigne
sévère, car leur conduite fut honnête et digne
d’agents civilisés. Arrivés sur
les lieux, ils font leur visite et ne trouvent rien ;
tous les objets suspects
avaient été cachés. Ils pressent et menacent le père
du prisonnier, lui
déclarant qu’ils ne quitteront son domicile qu’après
avoir atteint le but de
leurs perquisitions. — 446 — Celui-ci se trouble, va
secrètement chercher dans leur cachette les livres
réclamés, et en voulant les retirer, fait tomber une
caisse d’objets religieux,
presque tous venus d’Europe. À ce bruit, les
satellites accourent, mettent la
main sur le tout, et repartent bondissants de joie.
« L’affaire devenait
des plus graves ; les objets européens surtout
allaient provoquer un examen
sévère, et toute la chrétienté se voyait déjà
compromise. Aussi les néophytes
des environs furent bouleversés ; chacun partit à la
débandade, abandonnant son
mobilier et sa récolte. Ce fut un moment de
désolation. Des courriers m’arrivaient
jour et nuit, et les fidèles m’engageaient à fuir,
craignant que mon domicile
ne fût aussi dénoncé. À la vue des nouvelles pièces de
conviction, les
satellites furent expédiés de nouveau pour saisir
quelques chrétiens ; le
village était évacué. Ne trouvant donc personne, les
hommes de police se
bornèrent à d’insignifiantes recherches sur les
montagnes, attendirent quelque
temps, mais en vain, le retour de la population, et se
retirèrent on ne sait
où, sans même avoir visité les villages voisins, chose
inouïe jusqu’à ce jour.
Depuis lors, plus de nouvelles. La conjecture la plus
probable, et confirmée
par des amis de l’inquisiteur, c’est qu’ayant sur nous
les données les plus précises,
il craignit de me faire prendre, incertain de ce qu’en
penserait le
gouvernement, et il continua ses courses sans plus
s’occuper de la question.
Pour notre prisonnier, il dut souffrir encore pendant
quatre mois ; on parvint
à faire intervenir quelques amis du gouverneur, et le
jour de Pâques il reparut
chez les chrétiens. Aucune autre suite ne fut donnée à
ce procès. Sommes-nous
donc en Corée ? Autrefois de telles affaires eussent
causé un embrasement général,
maintenant il semble que chacun cherche à les étouffer
dès l’origine. Cependant
il reste toujours un parti hostile à notre foi, et
depuis le printemps, à
diverses reprises, des menaces se sont fait entendre ;
plusieurs de nos amis
païens en craignent l’effet dans un avenir peu
éloigné. En attendant, nous
marchons, et nous avons encore un peu progressé. Vous
verrez par notre compte
rendu que le chiffre des baptêmes d’adultes est assez
satisfaisant. Nous
remarquons dans certaines localités et surtout à la
capitale un mouvement bien
prononcé ; les catéchumènes se présentent en grand
nombre.
« Les faits édifiants
ne manquent pas. Je veux vous en citer un tout récent,
et qui dure encore. Une
jeune femme, pour éviter de coopérer aux superstitions
dans la maison de son
mari, feint une maladie qui semble lui raidir les bras
et lui coller les — 447 — deux mains contre les
épaules. Depuis deux ans elle se tient, jour et nuit,
dans cette terrible position, sans que sa constance
faiblisse. Elle a dû, en
outre, avaler mille drogues commandées pour la guérir,
et subir des opérations
douloureuses. Mais tout lui parait facile, parce qu’il
s’agit du salut de son
âme. Ce printemps, elle a pu s’échapper un instant de
la maison, et aller
recevoir les sacrements près de Mgr de Capse.
« Plusieurs de ces
vexations domestiques, courageusement supportées il y
a peu d’années, portent
déjà leurs fruits. La constance d’un néophyte nous a
récemment amené au moins
trente ou quarante personnes, aujourd’hui baptisées ou
catéchumènes. D’autres
ont converti seulement leur propre famille, et ces cas
sont fréquents. Certains
villages aussi semblent fortement ébranlés, et nous y
ferons des recrues. Une
nouvelle à laquelle vous ne serez pas insensible,
c’est que nous avons un
catéchumène capable et influent dans la ville où
résident les Japonais. Il s’est
mis en rapport avec le missionnaire, et lui a fait
espérer un noyau de fidèles
pour l’administration qui va commencer. Qu’en
résultera-t-il ? Priez beaucoup
pour cette chrétienté au berceau, mais priez encore
plus pour la grande île.
Vous savez qu’un Coréen avait été sauvé de la mort,
près de Canton, par un
navire anglais, et que, recueilli par notre procureur
de Hongkong, il y fut
baptisé. Ce brave homme est revenu par Péking et
Pien-men. Il eut beaucoup de
peine à se faire recevoir par nos néophytes, mais
enfin sa constance fut
couronnée, et on le reconnut comme un frère. Or, après
avoir vu deux d’entre
nous, il est retourné à Quelpaert dans sa famille,
espérant la convertir tout
entière, et il a promis de venir nous voir l’été
prochain. Vous comprenez
quelles heureuses conséquences aurait la réussite de
ses efforts. Cette île,
qui est fort peuplée, n’a sans doute jamais entendu la
bonne nouvelle. N’est-ce
pas un coup de la Providence que le retour de ce
naufragé converti en apôtre ?
« Je ne puis me refuser
à vous tracer ici une ébauche du bien merveilleux qui
s’opère aujourd’hui dans
une chrétienté perdue au fond de la province du
sud-est. C’est absolument le
grain de sénevé jeté en terre par la main de la
Providence. En 1801, un
chrétien fut envoyé en exil dans cette contrée
lointaine, que d’énormes
montages isolent des autres districts. C’était un
néophyte fervent et capable.
Sa conduite digne et régulière lui gagna tous les
cœurs, et toutefois on ne
cite qu’une famille convertie alors par ses soins.
Plus tard, une seconde
famille fut amenée par la première, mais les fruits ne
se hâtaient pas de
mûrir. Aussi, — 448 — quand nos confrères y firent
l’administration en 1837 et 1838, le peu de
chrétiens qui se trouvaient là, trop éloignés des
autres pour jouir facilement
des secours religieux, émigrèrent pour se rapprocher
de la masse des fidèles.
En 1839, la persécution ne faisant grâce nulle part,
tout fut dispersé ; ne
sachant alors où planter sa tente, une de ces familles
chrétiennes retourna au
pays natal et y trouva le calme. Fidèle à ses devoirs,
et pleine de la ferveur
que les sacrements lui avaient conférée, elle ne cacha
pas sa religion ; d’ailleurs
on avait bien deviné le motif de son émigration. Elle
parla de Dieu aux
parents, puis aux amis, et un nouveau groupe se forma
presque aussitôt. Les
rapports avec d’autres chrétiens ne pouvaient avoir
lieu que de loin en loin ;
mais Dieu seul ne suffit-il pas à celui qui le cherche
d’un cœur droit ? Chaque
jour le petit troupeau croissait en nombre et en
ferveur ; et quand nous y
arrivâmes en 1845, il y avait déjà environ cent
cinquante catéchumènes, sans
compter beaucoup d’autres qui avaient émigré pour se
rapprocher des centres
chrétiens. Huit et dix jours de marche n’effrayèrent
pas ces fervents
néophytes. N’ayant pu me rendre dans leurs montagnes,
j’en vis arriver vingt ou
trente dans Phi ver de 1846, et parmi eux quelques
femmes. Les impressions que
j’éprouvai à la vue de ces frères, venus comme d’un
autre monde, étaient plus
fortes encore dans leurs âmes attendries. Ces braves
gens, d’une simplicité
admirable qui est, ce me semble, le caractère propre
de cette contrée
lointaine, joignent à cette heureuse disposition une
foi profonde et une grande
fermeté. Ils ne voyaient en moi que l’envoyé de Dieu,
et des pleurs continuels
témoignaient de leur bonheur : aurais-je pu rester les
yeux secs ? Je promis de
faire tous mes efforts pour aller bientôt les visiter,
et de retour chez eux, l’ardeur
de leur prosélytisme, doublée par la grâce des
sacrements, échauffa leurs
voisins et augmenta le nombre des catéchumènes.
« En 1847, je partis
pour ce pays ; mais j’en étais encore bien loin, quand
un accident impossible à
réparer m’empêcha de continuer mon voyage. Même
tentative en 1848, et cette
fois encore obstacles insurmontables. Ces pauvres
délaissés, en voyant leurs
courriers revenir seuls, se réunirent à l’oratoire, et
tournés vers l’autel que
surmontait un crucifix, poussèrent de longs
gémissements. Ce ne fut qu’au
commencement de 1850 qu’ils purent enfin recevoir chez
eux le P. Thomas T’soi.
Qui pourrait décrire le spectacle touchant qu’il eut
sous les yeux pendant le
peu de jours qu’il put leur accorder ? — 449 —
« Cependant, chaque
année de nombreuses émigrations sortent de ces
montagnes, le mouvement prend un
accroissement rapide, et le prêtre, à chacune de ses
visites annuelles, confère
le baptême à beaucoup de nouveaux frères. Notre culte
est un fait publie ; le
catéchiste est connu comme tel par tous les habitants,
et chaque jour quelque
idolâtre vient lui demander ce que c’est que
l’Évangile. Loin de désigner ici
notre foi par un terme de mépris, comme on le fait
ailleurs, on ne l’appelle
que la sainte Religion ! Le gouverneur a connaissance
de ces faits ; mais comme
il croit que presque tout le peuple y prend part, et
qu’il ne pense pas pouvoir
arrêter le mouvement, il se tait ; d’ailleurs les
prétoriens sont pour nous, et
savent par leurs rapports aux mandarins prévenir les
mesures rigoureuses. Il y
a bien quelques vexations de la part des païens, mais
jusqu’à présent on a pu
leur tenir tête. Ainsi, il y a trois ans, un grand
village, poussé par son
chef, tint conseil et décréta de chasser tous les
chrétiens établis sur son
territoire. Sur ce, le chef étant allé passer quelques
jours chez un païen de
sa connaissance, leur entretien roula sur la religion.
L’ami en parla
favorablement, et dit que surtout il fallait bien se
garder de toucher aux
chrétiens, parce que ce serait s’exposer à de graves
accidents. Notre homme
revint donc au village, bien décidé à révoquer le
décret d’expulsion ; mais
pendant son absence, l’ordre avait été déjà intimé aux
fidèles de déguerpir,
et, sur leur refus, des dommages commis et un néophyte
blessé. Le chef, dont
les idées étaient changées, se mit en colère de ce
qu’on avait fait cette
démarche sans lui, punit sévèrement ceux qui avaient
molesté les chrétiens et
se posa en protecteur de la religion, qui continue de
faire des prosélytes.
« Vers la même époque,
un païen de la capitale va passer un mois ou deux dans
ce pays pour ses
affaires. Le bruit public lui apprend que tels et tels
sont chrétiens ; il les
fréquente et, les trouvant d’une rare probité, leur
demande à connaître la
religion. Son désir est aussitôt satisfait ; il lit
nos livres de prières,
devient l’ami des chrétiens, avoue que leur foi est
bonne, et, touché de la
misère de ces pauvres gens qui ne pouvaient se bâtir
un oratoire convenable, il
leur donne cent francs pour aider à la construction
d’une église.
« Il y a deux ans, un
de nos néophytes a été exilé dans le chef-lieu de ce
district. Chrétiens,
païens, prétoriens, tous lui sont favorables, et il
vit là beaucoup mieux qu’il
n’eût pu faire dans son pays. Il a appelé près de lui
sa famille, et pratique
fort tranquillement son culte. Quelques personnes
influentes, gagnées sans — 450 — doute par l’exemple de sa
vertu, ont reçu le baptême. Cette chrétienté est
aujourd’hui dans un état bien consolant :
l’administration y a eu lieu, l’automne
passé, dans huit stations différentes. Le prêtre n’a
pas à se cacher des
païens, qui s’informent de lui avec intérêt : c’est
vraiment la liberté. On
parle de dix ou douze stations pour l’an prochain. Un
village de treize
maisons, tout récemment converti, a envoyé une
députation pour solliciter la
visite d’un prêtre. N’est-ce pas admirable, que tous
ces fruits de salut soient
l’œuvre d’un seul exilé ? Puisse ce petit coin de
terre, qui doit sa
tranquillité à son isolement, nous amener encore bon
nombre d’adorateurs du
divin Maître ! » |