DEUXIÈME
PARTIE (Index)
LIVRE III Depuis la fin de la
persécution jusqu’à la mort de Mgr Ferréol, troisième
vicaire apostolique de Corée. 1840-1853. — 242 — CHAPITRE I. Premières tentatives de M.
Ferréol pour entrer en Corée. — État de la
chrétienté. — Les martyrs de 1841. Pendant que le gouvernement
coréen se félicitait d’avoir, par le meurtre
des missionnaires et de presque tous les chrétiens
influents, porté un coup
mortel à la religion de Jésus-Christ, Dieu préparait
de nouveaux apôtres à
cette Église désolée. Avant qu’aucune nouvelle de la
persécution fût parvenue
en Chine, M. Ferréol s’était mis en route pour la
Corée.
Jean-Joseph Ferréol, né
en 1808, à Cucurron, dans le diocèse d’Avignon, était
prêtre depuis quelques
années, lorsque, en 1838, il vint au séminaire des
Missions-Étrangères, se
préparer à l’apostolat des infidèles. Il quitta la
France au commencement de
mai 1839, sur un navire de Bordeaux, et protégé durant
son voyage par les
prières de ses trois confrères et des autres martyrs
coréens qui alors même
versaient leur sang pour la foi, il arriva
heureusement en Chine le 23 janvier
1840. Il séjourna six semaines à Macao, puis
s’embarqua de nouveau, le 6 mars
1840, sur une barque païenne. Après trente-six jours
d’une navigation pendant
laquelle il courut plusieurs fois le danger de tomber
entre les mains des
pirates, il put débarquer dans la province du Fo-kien.
De là il prit la route
de terre, et traversa toute la Chine du sud au nord,
voyageant tantôt à pied,
tantôt en palanquin, le plus souvent en barque sur les
canaux et les rivières, passant
tour à tour pour petit mandarin, contrebandier
d’opium, docteur, homme de
tribunal, marchand de tabac, et même prince tartare.
Quoique sa figure fût
très-peu chinoise, et qu’il ne pût encore s’exprimer
dans la langue du pays, il
ne fut pas reconnu pour Européen, et réussit à faire
sans accident fâcheux ce
long et périlleux voyage. À Ou-tchang-fou, capitale du
Hou-pé, il logea tout
près de la prison où était — 243 — renfermé le vénérable
Perboyre, missionnaire lazariste qui, quelques jours
plus tard, devait verser son sang pour la Foi. Il
longea les murs de Péking
pendant deux heures, sans entrer dans cette capitale,
traversa heureusement la
grande muraille et arriva enfin à Sivang, en Tartarie,
où il trouva chez les
missionnaires lazaristes une fraternelle hospitalité.
C’est dans ce village
qu’il commença à avoir des inquiétudes sur le sort des
missionnaires et des
chrétiens de Corée. Cette année 1840, on n’avait reçu
aucune nouvelle de la
mission. Aucun courrier chrétien n’était venu à
Péking, personne n’avait paru à
la frontière. Un Chinois ayant demandé à un membre de
l’ambassade coréenne
pourquoi le mandarin Liéou (Augustin Niou) ne faisait
plus partie de la
députation, — « Que lui veux-tu ? » avait répondu
celui-ci. — « Je lui ai prêté
de l’argent et je voudrais le réclamer. — Tu attendras
longtemps ton argent, on
lui a coupé la tête ainsi qu’à bien d’autres, » dit le
Coréen. Ces paroles
sinistres et d’autres symptômes ne laissaient que trop
clairement entrevoir ce
qui s’était passé ; mais le missionnaire n’en fut
point découragé.
Après avoir séjourné un
mois et demi à Sivang, M. Ferréol reprit sa route à
travers la Mongolie et la
Mandchourie ; il lui restait encore trois cents lieues
à faire pour arriver aux
frontières de la Corée. Le pays qu’il traversa ne
ressemblait plus à la Chine,
généralement si peuplée et si bien cultivée. Il
marchait quelquefois des
journées entières sans trouver une habitation. Les
montagnes, les plaines en
friche, étaient couvertes de troupeaux de bœufs, de
chevaux et de dromadaires,
et il put alors voir ce qu’est un peuple nomade, ne
cultivant pas la terre, se
nourrissant uniquement du lait et de la chair de ses
animaux, se revêtant de
leur peau, dressant sa tente aujourd’hui dans le lieu
où le pâturage est le
plus abondant, et demain la transportant ailleurs
lorsque ce pâturage est
épuisé. Un jour il entra dans une de ces tentes
mongoles, pour s’y rafraîchir.
Elle était de forme circulaire terminée en dôme ; tout
autour étaient rangés
les meubles de la famille ; au milieu se trouvait le
fourneau de la cuisine.
Des peaux revêtues de leur poil couvraient le sol, et
à l’entrée de la tente il
y avait un grand tas de crottins de chevaux et de
bouses de vache, seul
combustible des habitants de ces déserts.
« Nous nous assîmes sur
nos talons, raconte-t-il, nous bûmes le thé au lait de
jument, nous allumâmes
notre pipe à un crottin de cheval, et nous partîmes. Ô
Dieu ! quel pays pour un
voyageur européen ! Vous n’y voyez pas de grand
chemin, mais en — 244 — revanche une multitude de
sentiers propres à vous égarer. C’est ce qui
arrivait quelquefois à mes guides. Souvent se
rencontraient des rivières à
traverser ; point de bacs, encore moins de ponts.
Voulez-vous passer ? Ôtez vos
habits, ou bien montez sur votre bête si vous en avez,
et si l’eau est trop
profonde, attendez qu’elle diminue, ou qu’elle gèle
pendant l’hiver. Nous fûmes
obligés de passer plus de trente fois la même rivière.
Nos animaux, deux mulets
et un cheval qui portaient le bagage de la mission,
avaient quelquefois de l’eau
jusqu’au milieu du ventre. Un de mes guides fit deux
fois naufrage avec son
mulet, au milieu de l’eau bourbeuse ; mes bagages
furent souvent trempés, si l’on
me passe l’expression, jusqu’à la moelle. Quand l’eau
était trop profonde ou
trop impétueuse, deux hommes tenaient mon cheval par
la bride ; l’eau nous
emportait tous ensemble, et je n’étais pas sans
quelque crainte. Le temps le
plus favorable pour voyager dans ce pays, c’est
l’hiver, alors tout est glacé ;
l’été on ne trouve que de l’eau et de la boue. »
Après vingt-deux jours
de voyage, M. Ferréol arriva à Moukden, ancienne
capitale des états de la
famille impériale de Chine. Il fut assez mal reçu par
les chrétiens du
Léao-tong. Voici pourquoi. Les missionnaires portugais
de Péking, qui jusqu’alors
avaient évangélisé cette province, ne pouvant plus
depuis longtemps, à cause de
leur petit nombre, prendre de ces chrétientés le soin
convenable, le
Saint-Siège venait de les détacher du diocèse de
Péking, et de les confier à la
congrégation des Missions-Étrangères chargée déjà de
la Corée. Le Léao-tong est
limitrophe de la Corée, et cet arrangement semblait
devoir faciliter beaucoup l’entrée
des missionnaires dans ce dernier pays. Mais toute
nécessaire qu’elle fût, la
mesure prise par le souverain Pontife raviva dans le
cœur de quelques prêtres
portugais les sentiments de jalousie nationale, et
pour mettre plus aisément
les chrétiens de leur côté, ils leur peignirent, sous
les plus terribles
couleurs, la persécution que la présence des prêtres
français ne pourrait
manquer de susciter bientôt. M. Ferréol étant arrivé
sur ces entrefaites, on
lui refusa un asile. Il frappa à plusieurs portes, on
le pria de continuer son
chemin. Un pauvre chrétien, ému de compassion, l’ayant
reçu chez lui, d’autres
vinrent d’une assez grande distance pour l’expulser.
Cette fâcheuse disposition
des esprits fut pour le missionnaire une épreuve
pénible et la cause de bien
des marches et contre-marches ; mais sa confiance en
Dieu n’en fut nullement
diminuée.
Il avait trouvé en
arrivant à Sivang une lettre de Mgr Imbert, — 245 — adressée au premier
missionnaire qui viendrait en Corée. Le prélat
recommandait au nouveau venu de se munir de patience,
et de se retirer au petit
port de Yang-vou, d’où l’on peut voir les côtes
coréennes, afin de tenter par
là quelqu’autre voie de communication. Le missionnaire
put remplir la première
partie de ces instructions en s’exerçant à la
patience, mais l’hostilité des
chrétiens du Léao-tong ne lui permit pas de se rendre
à Yang-vou. Il s’éloigna
donc, en priant Dieu de les éclairer et de changer
leurs cœurs, et se réfugia
en Mongolie, à quatre-vingt-dix lieues au nord de
Moukden.
De cette retraite, où
il demeura deux ans, il envoya plusieurs lois des
Chinois à la frontière de
Corée, avec ordre de se mettre en rapport avec les
chrétiens de ce pays, au
passage de l’ambassade. Ces tentatives furent inutiles
; il n’y avait à la
frontière ni lettres, ni courriers. Les chrétiens de
Corée travaillaient
cependant, de leur côté, à rétablir les relations avec
la Chine. En 1840, ils
envoyèrent un courrier à la frontière, mais ce
courrier mourut en route ; l’année
suivante, ils en envoyèrent un second qui ne put
rencontrer les courriers
chinois. Un troisième, expédié à la fin de 1842, fut
plus heureux, et réussit,
comme nous le verrons plus tard, à s’aboucher avec M.
Ferréol et ses
compagnons.
Laissons un instant le
nouvel apôtre de la Corée se préparer, dans la
solitude, à sa périlleuse
entreprise, et revenons à nos néophytes. Avec l’année kei-hai
(1839-40) s’était terminée la grande persécution. La
paix était presque rétablie, mais, de tous côtés, quel
affligeant spectacle !
La chrétienté bouleversée de fond en comble ; des
milliers de chrétiens sans
gîte et sans ressources ; des familles privées de
leurs chefs, décimées par le
glaive, la corde, l’exil ou la famine, dispersées dans
toutes les directions,
les enfants cherchant leurs pères, les maris leurs
femmes, les pères et mères
leurs enfants ; un grand nombre de femmes chrétiennes,
devenues la proie des
satellites, cachant parmi les païens la honte de leur
existence ; que de deuils
et que de larmes !
Presque tous étaient
réduits à la misère. Il fallait vivre cependant.
C’était le printemps ; ils
prirent le chemin des montagnes, et, comme avaient
fait leurs pères après la
persécution de 1801, se mirent à les défricher. La
Providence, qui nourrit les
oiseaux du ciel, ne les abandonna pas, et par un motif
auquel nous avons déjà
fait allusion, et que nous devons signaler de nouveau
comme bien honorable pour
notre sainte religion, les païens eux-mêmes — 246 — vinrent à leur secours. Ils
savaient en effet, par expérience, que ces
chrétiens si méprisés, si calomniés, étaient en
général fidèles à payer leurs
dettes, chose rare en ce pays, et les habitants des
villages voisins de ces
montagnes n’hésitèrent pas à faire aux nouveaux venus
des avances en argent et
en grains, qui les sauvèrent de la mort.
Il fallait aussi
reconstituer la chrétienté frappée dans ses pasteurs
et dans ses principaux
chefs. Dieu y pourvut encore. Les trois hommes de
confiance des missionnaires
avaient échappé : Charles Hien, serviteur de M.
Chastan, Pierre Tseng,
serviteur de M. Maubant, et enfin Thomas Ni,
petit-fils de Pierre Ni
Seng-houn-i, qui, depuis la mort de sa femme, s’était
attaché à Mgr Imbert. À
ces trois hommes échut naturellement la rude tâche de
ranimer le courage de
leurs frères, et de rétablir peu à peu la pratique des
exercices religieux. Ils
y mirent beaucoup d’activité et de zèle, malgré les
dangers qui les environnaient
; car tous les trois, dénoncés personnellement à
diverses reprises, étaient
encore recherchés parla police. Pendant plusieurs
années, ils vécurent presque
constamment cachés, et ce ne fut que longtemps après
qu’ils purent se montrer
librement.
Ils s’occupèrent aussi
de recueillir les actes des martyrs. Nous voyons dans
les papiers de Mgr Imbert
que, quelques mois avant sa mort, il avait lui-même
délégué à cet effet Paul
Tieng et Benoîte Hien. Les chrétiens assurent que Jean
Ni Kieng-t’sien-i,
Philippe T’soi et Charles Hien, reçurent également de
l’évêque la même mission.
Quoi qu’il en soit, ils y travaillèrent
consciencieusement, et après la
persécution, Charles Hien et Philippe T’soi, les seuls
survivants de ceux que
nous venons de nommer, se firent aider de Pierre Tseng
et de Thomas Ni, pour
compléter leurs recherches. Ce recueil a obtenu
l’approbation générale des
chrétiens, dont un grand nombre avaient été eux-mêmes
témoins oculaires des
faits rapportés, et c’est là que nous avons puisé
presque tous les détails
édifiants donnés dans cette histoire.
L’année kieng-tsa
(1840) fut assez tranquille. Il y eut encore quelques
arrestations, quelques
vexations locales, quelques maisons de chrétiens
pillées par les satellites,
mais tout cela n’était rien comparé à l’affreuse
tempête qui venait de finir. D’un
autre côté, après plusieurs années de famine, on eut
enfin d’excellentes
récoltes, ce qui diminua beaucoup les souffrances des
néophytes, et calma les
ressentiments populaires, car, en Corée aussi bien
qu’ailleurs, l’opinion
publique est moins portée aux excès en un temps
d’abondance que pendant la
disette. — 247 —
Deux faits seulement
méritent d’être signalés. Quelques chrétiens s’étaient
établis dans un village
isolé de la province de Kang-ouen, lorsque, vers la
fin de la troisième lune,
un d’entre eux étant allé à son ancienne demeure
chercher ses effets, fut
rencontré à son retour par les satellites. Ils le
traitèrent de voleur, et
mirent la main sur son petit bagage. Le pauvre homme,
effrayé, perdit la tête,
déclara qu’il était chrétien, et fut en conséquence
traîné à la prison de
Tsioun-tsien, ainsi que les membres de sa famille et
quelques voisins, en tout
neuf personnes. L’un deux mourut en prison avant que
le mandarin eût examiné
leur affaire ; les autres se rachetèrent par une lâche
apostasie.
Deux mois plus tard, à
la cinquième lune, Joseph T’soi que, depuis la
persécution, on avait laissé
languir dans la prison de Hong-tsiou, terminait
glorieusement sa carrière de
souffrances. Joseph, surnommé Tai-tsong-i, et parent
du martyr François T’soi,
était du village de Tarai-kol, district de Hong-tsiou.
Pendant de longues
années, il avait édifié les chrétiens par sa piété
filiale, par sa résignation
joyeuse dans une extrême pauvreté, par son assiduité à
la prière, lorsqu’à la
huitième lune de 1839, sur la dénonciation d’un*
apostat, il fut pris et
conduit au tribunal criminel de Hong-tsiou. Il eut à
subir de nombreux
interrogatoires et des tortures sans nombre, mais son
courage n’en fut point
ébranlé. Enfermé à la prison des voleurs, jour et nuit
chargé d’une lourde
cangue, n’ayant pas assez d’espace pour se coucher de
tout son long, maltraité
par les geôliers qui lui volaient souvent sa maigre
pitance et le laissaient
plusieurs jours de suite sans nourriture, il fut,
après quelques semaines, mis
de nouveau à la question. La nature épuisée céda, et
il laissa échapper une
parole d’apostasie, mais, quelques instants après, il
revint à lui-même, pleura
sa faute, fit une rétractation publique, et soutint,
sans faiblir, toutes les
tortures que lui infligea le mandarin exaspéré. On le
renvoya à la prison.
Un de ses frères, ayant
pu le visiter, lui demanda quels supplices il avait eu
à supporter. Joseph
refusa de répondre, et dit : « Non, si mon vieux père
apprenait ces détails, il
en souffrirait trop. Il faut, au contraire, chercher à
le consoler. » À la fin
de la persécution, tous les autres chrétiens,
compagnons de sa captivité,
furent mis en liberté. Il resta seul, probablement
parce qu’on voulait le punir
d’avoir rétracté son apostasie. Presque sans
vêtements, il eut beaucoup à
souffrir des rigueurs de l’hiver, mais on ne
l’entendit jamais se plaindre, et,
tant que ses forces le lui permirent, il accomplit
régulièrement chaque jour — 248 — ses exercices de piété.
Enfin, après neuf mois de prison, il rendit
paisiblement son âme à Dieu, le 5 de la cinquième
lune, à l’âge de cinquante et
un ans. Quoique la persécution eût
officiellement cessé depuis l’année précédente,
nous rencontrons, en 1841, plusieurs nouveaux martyrs,
car la paix, pour les
chrétiens de cet infortuné pays, n’est jamais ni
complète ni de longue durée.
Il y avait au village
de Koui-san, district de Koang-tsiou, une famille du
nom de Kim, composée de
trois frères qui jouissaient d’une certaine aisance,
et dont la droiture et la
générosité avaient attiré l’estime universelle. Quand
ils entendirent parler de
la religion chrétienne, deux d’entre eux
l’embrassèrent de suite, et bientôt,
la grâce poursuivant son ouvrage, non-seulement le
troisième frère, mais
plusieurs de leurs parents, amis et voisins, se
joignirent à eux, en sorte que
ce petit village devint une fervente chrétienté. À
l’arrivée du P. Pacifique,
Antoine, l’aîné des trois, vint s’établir dans la
capitale, pour être plus à
portée de recevoir les sacrements. Il fit même dans sa
maison un petit
oratoire, où plus tard il reçut M. Maubant pendant
tout un été. En 1839, les
frères Kim ayant été dénoncés, Antoine, averti à
temps, alla se cacher en
province, mais ses frères restés à Koui-san, et un de
leurs cousins, tombèrent
entre les mains des satellites. Après plusieurs
interrogatoires présidés par
des mandarins subalternes, ils furent conduits devant
le juge du district.
Augustin Kim Tek-sim-i, le second des frères, celui-là
même qui, arrêté par les
idées du monde, avait tardé d’abord à embrasser la
religion, développa en plein
tribunal les principales vérités de la doctrine
chrétienne, et fut mis à la
question, qu’il supporta avec beaucoup de courage.
Plusieurs interrogatoires
successifs, toujours accompagnés de supplices, ne
purent ébranler aucun des
trois confesseurs, et tous les moyens de persuasion
ayant également échoué, on
les déposa à la prison de Koang-tsiou, où ils furent à
peu près oubliés. L’année
suivante, après la persécution, les enfants d’Augustin
eurent permission de
communiquer avec lui ; ils espéraient même le faire
délivrer, mais les jours se
passaient sans amener aucun changement. Augustin
fatigué des souffrances de la
prison, obsédé de tentations de découragement,
gémissait de ne pouvoir obtenir
ni le martyre, ni la liberté. Il en tomba malade, et
après quelques semaines d’agonie,
mourut dans sa prison, le 28 de la première lune de
1841, dans les plus vifs
sentiments de contrition et de charité. Il était âgé
de quarante-trois ans, et
avait été prisonnier plus de vingt mois. — 249 — Son frère aîné, Antoine,
n’avait pu cependant échapper longtemps aux
perquisitions. Pris avec toute sa famille, et conduit
au grand juge criminel de
la capitale, il se montra plus fort que les tortures.
Il s’établit dans la
prison comme chez lui, disposa tout pour y passer le
reste de sa vie, et rien
dans son air ou ses paroles ne témoigna jamais qu’il
eût le moindre désir de
vivre ou d’être délivré. Les prisonniers païens
prêtaient volontiers l’oreille
à ses discours, et il les prêcha avec tant de ferveur,
que deux d’entre eux se
convertirent. Le 8 de la troisième lune intercalaire
de 1841, on le frappa de
soixante coups de la planche à voleurs, et, comme il
demeurait inébranlable, on
l’étrangla en prison la nuit suivante. Il avait alors
quarante-sept ans.
Le troisième frère fut
laissé à la prison de Koang-tsiou, avec son cousin
germain. Leur fermeté n’a
pas été à l’abri de tout soupçon, car depuis la mort
d’Augustin, ils ne furent
ni battus, ni mis à la torture. Un fait néanmoins qui
semblerait prouver en
leur faveur, c’est que, lors de l’amnistie générale
proclamée à la naissance de
l’héritier présomptif du trône, ils ne furent point
mis en liberté.
Parmi les chrétiens
échappés aux perquisitions de 1839, et sur lesquels la
police voulait, à tout
prix, mettre la main, nous devons noter en première
ligne Philippe T’soi
Hei-ouen-i, qu’il ne faut pas confondre avec Philippe
T’soi Hei-tenk-i étranglé
à la neuvième lune de 1839. Celui dont nous parlons
était le frère aîné de
Jacques T’soi, dont nous avons raconté le martyre.
Leur père, exilé à Heng-hai
en 1801, y étant mort, Philippe qui n’avait alors que
dix ans, chargea le corps
sur ses épaules, et alla l’enterrer dans un lieu
éloigné, puis, après la mort
de sa mère, se retira avec son frère chez un de ses
oncles, où ils passèrent
plusieurs années occupés aux travaux des champs.
Lorsque son frère Jacques se
maria, Philippe le suivit, et tous deux ensemble
allèrent s’établir à la
capitale. Sans cesse occupés à consoler les affligés,
à réchauffer les tièdes,
à instruire les ignorants, Philippe et Jacques se
firent remarquer de tous par
leur infatigable charité. Après l’arrivée des
missionnaires, ils montrèrent un
zèle tout particulier pour préparer des oratoires, et
disposer les chrétiens à
la réception des sacrements ; aussi, quand la
persécution éclata, furent-ils
immédiatement dénoncés. Philippe était absent de la
maison, quand son frère
Jacques fut pris, et il dut dès lors se cacher avec
soin, ce qui toutefois ne l’empêcha
pas d’affronter les plus grands dangers pour
recueillir les corps des martyrs.
Après la persécution, il travailla avec Charles Hien
et Jean Ni, à réunir,
vérifier — 250 — et compléter les actes de
tous ceux qui en Corée avaient souffert pour la
foi, faisant de cette occupation même une préparation
à la mort, car il n’ignorait
pas les poursuites dont il était l’objet.
Ces poursuites furent
poussées avec tant de vigueur, que pendant la deuxième
lune de 1841, on arrêta
et mit à la question plusieurs chrétiens soupçonnés de
connaître le lieu de sa
retraite. Le premier qui fut saisi pour ce motif,
était André He Tai-pok-i,
homme d’un caractère droit, doux et dévoué. Il avait
dans sa jeunesse oublié
ses devoirs, et pris une concubine ; mais converti par
les exhortations de
quelques chrétiens fervents, il eut le courage de
rompre ce commerce illicite,
et de faire une longue et sincère pénitence de ses
égarements. Pour mieux
reconnaître la grâce que Dieu lui avait accordée, il
se dévoua au salut du
prochain, exerça son zèle envers beaucoup de chrétiens
tièdes, et convertit
nombre de païens. Pendant la persécution, il ne cessa,
malgré le danger, de
visiter les prisonniers, de courir pour leur service
de côté et d’autre, le
jour et la nuit, par le froid et la pluie. Mais son
œuvre de prédilection était
d’enterrer les martyrs ; et l’on parle encore de la
sagacité, du sang-froid, de
l’intrépidité qu’il déployait en ces occasions.
Dénoncé à la deuxième lune de
1841, comme complice et ami de Philippe T’soi, il
supporta les tortures sans
rien déclarer. Le juge, voyant que sa résolution était
inébranlable, ordonna de
le laisser en prison jusqu’à nouvel ordre.
François Kouen
Sieng-ie, frère aîné du martyr Pierre Kouen, signalé
aussi comme devant connaître
le lieu de la retraite de Philippe, fut saisi à la
même époque. Né de parents
chrétiens qu’il eut le malheur de perdre dès son
enfance, François avait été
élevé au milieu des païens et, pendant de longues
années, ne connut le
christianisme que de nom. La Providence lui ayant fait
enfin rencontrer
quelques néophytes, il s’instruisit, fit instruire
toute sa famille et devint
un modèle de ferveur. Les missionnaires l’employèrent
souvent pour les
différentes affaires de la mission. Dès 1837, il
émigra dans la province de
Kang-ouen pour fuir la persécution qui menaçait, et en
1839, lors de l’arrestation
de son frère, il eut beaucoup de peine à échapper aux
recherches des
satellites. Établi en pays païen, il se croyait à
l’abri de tout danger,
lorsque, trahi par un mauvais chrétien qui connaissait
sa demeure, il fut pris
à l’improviste, dans le district de T’siong-tsiou, à
la fin de la troisième
lune intercalaire de 1841. Conduit d’abord à cette
ville et interrogé sur sa
foi par le mandarin, il lui exposa les principales
vérités catholiques, et
vengea victorieusement la — 251 — religion des calomnies
habituelles des païens. Il fut expédié ensuite à la
capitale, où le juge criminel lui ordonna d’indiquer
la retraite de Philippe T’soi.
Il répondit ne pas la connaître et fut, en
conséquence, mis à la question. Six
interrogatoires, accompagnés de supplices atroces,
n’ébranlèrent pas son
courage, et sur l’ordre du juge, on le laissa en
prison.
Peu de jours après l’arrestation
de François Kouen, les satellites ayant cerné une
maison qu’on leur avait
désignée comme suspecte, y rencontrèrent un homme qui
n’était pas de la
famille, et lui demandèrent son nom. « Je m’appelle
T’soi. — Ton nom de baptême
ne serait-il pas Philippe ? — Oui, » répondit le
chrétien. Aussitôt, poussant
des cris d’une joie féroce, les satellites le lient,
ainsi que ses hôtes, et le
conduisent au juge criminel. Celui-ci, enchanté d’une
telle capture, lui dit
avec un sourire ironique : « Tu es un rusé compère de
nous avoir ainsi échappé
pendant trois ans, mais, à la fin, nous avons été plus
rusés que toi, et te
voilà pris. Maintenant, commence par renier ton Dieu.
— Non, jamais, » répondit
Philippe. Le juge ordonna de lui infliger une forte
bastonnade, et les
bourreaux obéirent avec allégresse. Puis il ajouta : «
Non content de suivre
cette infâme religion, tu as corrompu un nombre infini
de personnes. Tu as
souvent reçu les prêtres étrangers dans ta maison ;
ils t’ont remis beaucoup d’objets
en dépôt. Ta faute est dix fois plus grave que celle
des autres. La mort t’est
due à bien des titres, et tu peux être sûr de ne pas y
échapper. » On passa
alors au cou de Philippe une lourde cangue, et il fut
conduit à la prison.
Pendant quatre mois, il n’eut pas d’autre
interrogatoire à subir ; mais on ne
saurait raconter toutes les vexations qu’il eut à
souffrir de la part des
geôliers et des satellites. Son admirable patience ne
se démentit pas un seul
instant ; il n’ouvrait la bouche que pour instruire et
encourager ses
compagnons de captivité. Après quatre mois, cité de
nouveau devant le juge qui
le somma d’apostasier, Philippe, toujours ferme, fut
torturé et flagellé avec
plus de violence que jamais, puis renvoyé à la prison.
Parmi les chrétiens
arrêtés en même temps que lui, nous citerons Jacques
Ni et sa tante Anastasie
Tsiang. Jacques Ni Koun-kiem-i était d’une famille
noble du village de
Mat-meri, au district de In-t’sien, et avait toujours
montré beaucoup d’exactitude
à remplir tous ses devoirs. Quand les satellites
entrèrent chez lui pour
chercher Philippe T’soi, il ne fit paraître aucune
frayeur, leur servit du riz
et en mangea lui-même avec calme. Il se montra
inébranlable devant les juges et
dans les supplices. — 252 — Son corps étant couvert de
blessures, et ses forces épuisées, il fut pris d’une
dyssenterie qui remporta en quelques jours. Il mourut
en prison, vers la fin de
la cinquième lune, à l’âge de trente-six ans.
Anastasie Tsiang, née à l’île
Iok-niou-to dans le golfe voisin de la capitale, fut
instruite de la religion à
l’âge de vingt-cinq ans. Devenue veuve quelque temps
après, sans maison, sans
ressources, elle avait passé le temps de la
persécution, en se cachant de côté
et d’autre, puis enfin, ayant retrouvé son neveu
Jacques, était venue demeurer
avec lui. Elle ne faiblit pas dans les supplices, et
fut renvoyée à la prison
avec les autres confesseurs.
Plusieurs mois se
passèrent sans que le gouvernement prît aucune
résolution à leur égard.
Cependant, il fallait se débarrasser d’eux de quelque
manière. D’après la loi,
un chrétien non apostat ne peut être remis en liberté
; d’un autre côté, on ne
voulait pas recommencer des exécutions publiques avec
grand appareil. On
résolut donc de les étrangler secrètement. André He et
François Kouen moururent
les premiers, après plus de six mois de prison, le 10
de la huitième lune 1841.
François avait alors quarante-six ans ; on ne sait pas
l’âge exact d’André. Un
chrétien, probablement un apostat, délivré le matin de
ce même jour, leur
faisant ses adieux et les plaignant de leur triste
sort, André He lui répondit
: « Ce n’est pas nous qu’il faut plaindre, au
contraire, nous n’avons jamais
été si heureux. » Quelques jours plus tard, le 14 de
cette même huitième lune,
Anastasie Tsiang fut aussi étranglée, à l’âge de
quarante-huit ans. Enfin
Philippe périt par le même supplice, après sept mois
de captivité, le 23 de la
neuvième lune, à l’âge de cinquante et un ans.
Le supplice de ces
confesseurs se rattache, comme on l’a vu, à la grande
persécution de 1839, qu’il
vint clore d’une façon bien glorieuse pour l’Église de
Corée. Le nombre des
prisonniers était sans doute très-petit en 1841, mais
jamais peut-être il n’y
eut, proportion gardée, si peu d’apostats et tant de
martyrs. Après avoir eu mille fois
l’occasion d’admirer le courage et la patience de
nos néophytes, devant les tribunaux et devant la mort,
reposons-nous quelques
instants dans le récit des vertus cachées d’une âme
revenue, il est vrai, bien
tard à son Dieu, mais qui, dans ses dernières années,
semble avoir marché à pas
de géant dans les voies de la perfection. Il importe
de ne pas laisser perdre
des souvenirs encore vivants aujourd’hui dans le cœur
d’un grand nombre de
chrétiens, mais que le temps ferait rapidement
disparaître. — 252 — Pierre Ni Pa-ou-i, plus connu
sous le nom de Ni Tsiem-tsi, naquit d’une
famille du peuple au district de Nie-tsiou, vers l’an
1775). Ses deux sœurs
étaient mariées, l’aînée à la capitale, l’autre à
Siou-ouen, et après la mort
de son père, Pierre, encore enfant, suivit sa mère
tantôt chez l’une, tantôt
chez l’autre de ses sœurs. Vers le temps de l’arrivée
du P. Tsiou, pendant un
séjour à la capitale, la mère de Pierre entendit
parler de la religion
chrétienne pour la première fois. Après s’en être bien
instruite, elle l’enseigna
à ses trois enfants. Le mari de sa fille aînée ne
voulut pas l’embrasser, mais
il n’inquiétait pas les personnes de sa famille dans
la pratique de leurs
exercices religieux, et Pierre suivit en toute liberté
les avis de sa pieuse
mère. Bientôt elle tomba malade, et mourut entourée de
ses enfants qui, ne
pouvant contenir leur douleur, lui criaient en
gémissant : « Mère, mère, allez
auprès de Jésus et de Marie. » Ils crurent entendre
une voix du ciel qui leur
répondit distinctement, trois fois de suite : « Oui,
oui. » Plusieurs des
assistants, y compris le beau-fils jusque-là infidèle,
furent tellement frappés
d’admiration que, le jour même, ils se déclarèrent
chrétiens.
Pierre resta quelque
temps chez sa sœur aînée, pratiquant avec fidélité ses
devoirs religieux, mais
sans être baptisé ; il se maria ensuite à une
chrétienne. La persécution de
1801 ayant dispersé et ruiné presque tous les
néophytes, il se trouva dans une
si grande misère qu’il dut, ainsi que son beau-frère,
exercer le métier de
cordonnier pour gagner sa vie. Ce métier, considéré en
Corée comme très-vil, le
fit mépriser de ses connaissances, et Pierre, ne
pouvant supporter leurs
plaisanteries, quitta la capitale, se lia avec* des
gens sans aveu, et se mit à
courir le pays, de côté et d’autre, sans avoir de
demeure fixe. On conçoit que,
dans cette vie nomade de chercheur d’aventures, il ne
devait guère pratiquer la
religion ; néanmoins, il y restait attaché, et gardait
au fond du cœur un vague
désir de se convertir un jour. Il vécut de la sorte
pendant de longues années,
sans avoir aucune relation avec les chrétiens. À la
fin cependant, il retourna
à la maison de sa seconde sœur, et, touché de ses
avis, reprit peu à peu
quelques exercices de piété, quoique souvent encore il
se laissât entraîner
dans ses vieilles habitudes de vagabondage. Tous lui
rendent cette justice que,
même dans ses plus mauvais jours, la pureté de ses
mœurs ne fut point
soupçonnée. À l’âge de cinquante et un ans, il tomba
gravement malade et fut,
probablement par les soins de sa sœur, baptisé à
l’extrémité. Il échappa cette
fois à la mort, et la grâce — 254 — du sacrement ayant agi sur
son cœur, il prit la ferme résolution de changer
de vie.
À partir de ce jour, il
fut un homme tout nouveau. Se rappelant que la vanité
blessée avait été la
première cause de ses fautes, il travailla d’abord à
acquérir une véritable
humilité, et fit dans cette vertu des progrès
merveilleux. Il était tellement
convaincu de son indignité et de son néant, qu’il se
mettait au-dessous de tous
les hommes, et dans le fond de son cœur se regardait
sincèrement comme le plus
misérable et le dernier des pécheurs. L’humilité,
selon la promesse de
Notre-Seigneur, amena bientôt à sa suite toutes les
autres vertus : la vraie
contrition, la ferveur dans la prière, l’esprit
d’oraison, la mortification, la
douceur, la patience, etc… Pendant la famine, un jour
que Pierre mendiait
quelques grains de riz, un chrétien riche, touché de
sa misère et de son grand
âge, lui donna dix nhiangs (environ vingt francs). Il
les avait acceptés quand,
après réflexion, il les rendit au donateur. Celui-ci
ne voulut pas les
reprendre, mais Pierre les déposa à terre et partit,
disant qu’il n’osait pas
recevoir une somme si considérable, que c’était déjà
trop pour lui d’obtenir,
en mendiant, sa nourriture de chaque jour. Ses habits
étaient de simple toile,
toujours vieux et rapiécés, et jamais il ne se
plaignit du froid, même dans les
hivers les plus rigoureux.
Lorsque les satellites
envahirent Kot-tangi, en 1839, ils rencontrèrent
Pierre et lui dirent : « Toi
aussi, tu suis la religion chrétienne ? » Pierre, dans
l’humilité de son cœur,
répondit ingénument : « Vraiment oui, je suis chrétien
; mais ce que je fais
est bien peu de chose. » Les satellites, peu soucieux
d’une capture aussi
insignifiante, passèrent outre. Cette réponse fut
longtemps pour Pierre une
cause de regret et d’angoisse ; il craignait qu’on ne
l’eût prise pour une
parole d’apostasie. Rencontrait-il des chrétiens, il
se mettait à pleurer et
demandait si, en parlant de la sorte aux satellites,
il ne s’était pas rendu
coupable d’un péché mortel. Souvent il passait la nuit
seul, dans les
montagnes, se nourrissant d’herbes et de racines, et
ne voulant plus aller chez
les chrétiens, dans la crainte que sa présence ne les
compromît.
Sa femme étant morte en
1840, il se retira chez sa fille aînée qui demeurait
alors à Ien-p’ong, dans la
maison d’un noble nommé Ambroise Ni, chrétien assez
indifférent. Il y fut
bientôt pris d’une maladie grave qui le tint plusieurs
mois couché ; c’était la
dernière épreuve par laquelle Dieu voulait purifier
cette sainte âme. Son
corps, crevassé en plusieurs endroits et couvert de
pus, — 255 — répandait une odeur fétide ;
ses souffrances étaient extrêmes, et
cependant, quand il était seul et se croyait sans
témoins, il s’étendait sur la
terre nue ou sur des pierres, dans la pensée qu’une
natte était d’un trop grand
luxe pour lui. Cette humble et héroïque patience
frappait d’admiration les
païens aussi bien que les chrétiens. Pierre souhaitait
ardemment qu’un de ses
neveux, homme fervent et instruit, vint le préparer à
la mort ; Dieu lui
accorda cette grâce. Quand ce neveu arriva près de
lui, son corps épuisé n’avait
plus qu’un souffle, mais ses idées conservaient encore
toute leur lucidité. Ils
passèrent la nuit en conversations pieuses, et le
lendemain vers midi, pendant
qu’ils parlaient encore de Jésus et de Marie, tout à
coup Pierre dit avec une
joie sereine : « Voilà Jésus et Marie qui viennent à
moi, du côté de l’ouest, »
et en disant ces mots, il expira. C’était le 6 de la
première lune de 1841 ; il
avait alors soixante-six ans.
Quand Pierre eut rendu
le dernier soupir, l’odeur nauséabonde qui s’exhalait
de son corps cessa
subitement, et quoique le ciel fût très-pur et sans le
moindre nuage, un
météore semblable à un arc-en-ciel très-brillant parut
et se reposa sur la
chambre où était le corps. La nouvelle de cet étrange
phénomène se répandit
rapidement dans le voisinage, et tous, chrétiens et
païens, sortirent de leurs
maisons pour le voir de leurs propres yeux, et ne
purent retenir l’expression
de leur étonnement. Quand on voulut l’enterrer, la
terre était partout gelée et
couverte d’une neige abondante ; on ne savait où
creuser la fosse. On découvrit
enfin un petit espace, de la largeur et de la longueur
nécessaires, où la terre
n’était ni gelée, ni couverte de neige, et là on
déposa le corps de ce pauvre
mendiant, pour la mémoire duquel, non-seulement nos
néophytes, mais les païens
eux-mêmes ont conservé la plus grande vénération. Il
est certain que Pierre
pratiqua la vertu d’humilité dans un degré héroïque ;
quant au signe éclatant
par lequel Dieu aurait glorifié celui qui de lui-même
s’était tant abaissé,
nous dirons seulement que plusieurs des personnes qui
avaient vu cet
arc-en-ciel ont affirmé le fait par un serment
solennel, et ont déposé entre
les mains de Mgr Daveluy leur témoignage écrit et
signé de l’authenticité du
prodige. |