DEUXIÈME
PARTIE (Index)
LIVRE
III Depuis
la fin de la persécution jusqu’à la mort de Mgr
Ferréol, troisième vicaire apostolique de Corée. 1840-1853.
— 322 — CHAPITRE V. Les martyrs de 1846.
— Établissement de l’Archiconfrèrie. — Travaux des
missionnaires.
Après la mort d’André
Kim, il restait encore en prison huit confesseurs,
qui n’avaient pas voulu
acheter leur liberté au prix de l’apostasie. Le 19
septembre, dernier jour de
la septième lune, le roi donna ordre au grand juge
criminel Im Seng-kou, de
terminer leur procès en les mettant à mort. Charles
Hien, le principal d’entre
eux, eut la tête tranchée de la même manière
qu’André Kim ; il reçut dix coups
de sabre. Les sept autres furent étranglés dans la
prison, après avoir été
presque assommés à coups de planche. Aussi, quand on
leur passa la corde au
cou, n’avaient-ils plus qu’un souffle de vie. Voici
leurs noms, avec une courte
notice sur chacun d’eux.
Charles Hien naquit
dans la capitale, d’une famille honorable. Son père,
Hien Kiei-heum-i, avait
été martyrisé dans la persécution de 1801 ; dans
celle de 1839, son épouse et
son fils moururent en prison, et sa sœur Benoîte
expira sous la hache du
bourreau. Charles fut pendant de longues années à la
tête des affaires de la
mission. Il vint chercher Mgr Imbert à la frontière
de Chine, et accompagna
toujours M. Chastan dans l’administration des
chrétiens. En allant à la mort,
Mgr Imbert le chargea de recueillir les actes de
ceux qui verseraient leur sang
pour Jésus-Christ, et de prendre soin de l’Église
coréenne pendant son veuvage.
Recherché durant trois ans par les satellites, il
fut obligé de se déguiser et
de demander un refuge aux plus pauvres chaumières et
aux antres des montagnes.
Pendant l’absence des prêtres, il ne cessa
d’encourager les néophytes, et les
aida à se reconstituer en chrétienté ; il envoya
plusieurs fois des courriers
en Chine pour renouer les communications et fit
lui-même partie de l’expédition
de Chang-haï. Quand la persécution éclata, il se
trouvait seul à la capitale,
et dut mettre ordre à toutes les affaires. Il venait
de changer de maison, et
de transporter dans sa nouvelle demeure une partie
de l’argent et des effets de
la mission, lorsque, le 17 de la cinquième lune
intercalaire, les satellites
entrèrent chez lui, le saisirent avec quatre autres
personnes, et le jetèrent
en prison. Il n’eut pas de tourments à — 323 — supporter, et fut
assez bien traité jusqu’au moment où on le condamna
à
mort comme ennemi de l’État et chef secondaire des
chrétiens.
Malgré cette fin
glorieuse, un nuage épais est resté sur la mémoire
de Charles Hien. À l’époque
de son arrestation, il vivait maritalement avec
Catherine Tsieng, surnommée
Tok-i, qui fut saisie avec lui et mise à mort le
même jour. Les missionnaires
ignoraient le fait, et très-peu de chrétiens en
avaient alors connaissance,
mais néanmoins la chose est hors de doute. Était-ce
un concubinage, ou, comme l’ont
affirmé quelques-uns, un mariage clandestin, que
Charles n’osait avouer parce
que Catherine était une esclave ? on n’a jamais pu
le savoir d’une manière
certaine. La dernière opinion semble beaucoup plus
probable, car l’un et l’autre
moururent courageusement pour Jésus-Christ, et
refusèrent de racheter leur vie
par un mot ou un signe d’apostasie.
Les quatre personnes
arrêtées avec Charles Hien étaient Catherine Tsieng,
Agathe Ni, Suzanne Ou, et Thérèse
Kim.
Catherine, esclave d’un
noble païen nommé Kim, fut instruite de la religion
par un des membres de la
famille de son maître, et se mit à la pratiquer avec
beaucoup de ferveur. Elle
était âgée de vingt ans, quand un jour, au solstice
d’hiver, on voulut la
forcer de prendre part aux superstitions
habituelles. Elle refusa
énergiquement, et son maître furieux lui fit lier
les bras derrière le dos, et
attacher au corps une grosse meule ; puis on la jeta
ainsi garrottée sur un tas
de bois, jusqu’à la fin des cérémonies. La fête
terminée, Kim la battit
lui-même si cruellement que tout son corps n’était
plus qu’une plaie ; elle
tomba sans connaissance, et ne fut guérie qu’après
quatre ou cinq semaines. Le
jour des sacrifices du printemps, la même scène se
renouvela avec plus de
violence encore ; son maître voulait la tuer sur
place. Aussi, à peine
rétablie, Catherine s’enfuit secrètement à la
capitale, où elle put vivre chez
les chrétiens dans la pratique tranquille de la
religion. Elle demeurait comme
servante dans la maison du P. André Kim, lorsqu’elle
fut arrêtée avec Charles
Hien. — Agathe Ni avait été mariée à l’âge de
dix-huit ans. Devenue veuve trois
ans plus tard, elle eut le bonheur d’entendre parler
de la religion, se
convertit et fut baptisée par le P. Pacifique. Elle
réussit ensuite à amener à
la foi sa belle-mère et deux autres personnes de sa
maison. Quand éclata la
persécution de 1846, elle se cacha pendant quelque
temps, mais à la cinquième
lune, elle fut rencontrée et saisie par les
satellites, dans la maison de
Charles Hien où se elle trouvait en passant. Agathe
sans changer de — 324 — couleur leur dit : «
Allons d’abord chez moi afin que je prenne quelques
vêtements et partons. » On ignore les
interrogatoires et les supplices qu’elle
eut à subir. Quelques-uns disent qu’elle eut un
instant la tentation d’apostasier,
et qu’elle commençait à ne plus répondre aussi
franchement dans les tortures,
quand les exhortations de deux chrétiens ranimèrent
son courage. — Suzanne Ou,
d’une famille noble du district de Iang-tsiou,
mariée à l’âge de quinze ans à
un chrétien de In-tsien, fut convertie par son mari.
Arrêtée une première fois
en 1828, et conduite devant le mandarin, elle aurait
été condamnée à mort, mais
comme elle était enceinte de plusieurs mois, le juge
se contenta de lui faire
subir des tortures dont elle se ressentit toujours
depuis, et la renvoya après
deux mois de prison. Devenue veuve, elle émigra, en
1841, à la capitale où elle
se fit remarquer par sa vertu. Elle gagnait sa vie
comme domestique dans
diverses maisons chrétiennes, s’appliquant à la
prière, à l’humilité, à la
patience, supportant avec joie la pauvreté, et les
mauvais traitements. Sa
seule peine, son seul regret étaient d’avoir manqué
l’occasion du martyre. En
1846, au moment de la persécution, elle demeurait
chez Agathe Ni, et fut prise
avec elle. — Thérèse Kim, née à la capitale, prit à
dix-sept ans la résolution
de garder la virginité, et n’eut plus d’autre pensée
que le service de Dieu et
le salut de son âme. À l’âge de vingt ans, elle
perdit son père, et demeura
quelque temps chez son frère, Pierre Kim, puis
successivement chez quelques
autres parents. Après la persécution de 1839, elle
se retira chez la mère
adoptive du martyr Jean Ni, et pendant cinq ans, les
deux femmes se soutinrent
mutuellement par leur travail. En 1844, Thérèse
entra au service du P. André
Kim, et se trouvait encore dans sa maison à la
capitale, quand le prêtre fut
pris en province. Elle quitta de suite cette maison,
et chercha à se cacher,
mais à la cinquième lune, elle fut arrêtée en
compagnie de Charles Hien. —
Thérèse avait trente-six ans, Catherine trente, et
Agathe trente-trois. Suzanne
était âgée de quarante-quatre ans.
Pierre Nam était d’une
famille honnête de la capitale. Son père, chrétien
dès avant 1801, mourut trop
tôt pour lui communiquer la foi, et Pierre laissé à
lui-même ne se convertit qu’à
l’âge de vingt ans, à la suite d’une maladie pendant
laquelle il fut ondoyé.
Quand les missionnaires entrèrent en Corée, sa
ferveur le fit nommer
catéchiste. En 1839, il fut pris et ensuite relâché
par l’intermédiaire de ses
frères païens. S’il évita à cette occasion
l’apostasie proprement dite, du
moins prononça-t-il quelques — 325 — paroles équivoques
dont il se repentit beaucoup dans la suite ; aussi
disait-il souvent qu’il désirait, en expiation,
donner sa vie pour Dieu. La
persécution de 1846 lui en fournit l’occasion. Il
avait un grade dans une
compagnie de soldats de la capitale, lorsqu’à la
cinquième lune intercalaire,
il fut dénoncé par un chrétien de la province, saisi
et conduit au grand juge
criminel. Ce magistrat lui dit : « Si tu veux
apostasier, non-seulement je te
conserverai la vie, mais je te promets que tu ne
perdras pas ta place. » Pierre
s’y refusa et aussitôt on le frappa si violemment
que les bâtons de supplice se
brisèrent. Trois jours après, il fut conduit devant
un autre tribunal, et on
appela une dizaine de ses camarades pour tâcher de
le faire changer de
résolution. Paroles séduisantes, témoignages
d’affection, menaces, tout fut mis
en jeu, mais inutilement. « J’ai bien réfléchi, dit
Pierre aux juges, j’ai bien
réfléchi sur la vie et sur la mort, et c’est après
mûre réflexion que j’ai
parlé, veuillez ne plus m’interroger là-dessus. J’en
serai quitte pour mourir.
» Il était en prison depuis trois mois, quand arriva
l’ordre du roi. On croit
qu’il avait alors quarante ans.
Laurent Han Pieng-sim-i
était d’une famille noble du district de Tek-san.
D’un caractère droit, dévoué
et ferme, il fut instruit de la religion à l’âge de
quatorze ans, et l’embrassa
de suite avec ardeur. Il restait souvent des heures
entières en contemplation
devant le crucifix, et s’excitait à une vive
contrition de ses fautes. Les
dimanches et jours de fête, il allait faire ses
exercices de piété dans un
village chrétien à dix lys de chez lui, et ni la
pluie, ni le vent, ni le
mauvais temps ne pouvaient le retenir. À l’âge de
vingt-un ans il se maria à
une chrétienne, et émigra aussitôt dans les
montagnes.
Comme il ne manquait
jamais de soulager les pauvres et de secourir ceux
qui étaient dans le besoin,
il y avait toujours chez lui une grande affluence et
sa maison ressemblait à
une auberge. Il recevait tous les indigents avec
joie, et s’il en rencontrait
dont les vêtements fussent par trop misérables, il
leur donnait ses propres
habits. Quand on lui disait qu’il poussait les
choses trop loin, il répondait :
« Couvrir la nudité du prochain et rassasier sa faim
ce n’est pas donner gratis
; le temps viendra de tout recevoir de Dieu à gros
intérêts. » Le jour il se
livrait à la culture, mais, quelque pressés que
fussent les travaux, il ne
travaillait jamais l’après-midi des jours chômés
[1]. Chaque nuit [1] En Corée, comme
en Chine, au Tong-King, et dans quelques autres
missions de l’extrême Orient, les chrétiens peuvent,
d’après une ancienne
permission du Saint-Siège, travailler le dimanche
depuis midi. — 326 — il faisait une heure
ou une heure et demie de méditation. Pendant le
carême
il jeûnait tous les jours.
À l’arrivée de Mgr
Imbert, Laurent fut établi catéchiste. Son
instruction, ses vertus, les bons
exemples qu’il n’avait cessé de donner, le rendaient
digne de ce poste de
confiance, et il s’acquitta de ses fonctions à
l’entière satisfaction de tous.
En 1846, il alla se cacher pendant quelque temps
pour attendre l’ordre de Dieu.
À la septième lune, les satellites de la capitale,
au nombre d’une vingtaine,
envahirent le village d’Eu-tji où il habitait,
cernèrent sa maison et saisirent
d’abord toute sa famille, puis ayant de suite
relâché les autres, ils
dépouillèrent Laurent de ses vêtements, le
suspendirent à une poutre, et le
battirent cruellement en lui disant d’apostasier et
de dénoncer ses complices.
Laurent s’y refusa. Alors ils lui lièrent les
jambes, et mettant entre ses deux
pieds de petits morceaux de vaisselle brisée, ils
les entourèrent d’une grosse
corde qui, tirée alternativement de l’arrière et de
l’avant, lui sciait et lui
broyait les chairs. Laurent supporta cet horrible
supplice avec une patience
telle que ses bourreaux disaient aux autres
néophytes : « Si vous voulez être
vraiment chrétiens, il faut l’être comme Laurent. »
On lui fit prendre ensuite
la route de la capitale ; les satellites voulurent
le faire monter à cheval,
mais il refusa absolument, et ses blessures
l’empêchant de faire usage de
souliers, il fit, pieds nus, ce chemin de plus de
cent lys : c’était pour
suivre Jésus allant au Calvaire chargé de sa croix.
Il fut étranglé, à l’âge de
quarante-huit ans.
Le dernier de cette
troupe bénie était Joseph Nim Koun-tsip-i. Né dans
un village sur les bords du
fleuve de la capitale, Joseph perdit sa mère de
bonne heure, et son père, qui
était riche et n’avait que ce seul enfant, l’aimait
trop pour lui faire jamais
de sévères réprimandes. Malgré cette faiblesse qui
présida à son éducation, le
cœur de Joseph, naturellement porté à la piété
filiale et à l’obéissance, resta
simple et vertueux. Après avoir fréquenté les écoles
pendant une dizaine d’années,
pour s’initier à la connaissance des caractères
chinois, il s’occupa avec
ardeur du tir de l’arc et des autres exercices du
corps. Il aimait la musique,
la poésie, cultivait les arts, et par suite se
trouvait lié avec une foule de
jeunes gens adonnés aux plaisirs ; mais, au milieu
de tous ces divertissements,
on ne vit jamais paraître en lui rien de coupable ou
de désordonné, et il sut
conserver l’estime de tous ceux qui le
connaissaient.
Vers l’an 1830, il
entendit, pour la première fois, parler de la
religion chrétienne. La force de
la vérité le convainquit aussitôt ; — 327 — mais il ne put se
décider à rompre tout d’un coup avec ses nombreux
amis,
et remit sa conversion définitive à une autre
époque. Cependant il avait pleine
confiance dans les chrétiens, les aimait comme des
frères, et était heureux de
pouvoir soulager ceux qui étaient dans le besoin. Il
entretenait
continuellement chez lui quatre ou cinq de ceux
qu’il savait être sans appui ni
ressources. En 1835, une persécution s’étant élevée
dans le village où il
habitait, et plusieurs chrétiens ayant été pris, il
fit tous ses efforts pour
protéger les autres, s’enrôla volontairement dans
les rangs des satellites, et
parvint ainsi à rendre aux fidèles des services
signalés. Plus tard, il émigra
au village de San-kaï ; les allées et venues
continuelles des chrétiens dans sa
maison le firent bientôt soupçonné par les voisins
qui, en conséquence, ne lui
épargnèrent ni les injures, ni les calomnies ; mais
il ne daigna pas s’en
émouvoir.
À la cinquième lune de
1846, son fils accompagna en mer le P. André Rim, et
fut pris avec lui. Dès que
Joseph en eut connaissance, il monta en bateau et se
rendit droit au village où
l’arrestation avait eu lieu ; déjà son fils avait
été conduit à la préfecture
maritime de Ong-tsin. Joseph poursuivit son chemin,
sans cacher qui il était,
se livra lui-même, et fut emprisonné ; mais on ne
lui permit pas de voir son
fils. Peu de jours après, tous deux furent envoyés
sous escorte à la capitale,
et pendant toute cette longue route, ils ne purent
ni se voir ni se parler.
Arrivé à la capitale, Joseph fut écroué à part dans
la prison des voleurs, et
rencontra tout d’abord le père André Kim. Cette vue
lui causa une émotion
étrange, et prenant immédiatement une résolution
définitive : « Dès aujourd’hui,
dit-il au prêtre, je pratiquerai la religion. J’ai
déjà attendu trop longtemps.
» Le P. André lui expliqua que son emprisonnement
était une grande faveur de
Dieu, qu’il devait s’efforcer d’y répondre avec
soin, et rester fidèle jusqu’à
la mort. Joseph le promit, commença de suite à
apprendre les prières, et, après
quelques jours de préparation, fut baptisé par le
prêtre. Des satellites liés
autrefois d’amitié avec lui, voyant sa
détermination, voulurent lui sauver la
vie, et à cet effet, tentèrent par d’insidieuses
paroles, de le faire tomber
dans l’apostasie, mais Joseph les repoussa en disant
: « Je suis résolu à
mourir pour Dieu qui est mon roi et mon père, je
suis un homme mort, pourquoi
adresser tant de discours à un mort ? ne me parlez
plus de cela. » Peu après,
les satellites revinrent accompagnés de ses deux
fils et de ses deux
belles-filles, et firent de nouvelles instances : «
Voyez vos enfants,
pourriez-vous — 328 — être insensible à
leur sort, lorsque d’une seule parole vous pouvez
leur
conserver l’existence et aller vivre tranquillement
avec eux ? pourquoi donc
les abandonner ? pourquoi mourir ? Où sont les
sentiments de votre cœur ? où
est votre raison ? » Joseph répondit : « Voulez-vous
donc que par affection
naturelle pour mes enfants, j’en vienne à renier
Dieu dont je suis moi-même l’enfant
? c’est impossible. » L’intérêt que lui avaient
porté les satellites se changea
alors en fureur ; ils le chargèrent d’injures
grossières, puis le suspendirent
la tête en bas, et le battirent de verges. Joseph
reçut les coups avec joie : «
Vous battez un mort, » leur disait-il, « et malgré
vos coups je ne ferai pas d’autre
réponse ; vous vous fatiguez en vain. »
Après trois mois de
prison, le 27 de la septième lune, il apprit que le
grand juge devait tenir
séance, et le mettre à mort. Transporté de joie, il
dit aux chrétiens
prisonniers avec lui : « On dit qu’à la séance
d’aujourd’hui on doit me faire
mourir. Je n’ai aucun mérite ; mais si par un
bienfait spécial de Dieu je puis
mourir le premier et aller au ciel, je viendrai vous
prendre par la main et
vous introduire dans le royaume de notre Père.
Surtout, ayez bon courage. » Un
quart d’heure après, le grand juge le fit amener, le
fit mettre à genoux devant
son tribunal, et lui dit : « Est-il vrai que tu
pratiques la religion du Dieu
du ciel ? — Oui, depuis mon arrivée à la prison,
j’apprends les prières. —
Récite les dix commandements. — Je ne sais pas
encore les réciter tous. — Si tu
ne sais pas même les dix commandements, comment
pourrais-tu aller au ciel ?
Pour aller au ciel il faut être instruit comme
Mathias Ni que voilà [1]. »
Joseph branla la tête, et répondit d’un ton de voix
élevé : « Un enfant ne
peut-il donc pas avoir de piété filiale, sans être
lettré ? Non, il est clair
que les enfants ignorants peuvent aussi bien que les
autres remplir tous leurs
devoirs envers leurs parents ; et moi, quoique
ignorant, je sais très-bien que
Dieu est mon père, et cela suffit. — Assez de
paroles inutiles ; si tu
apostasies, je te laisserai vivre, sinon je vais te
mettre à mort. — Devrais-je
mourir dix mille fois, je ne puis renier Dieu. — Tu
n’es compromis en rien dans
toute cette affaire, pourquoi veux-tu abso- [1] Mathias Ni était
le fils de Pierre Ni Seng-houn-i, qui après avoir
introduit l’Évangile en Corée, en 1784, désola les
chrétiens par ses apostasies
réitérées. Mathias était un lettré assez distingué.
Il avait été arrêté en
1846, on ne sait pourquoi, car depuis la persécution
de 1839, il suivait les
errements de son père, et vivait exclusivement avec
les païens. Il fut relâché
quelque temps après le martyre de Joseph. — 329 — lument mourir ? c’est
bien singulier ! Eh bien ! n’apostasie pas, dis
seulement que tu vas t’en aller d’ici, et je te
relâche de suite avec tes deux
fils. — J’ai fait promesse de mourir avec le prêtre.
— Avec le prêtre ! mais le
prêtre ne doit pas mourir ; au contraire, le
gouvernement a l’intention de lui
donner un titre et une dignité, veux-tu donc mourir
tout seul ? — J’ai entendu
ce que m’a dit le prêtre, et je sais qu’il ne peut
en être comme vous le dites.
»
Le juge lui fit subir
la puncture des bâtons, puis, par trois fois,
l’écartement des os, et comme
Joseph laissait échapper quelques cris de douleur,
il lui dit : « Si tu jettes
un seul cri, je le prendrai pour un acte
d’apostasie. » Joseph se tut ; il
semblait être évanoui. On cessa les supplices, et on
l’entraîna dehors. Arrivé
à la prison, son air était souriant comme à
l’ordinaire. « Je ne sais, »
disait-il, « si j’ai subi des tourments, je ne
m’aperçois de rien ; » et il s’étendit
à terre calme et tranquille. Bientôt après voyant
rentrer Pierre Nam couvert de
plaies et traîné par les bourreaux, il se leva,
s’approcha de lui et se mit à
le consoler et à soigner ses blessures. Joseph eut à
passer par de nouveaux
interrogatoires et de nouveaux supplices ; sa foi et
son courage ne se démentirent
pas un instant. Enfin, le dernier jour de la
septième lune, ordre fut donné de
le faire mourir sous les coups. On le frappa depuis
midi jusqu’au coucher du
soleil ; les bourreaux étaient épuisés de fatigue.
Puis, comme il respirait
encore, on le porta à la prison, et on l’étrangla.
Il avait quarante-trois ans.
Le lendemain, ses deux
fils se livrant à la douleur, les geôliers et les
autres prisonniers leur
dirent : « Ne vous affligez pas, la nuit passée une
lumière extraordinaire a
enveloppé le corps de votre père, et a rempli la
chambre où il était déposé. »
Puis deux des geôliers, sous l’impression du prodige
dont ils avaient été
témoins, firent ce qui peut-être ne s’était jamais
vu en ce pays ; ils
emportèrent respectueusement les restes du martyr,
et allèrent les enterrer
avec honneur, sur une colline, à environ dix lys
(une lieue) de la prison.
La persécution de 1846
ne fit pas d’autres victimes. En apprenant
l’arrestation du P. André, les
chrétiens, saisis de crainte et se rappelant les
horreurs des persécutions
précédentes, s’étaient hâtés de cacher les objets de
religion, et tout ce qu’ils
possédaient. Ils s’attendaient à un pillage général,
et leur petit avoir fut
bientôt enfoui sous terre, ou transporté dans les
montagnes, ou déposé chez des
païens. Dans plusieurs endroits, les néophytes — 330 — abandonnèrent leurs
récoltes sur pied, et s’enfuirent ; d’autres
restèrent
dans leurs maisons, mais après avoir pratiqué des
trous dans les haies et dans
les murailles, afin de s’échapper au premier signal.
Ils couchaient tout
habillés, les pieds chaussés, ayant pour oreiller le
petit paquet où étaient
liés ensemble les objets de première nécessité.
Grâce à Dieu, ces précautions
furent à peu près inutiles. Il y eut, comme toujours
en pareil cas, une recrudescence
de vexations locales, des chrétiens battus et
pillés, des femmes enlevées, des
maisons détruites, des récoltes incendiées ; la
mission perdit presque tout ce
qu’elle possédait ; mais tout cela était
relativement de peu d’importance. On
eût dit que les mandarins, obéissant à un mot
d’ordre, refusaient de se mêler
des affaires des chrétiens. Ils laissaient agir
leurs satellites, et ceux-ci se
plaignaient et accusaient les magistrats de
favoriser secrètement la nouvelle
religion.
Dès le commencement des
troubles, Mgr Ferréol et M. Daveluy, qui avaient
déjà administré plus de six
mille chrétiens répandus dans les provinces, durent
cesser la visite des
chrétientés, et se réfugier dans un lieu moins
exposé. Les lettres en
caractères européens saisies dans la barque d’André
Kim, pouvaient faire
soupçonner la présence des étrangers. Une parole
imprudente, arrachée par la
crainte ou par les tortures, pouvait devenir le
signal de poursuites acharnées
contre les missionnaires, et la cause des plus
grands désastres. « Nous étions
ensemble, » écrit Mgr Daveluy, « dans un misérable
réduit, équivalant à une
prison. C’était au mois de juillet, au moment des
plus fortes chaleurs.
Impossible de rester dans une salle chauffée sans
cesse par le fourneau de la
cuisine. Plusieurs fois nous essayâmes de passer la
nuit dans la chambre, mais
la vermine y était si abondante que nous ne pûmes
fermer l’œil ; force fut de
nous établir en dehors, sur l’arrière de la maison.
Une natte large d’environ
trois pieds, nous a servi de lit pendant deux mois,
et le jour et la nuit. Elle
était posée sur la terre humide et pendant les
grandes pluies qui abondent à
cette époque, une autre natte nous servait d’écran.
La nourriture répondait au
luxe de l’appartement. On craignit que la maladie ne
vînt nous visiter, et nous
nous séparâmes pour chercher d’autres gîtes. Après
quelques semaines, nous nous
réunîmes de nouveau. »
« Aujourd’hui nous
pensons que l’alerte est terminée ; notre présence
n’est pas connue, peut-être
est-elle soupçonnée. Toutefois, nous pensons nous
remettre bientôt en campagne,
pour — 331 — terminer
l’administration des chrétiens. Serons-nous arrêtés
? Et si on
nous prend, quel sera notre sort ? Dieu seul le
sait. Je me porte fort bien. J’ai
fait ici en courses, abstinences, jeunes, etc., ce
que je n’aurais pu faire
même en France. On ne meurt donc pas pour quitter
son pays et changer de
climat. Au contraire, on ne s’en porte que mieux.
Monseigneur ne peut guère se
faire à la nourriture ; mais il a la grâce spéciale
de vivre sans manger. Pour
moi, je m’y suis accoutumé un peu mieux, je mange du
riz, puis du riz, et
encore du riz. Je bois du vin de toutes les
qualités, fabriqué de toute espèce
de drogues, du vin que les aveugles avaleraient plus
volontiers que les autres
mortels, mais n’importe. À vrai dire, après un
carême pareil, je suis tenté de
croire que, peu à peu et avec de la patience, on
parviendrait à vivre sans
manger. En France, ce serait difficile ; voilà une
merveille de plus à noter
sur ce pays si peu connu. »
Cette fois, les
missionnaires en furent quittes pour les petites
misères dont nous venons de
parler. Toutes les lettres européennes saisies
furent attribuées au P. André
lui-même. La Providence ne permit pas que l’Église
de Corée fût privée sitôt
des pasteurs qu’elle avait si longtemps attendus.
Après la mort des martyrs, le
calme se rétablit assez vite ; les chrétiens qui
avaient fui revinrent dans
leurs foyers, et les missionnaires recommencèrent
l’administration des
sacrements. Mais avant de se séparer pour la visite
des diverses provinces, ils
voulurent se placer d’une manière spéciale sous une
toute-puissante protection.
Depuis sept ans la
Corée avait reçu du Saint-Siège pour sa patronne la
très-sainte Vierge Marie,
sous son titre glorieux d’Immaculée. C’était Elle,
c’était cette étoile de la
mer qui avait servi de phare à André Kim dans son
périlleux voyage ; c’était
Elle qui avait été la boussole de la petite barque Raphaël, à son retour en Corée. Son
image était constamment
déployée au pied du mât ; on l’invoquait le jour, on
l’invoquait la nuit, et
les missionnaires croyaient avec raison que c’était
par son secours qu’ils
avaient échappé à tous les dangers de la mer et de
la persécution. Ils
résolurent donc de lui témoigner leur
reconnaissance, en érigeant en Corée
l’archiconfrérie
de son Cœur Immaculé, archiconfrérie dont le siège
est à Paris, dans l’église
de Notre-Dame-des-Victoires. La difficulté était de
trouver un lieu propice
pour exécuter leur projet ; ils n’avaient pas de
chapelles, et les réunions
nombreuses de chrétiens étaient impossibles. Ils
firent choix d’une petite
cabane où habitait, dans un lieu retiré, la famille
d’un fervent néophyte. C’est
là que la confrérie fut — 332 — érigée le 2 novembre
1846, en présence de quelques chrétiens, heureux de
cimenter une nouvelle alliance avec Marie. Il fut
réglé que chaque dimanche, un
petit nombre de fidèles viendraient réciter quelques
prières devant l’image de
la Mère de Dieu, en union avec les associés répandus
dans tout l’univers. Quatre
jours après, les missionnaires écrivirent une lettre
à M. Desgenettes, curé de
Notre-Dame-des-Victoires, pour le prier d’inscrire
sur son registre la petite
association ainsi érigée dans la vallée de
Sour-itsi-kol. « Quelle douce
émotion pour moi, » écrivait plus tard M. Daveluy, «
quand, le dimanche, j’entends
les prières en langue coréenne de nos associés de
l’archiconfrérie ! Je pense à
ce concours de tous les peuples, à ce chant de
toutes les langues réunies pour
célébrer les louanges de Marie et implorer la
conversion des pécheurs. Daigne
cette bonne Mère nous faire part des bienfaits sans
nombre qu’elle a répandus
sur tant d’autres pays ! »
Après avoir ainsi
satisfait leur dévotion, les missionnaires, couverts
de l’habit de deuil qui
habituellement les cache aux regards indiscrets,
reprirent la visite des
chrétientés, pour l’administration annuelle des
sacrements. « Les fatigues et
les peines de ces sortes de visites, » dit M.
Daveluy, « sont quelquefois bien
grandes. La longueur et le mauvais état des routes,
les complications d’une
langue peu connue, l’ignorance des chrétiens, leur
grossièreté, tout concourt à
multiplier les difficultés. Les Coréens, jaseurs et
indolents, s’instruisent
fort peu en l’absence des prêtres. Ils ne sont pas
indifférents pour la
religion, mais leur esprit borné leur fait croire à
l’inutilité de l’instruction
religieuse, alors qu’il n’y a pas de missionnaires
en Corée : de là vient chez
beaucoup une grande ignorance des vérités
fondamentales du christianisme. Par
exemple, il leur est arrivé de baptiser une païenne
le jour de son mariage avec
un chrétien, sans qu’elle sût de quoi il était
question. Elle crut que l’effusion
de l’eau sur la tête était une cérémonie du mariage
des chrétiens, car elle n’avait
aucune idée du baptême. De cette ignorance naissent
de grandes difficultés : il
faut débrouiller leurs mariages, examiner leurs
baptêmes, et souvent, après l’examen
le plus sérieux, on a peine à s’y reconnaître. Ils
ont la foi vive, de bons
désirs, mais ils sont presque toujours seuls, sans
secours, sans prêtres ;
comment n’y aurait-il pas beaucoup de misères ? Les
enfants sont négligés ; on
craint de se compromettre en les initiant à la
connaissance de la religion.
« Mais ce qui nous
édifie et nous console, c’est l’empressement — 333 — de ces pauvres gens à
participer aux sacrements aussitôt qu’ils le
peuvent.
Cette année, je devais visiter environ cinq cents
chrétiens disséminés à de
grandes distances les uns des autres. J’allais
partir, lorsque des affaires
politiques assez graves firent couvrir les routes de
satellites et d’espions ;
il fallut nous cacher de nouveau, et, après être
restés inactifs pendant un
mois, ajourner indéfiniment mon voyage. Quelle
nouvelle pour ces pauvres
néophytes ! huit ans entiers, ils avaient attendu le
Père, et au dernier
moment, de nouveaux obstacles l’empêchaient de venir
à eux ! Un grand nombre d’entre
eux accoururent aussitôt où je me trouvais. Des
femmes avec leurs enfants à la
mamelle, des vieillards, des jeunes filles ne
craignirent pas de faire quatre,
six et même huit journées de chemin, pour venir
chercher la grâce des
sacrements, et cela par un froid rigoureux, à
travers la neige des montagnes.
Arrivés près de moi, ils étaient épuisés de
lassitude ; souvent leurs pieds
étaient enflés, écorchés et saignants ; mais
n’importe. Auprès du Père, toute
leur fatigue cessait ; ils tombaient à mes pieds,
fondant en larmes,
recouvraient la paix de leur conscience, puis
recommençaient leur longue route
avec joie. Ainsi vinrent deux cents et quelques
personnes.
« Un jour, je reçus la
visite d’un vieillard dont le maintien, les paroles,
la foi ardente m’émurent
profondément. Cet homme a soixante-onze ans : depuis
trois ans qu’il est
chrétien, ses journées se passent en prières, en
lectures pieuses et en œuvres
de pénitence. Il avait redoublé ses austérités, le
carême dernier, pour se
préparer à la mort, jeûnant tous les jours, tous les
jours faisant le chemin de
la croix et beaucoup d’autres exercices religieux.
Plusieurs fois son fils
voulut modérer cette ferveur qui lui paraissait
excessive ; ce fut en vain : «
Le Sauveur a tant souffert pour nous, » disait le
vieillard ; « ne puis-je pas
souffrir un peu pour l’amour de Jésus. » Avec quelle
joie je lui fis faire sa
première communion !
« Un autre jour, je
trouvai un chrétien, noble d’origine, retiré au
milieu des montagnes, dans une
cabane ouverte à tous les vents. Son unique
ressource était un champ qu’il
avait défriché à la sueur de son front, et qui lui
servait à faire vivre sa
famille. Cet homme étant encore païen, avait quitté
sa province pendant la
famine de 1839, et passé deux ou trois ans dans un
pays éloigné. À son retour,
voyant quelques vides parmi ses amis et
connaissances, il demanda ce qu’ils
étaient devenus ; on lui répondit que, comme
chrétiens, ils avaient péri dans
les supplices. Cette — 334 — nouvelle le frappa :
« Il y a donc dans cette religion, » se dit-il,
quelque chose qui élève les hommes au-dessus de la
mort ; je veux la connaître.
» Et il se dirigea vers les montagnes à la recherche
des chrétiens qui y sont
réfugiés. Après s’être instruit des vérités de la
foi, il est venu lui-même
demeurer au milieu d’eux avec toute sa famille. En
vain, ses parents l’obsèdent
pour le faire sortir de ces pays désolés ; il répond
à leurs tracasseries par
un zèle si généreux qu’il en a déjà converti
plusieurs.
« Une autre fois, c’était
un satellite des mandarins qui, ayant entendu parler
de la religion chrétienne,
ouvrit les yeux à la lumière de la foi. Pour
pratiquer plus librement les commandements
de Dieu, il quitta sa profession et se retira dans
les montagnes. Quelques mois
plus tard, il rencontra des parents et des amis qui
le questionnèrent sur son
étrange conduite : « Pourquoi es-tu allé dans les
montagnes ? serais-tu
chrétien ? — Oui, » dit-il, « je le suis. » Et il se
mit à leur prêcher l’évangile.
Ses auditeurs attendris avouèrent que la religion
chrétienne est très-belle, et
lui demandèrent des livres. Une trentaine de
personnes ont ainsi reçu la bonne
nouvelle.
« C’est le plus souvent
par des voies semblables que Dieu réunit de
nouvelles ouailles à son troupeau.
Le missionnaire toujours caché ne peut pas
travailler directement à la
conversion des infidèles ; mais il offre tous les
matins le saint Sacrifice, il
sanctifie les chrétiens par la parole et les
sacrements, et la grâce de Dieu
agissant seule ou avec le concours des néophytes,
fait tout le reste. »
De son côté, Mgr
Ferréol, exposé aux mêmes fatigues, y trouvait des
consolations analogues. «
Dans ces contrées, » écrivait-il, « le ministère
apostolique est crucifiant
pour la nature ; nous ne sommes que deux ouvriers ;
les chrétiens sont
disséminés sur une vaste étendue ; il faut être sans
cesse en course ; les
voyages, au milieu des montagnes couvertes de glace
et de neige, sont
extrêmement pénibles. M. Daveluy ne jouit pas d’une
forte santé ; cet été, il a
eu une maladie sérieuse. La nourriture est
très-mauvaise pour des estomacs
européens ; le pain et le vin sont ici inconnus ; le
riz bouilli et l’eau
fermentée dans le froment en tiennent lieu.
Environnés de périls, nous ne
pouvons sortir qu’avec les plus grandes précautions.
Cependant au milieu de nos
peines et de nos travaux. Dieu ne nous laisse pas
sans consolations qui les
adoucissent. Dans chaque station, nous voyons
revenir des pécheurs qui depuis
longues années vivaient dans l’oubli de toute
pratique religieuse ; nous sommes
édifiés de — 335 — l’empressement des
chrétiens à participer aux sacrements. Plusieurs
d’entre
eux viennent de vingt, trente, quarante lieues pour
se confesser ; ce sont ceux
qui ne peuvent recevoir les missionnaires chez eux.
Leur désir de voir le
prêtre est si grand, que, si je ne l’avais défendu
sous des peines sévères, ils
se transporteraient presque tous au lieu où il
réside, sans s’embarrasser du
danger de donner l’éveil aux païens et de provoquer
de nouvelles persécutions.
Vous concevez cet empressement, en pensant qu’ils ne
peuvent qu’une fois l’an
assister à nos saints mystères. Il en est même,
parmi les femmes mariées à des
païens, à qui il est impossible de sortir un seul
instant pour se rendre auprès
de nous. Plusieurs fois, dans la capitale, j’ai été
touché jusqu’aux larmes, en
voyant des chrétiennes d’une haute noblesse profiter
du sommeil du reste de la
famille pour venir se confesser au milieu de la nuit
; elles professent en
secret le christianisme, et personne de la maison ne
connaît leur foi. Ce
mystère est ici une nécessité. Si nous avions la
liberté de religion seulement
comme en Chine, nous verrions les Coréens entrer en
foule dans l’Église de
Jésus-Christ : daigne ce divin Pasteur les amener à
son bercail ! Une multitude
d’entre eux semblent n’attendre pour se déclarer,
que le moment où la religion
sera libre ; ils ne sont retenus que par la crainte
des tourments et de la
mort. »
Dieu répandit une
bénédiction abondante sur les travaux des
missionnaires. Le nombre des
confessions annuelles qui, en 1846, à cause des
difficultés du temps, n’avait
été que de trois mille quatre cent
quatre-vingt-quatre, se monta en 1847 à cinq
mille deux cent quarante-six. Il y eut également en
1847 près de sept cent
soixante-dix baptêmes d’adultes ; l’année
précédente, malgré la persécution, il
y en avait eu neuf cent quarante-six. C’étaient, en
deux ans, mille sept cents
nouveaux adorateurs du vrai Dieu, arrachés au culte
du démon, et enrôlés dans
la sainte Église de Jésus-Christ. |