DEUXIÈME
PARTIE (Index)
LIVRE
II La
persécution de 1839. 1839-1840. — 207 — CHAPITRE IV. Suite de la
persécution. — Proclamation royale. — Les martyrs de
la province
de Tsien-la. Dans la province de
Tsien-la, la persécution avait été inaugurée, comnie
nous l’avons vu, dès la quatrième lune, par le
martyre des cinq confesseurs,
qui avaient attendu près de treize ans l’exécution
de leur sentence. Pendant
les mois suivants, les arrestations se
multiplièrent, surtout dans les districts
de Kosan, Keum-san, Iong-tam et Koang-tsiou. Une
multitude de chrétiens furent
entassés dans les prisons de T’sien-tsiou, capitale
de la province, et quoiqu’un
grand nombrc d’entre eux aient eu la faiblesse de
raclieter leur vie par l’apostasie,
là encore nous avons la consolation de compter
plusieurs martyrs. Les premières
victimes immolées cet automne furent cinq chrétiens
d’abord
apostats, mais qui, bientôt, se repentirent de leur
faiblesse et signèrent leur
rétractation de leur sang. Voici en quelques mots
l’histoire de chacun d’eux.
Les deux frères Jean et Ignace Sin descendaient
d’une famille noble d’An-tong,
qui était venue s’établir au district de Ko-san.
Arrêté une première fois, lors
de la persécution de 1827, Jean avait subi cinq ans
d’exil. Il fut repris à la
cinquième lune de 1839, et son frère Ignace deux
mois après. Pierre Nim,
originalité de Nampo, converti par des chrétiens
chez lesquels il était venu
demeurer, s’était marié à une femme chrétienne, et
avait toujours été
très-exact dans l’accomplissement de ses devoirs. Il
vivait au district de Tsin-san
quand éclata la persécution, et fut pris le 6 de la
septième lune. Paul Pak
Tsioun-hoa, d’une famille du peuple au district de
Tek-san, était l’aîné de
neuf frères qui tous pratiquaient la religion avec
beaucoup de ferveur.
Trouvant que, dans leur pays, il leur était
très-diflicile d’éviter toute participation
aux cérémonies superstitieuses des païens, ils
émigrèrent ensemble au district
de Siou-t’sien, chez un chrétien qui tenait une
fabrique de poteries. Paul s’y
fit remarquer par sa charité envers les nécessiteux,
son dévouement envers ses
parents, et son assiduité à instruire ses frères et
les autres personnes de sa
famille. Chassé de là par la persécution de 1839, il
se réfugia dans une autre
poterie au district de Ko-san, où bientôt, à la
huitième lune, il fut — 208 — pris avec son père et
un de ses frères. En se rendant à Tsien-tsiou, il
fit
remarquer aux satellites que lui et son frère étant
arrêtés, on pouvait bien
relâcher leur père. Il fit tant d’instances que les
satellites, touchés de sa
piété filiale, mirent son père en liberté. Bientôt
après une occasion favorable
se présentant, son frère cadet rengagea à prendre la
fuite; mais il refusa,
disant qu’il fallait obéir à l’ordre de la
Providence. Augustin Ni Taksim-i, du
district de Hong-tsiou, avait, lui aussi, pour mieux
observer sa religion,
émigré au district de Hong-tam, où il fut bientôt
dénoncé et pris. Ces cinq chrétiens,
après avoir montré beaucoup de courage dans les
premiers interrogatoires, et avoir subi plusieurs
fois la question devant les
mandarins de leurs districts respectifs, s’étaient
trouvés réunis à
Tsien-tsiou. Au tribunal du gouverneur de la
province, ils eurent à supporter
des tortures bien plus terribles, et tous
apostasièrent, les uns dès la
première séance, les autres à la seconde ou à la
troisième. On les remit provisoirement
en prison. C’est là que la grâce de Dieu les
attendait. Honteux de leur
faiblesse, torturés par des remords de plus en plus
vifs, ils s’encouragèrent
mutuellement à réparer leur faute. Ils prièrent
Dieu, longtemps et avec larmes,
de leur pardonner, et prirent la résolution de
profiter de la première occasion
pour rétracter publiquement leur apostasie. Un
mandarin spécial, envoyé pour
terminer les affaires des chrétiens, les fit
appeler, croyant qu’il ne s’agirait
que d’une simple formalité pour les renvoyer libres.
Quel ne fut pas son
étonnement quand il les entendit se rétracter avec
énergie, et manifester
hautement leur regret d’avoir, par crainte des
supplices, renié leur Dieu et
Sauveur ! Furieux de les voir ainsi revenir sur
leurs pas, il commanda de
les frapper de soixante coups de la planche à
voleurs. Il n’en fallait pas tant
pour les faire mourir. Quatre d’entre eux restèrent
sur la place; et Pierre
Nim, que l’on rapporta à la prison, expira quelques
heures après. Il avait
seulement vingt-sept ans. Paul Pak était âgé de
quarante-trois ans, Augustin
Nim de quarante-six, Jean Sin de cinquante-sept et
son frère Ignace de quarante
et un ans. C’était le 12 de la dixième lune. Une ou deux semaines
plus tard, dans cette même ville de Tsien-tsiou,
Jacques Song In-ouen-i, qui avait toujours édifié
les néophytes par sa vie
exemplaire, les édifia plus encore par sa mort
glorieuse. Jacques vivait au
district de Mok-t’sien. Dès l’enfance, docile aux
instructions de ses parents,
il se donna tout entier aux exercices de piété,
selon les forces de son âge.
Plus tard il devint le modèle des chrétiens par son
application à la — 209 — prière, et leur
soutien par son assiduité à instruire les ignorants
et à l’échauffer
le zèle des tièdes. Jamais il ne fit rien qui pût
déplaire à ses parents,
jamais il ne voulut être à charge à qui que ce fut.
Il avait dans le cœur un
vif désir du martyre, et répétait souvent, que, par
toute autre voie, il lui
serait difficile de bien répondre aux bienfaits de
Dieu et d’assurer son salut.
En 1839, au fort de la persécution, son frère aîné
Philippe l’engageait à fuir;
il répondit : « Nos pasteurs et tous les chrétiens
un peu influents sont tombés
entre les mains des persécuteurs; à quoi bon
maintenant rester en ce monde? mieux
vaut être, nous aussi, martyrs pour Dieu. » Sur ces
entrefaites, il fut dénoncé
par quelques chrétiens que l’on torturait au
tribunal de Tsien-tsiou, et on
envoya à sa recherche des satellites qui le
rencontrèrent en chemin et le
saisirent immédiatement. Les païens de son village
qui lui étaient fort
attachés, le plaignaient et se chargeaient de le
faire relâcher, pourvu qu’il
voulût prononcer un seul mot d’apostasie. Jacques
répondit : « L’amitié qui
vous fait parler ainsi m’est bien sensible; mais je
sers le grand Dieu du ciel,
et mourir pour lui a été le désir de toute ma vie;
comment pourrais-je le
renier maintenant? » A Tsien-tsiou, il défendit
éloquemment la religion devant
le juge criminel, et eut beaucoup à souffrir. Plus
tard, au tribunal suprême,
le gouverneur lui fit mille questions insidieuses;
Jacques n’ouvrit pas la
bouche pour répondre, ce qui irrita tellement ce
magistrat qu’il le fit
torturer avec une violence inouïe. A la fin, il
donna l’ordre de le suspendre
en l’air, et de le frapper, sans compter les coups,
jusqu’à ce qu’il fit
quelque déclaration. Mais n’ayant rien pu obtenir,
il le remit entre les mains
du juge criminel, avec injonction de le torturer
tous les dix jours. Ce
supplice dura deux mois. Le courage de Jacques, son
influence parmi les
chrétiens, devaient le faire condamner à mort; mais
pour cela il aurait fallu
remplir diverses formalités, et envoyer les pièces
du procès à la capitale,
afin que le roi ratifiât la sentence. Le juge trouva
plus simple de le faire
étrangler dans la prison, vers la fin de la dixième
lune. Il n’avait que
vingt-trois ans. Son nom est resté célèbre parmi les
chrétiens de cette
province, qui parlent encore de lui avec vénération.
Cependant l’opinion
publique commençait à se préoccuper de ces
exécutions
multipliées. Si violent que fût le fanatisme des
persécuteurs, si aveugle que
fût la haine d’une foule ignorante et ameutée, la
conscience conserve toujours
ses droits, et l’on commençait à plaindre les
innocentes victimes de ces
boucheries. Le — 210 — gouvernement coréen
fit alors ce que font tous les persécuteurs, il
appela
le mensonge en aide à la force, et dans ce même mois
de novembre, le 18 de la
dixième lune, parut une nouvelle proclamation royale
contre les chrétiens. Elle
fut répandue dans tout le royaume, en caractères
chinois et en caractères
coréens, afin que le peuple entier, hommes et
femmes, savants et ignorants, pût
la lire sans difficulté. La rédaction en avait été
confiée à T’sio Siou-sam-i,
homme de la classe du peuple, mais renommé pour sa
science, précepteur et ami
du premier ministre T’sio In-ieng-i, et comme lui
ennemi juré de la religion de
Jésus-Christ. C’est une production
étrange, dans le genre de la proclamation de 1801,
mais bien inférieure comme style et comme
composition. « C’est, dit Mgr
Daveluy, un fatras intraduisible dont j’ai vainement
essayé de me faire donner
le sens complet, par les Coréens les plus instruits.
Tous ceux à qui je l’ai
fait lire, m’ont avoué n’y voir eux-mêmes que des
phrases et des tirades, sans
suite et sans liaison possible. » On commence par y
citer quelques passages
obscurs des livres sacrés de la Chine, dont on ne
voit pas l’application au cas
présent; puis, après avoir recommandé la religion
des lettrés, que tout le
monde doit suivre, on traite la doctrine chrétienne
d’amas de vaines fourberies
et de maximes déshonnêtes, et on la signale à
l’exécration publique comme
méconnaissant les devoirs envers les parents et
envers le prince. On y donne
comme base de notre religion, l’adoration du ciel,
et on nous fait dire que
Jésus — auquel les injures les plus viles sont
prodiguées — est devenu le ciel.
Parlant du célibat et de la virginité, on les dit
contraires à l’ordre de la
nature, et on ne manque pas d’ajouter, sans
s’inquiéter de la contradiction flagrante
entre les deux accusations, que notre morale est
infâme, et que parmi les
chrétiens les femmes sont en commun. Les sacrements
sont traités de rites
obscènes, le ciel et l’enfer de niaiseries, etc.. L’auteur de ces
stupides inepties, dignes en tous points de nos
matérialistes les plus abrutis ou, si l’on veut, les
plus avancés, était d’autant
plus coupable, que la religion chrétienne était
alors suffisamment connue en
Corée. Combien de fois, devant les tribunaux, les
confesseurs n’en avaient-ils
pas exposé les dogmes, développé les maximes ?
Combien de fois les mandarins,
poussés à bout par les raisonnements de leurs
victimes, n’avaient-ils pas avoué
que la religion chrétienne est excellente, et que
leur unique raison de la
proscrire était l’ordre formel donné par le
gouvernement ? On avait d’ailleurs
en main tous les livres des chrétiens. — 211 — Mais dire ce
que l’Évangile est réellement, c’était le
justifier;
mieux valait la calomnie. A la fin de la
proclamation, le roi attribue a ses péchés tous les
malheurs
qui sont venus fondre sur le royaume, et surtout le
plus grand de tous : l’invasion
de cette doctrine étrangère; il engage tous ses
fidèles sujets à se rattacher
plus que jamais à la religion des lettrés; et il
déclare qu’en sa qualité de
père du peuple, il est tenu de combattre l’erreur
par tous les moyens
possibles, et de mettre à mort ses propagateurs et
ses chefs. Le jour même où cet
acte fut publié, une généreuse chrétienne obtenait,
par
le martyre, la récompense d’une longue vie de vertu
et de dévouement. C’était la
mère de Paul Tieng, Cécile Niou, que le célèbre
martyr de 1801, Augustin Tieng,
avait épousée en secondes noces. Instruite de la
religion par son mari, elle
conserva toujours sa première ferveur. Après la mort
d’Augustin, Cécile demeura
longtemps en prison avec ses trois enfants. Quand on
la mit en liberté, toute
sa fortune avait disparu. N’ayant plus aucune
ressource, elle se retira à
Ma-tsai, chez son beau-frère, qui, loin de venir à
son secours, lui suscita
mille persécutions domestiques, et la laissa languir
dans une extrême pauvreté.
L’aînée de ses filles mourut bientôt, ainsi que la
femme et le fils du martyr
Charles Tieng, son beau-fils; il ne lui resta que
son fils Paul et sa fille
Elisabeth. Un jour elle eut un songe. Elle entendit
son mari Augustin qui lui
disait : « J’ai bâti au ciel une demeure de huit
appartements. Déjà cinq sont
remplis; les trois autres attendent. Supportez
patiemment les misères de la
vie, et surtout ne manquez pas de venir nous
rejoindre, » La famille se
composait, en effet, de huit personnes dont cinq
déjà mortes : Augustin et son
fils Charles, martyrs en 1801; la fille d’Augustin,
la femme et le jeune fils
de Charles, qui venaient de succomber aux privations
et aux mauvais
traitements. Ce songe, qui devait avoir sa
réalisation complète, la frappa
beaucoup et ranima son courage. Son fils Paul, tout
entier à son grand projet de faire pénétrer les
missionnaires en Corée, dut vivre longues années
séparé de sa mère. C’était
pour celle-ci une bien rude épreuve, et chaque fois
qu’il partait pour ses
voyages de Péking, le cœur de Cécile était déchiré,
car elle croyait lui faire
des adieux éternels. Lorsque Paul se fut attaché au
service des prêtres et de l’évêque,
sa mère le suivit, et, trop âgée pour s’occuper des
travaux de la maison, elle
donnait tout son temps aux exercices de piété.
Pendant la persécution de 1839,
un de ses neveux vint l’engager à fuir le — 212 — péril et lui offrit
un refuge. Elle répondit : « J’ai toujours désiré le
martyre et je veux le partager avec mon fils Paul. »
Elle fut arrêtée, en
effet, le 9 de la sixième lune. Liée de la corde
rouge, comme criminelle d’état,
sans doute à cause du nom qu’elle portait, elle fut
traduite devant le juge
criminel, et, malgré son grand âge, mise à la
question. Sa conduite et ses
réponses furent jusqu’à la fin franches et dignes.
Dans divers interrogatoires,
elle subit les tortures accoutumées et reçut, en
outre, deux cent trente coups
de bâton. La loi ne permettant pas de décapiter les
vieillards, elle languit
quelques mois dans la prison et, consumée par les
souffrances, rendit le
dernier soupir, le 18 de la dixième lune, en
prononçant les saints noms de
Jésus et de Marie. Elle avait alors
soixante-dix-neuf ans. Restait à la prison
sa fille Elisabeth, femme vraiment forte, élevée à
l’école
de l’adversité. Emprisonnée dès son enfance, elle ne
sortit du cachot que pour
aller, chez son oncle, partager les amertumes et les
souffrances dont on
abreuvait sa mère. Elle sut conserver sa foi au
milieu des épreuves; elle s’habitua
à la pauvreté, au froid et à la faim, et s’appliqua
avec tant de courage au
travail des mains, qu’elle parvint, par la couture
et le tissage, à soutenir sa
mère, son frère Paul et elle-même. Ses beaux
exemples rallièrent à la religion
quelques-uns de ses parents, d’abord très-hostiles,
et qui ne pouvaient
pardonner au Dieu des chrétiens d’être la cause de
la ruine de leur famille. D’une
modestie admirable, Elisabeth ne se permit jamais de
regarder un homme en face,
fût-il de ses plus proches parents; et de bonne
heure, elle consacra à Dieu sa
virginité. Elle eut à ce sujet, vers l’âge de trente
ans, une tentation des
plus violentes, qui dura plus de deux ans et ne
servit qu’à donner à sa vertu
une solidité inébranlable. Attaquant la nature
révoltée par des mortifications
et des jeûnes continuels, elle ne cessait de prier
jour et nuit son divin
Époux, et ses larmes lui obtinrent à la fin une
complète victoire. On la vit
souvent se priver du nécessaire, pour subvenir aux
besoins des pauvres
abandonnés, et elle profitait de ses relations avec
eux, pour les instruire,
les exhorter et les préparer aux sacrements. Ayant
suivi sa mère et son frère
au service des prêtres et de l’évêque, elle
remerciait Dieu de l’avoir placée
ainsi à la source des grâces, en lui rendant si
facile la réception des
sacrements, et fit preuve de beaucoup de dévouement
et d’activité. Quand s’éleva
la persécution, elle fut d’abord saisie de crainte,
se disant que le martyre
était au-dessus de ses forces, mais elle ne cessa
pas néanmoins d’encourager et
— 213 — de consoler les
chrétiens, tout en redoublant de ferveur pour se
préparer
elle-même à la mort. En vain le mandarin lui promit
la vie, si elle voulait
apostasier; en vain dans sept interrogatoires
successifs on lui fit subir les
plus cruelles tortures; en vain on la frappa de deux
cent trente coups de gros
bâton, son calme ne se démentit pas un seul instant,
et le juge, désespérant de
la vaincre, l’envoya, le 2 de la dixième lune, au
tribunal des crimes. Là,
après six nouveaux interrogatoires, après avoir été
remise six fois à la
question, elle fut condamnée à mort. Renvoyée à la
prison, elle s’occupait à
prier et à servir les prisonniers, ne craignant pas
de mendier au dehors des
secours qui lui permissent de venir en aide à ces
malheureux. Elle avait pris
tellement à cœur ces œuvres de charité, qu’en
partant pour l’exécution elle ne
dit aux chrétiens que ces paroles : « Surtout, priez
bien pour les pauvres et
les affligés. » Elle fut décapitée, à l’âge de
quarante-trois ans, le 24 de la
onzième lune, et alla ainsi, par la même voie royale
du martyre, rejoindre au
ciel son père, sa mère et ses deux frères. Mentionnons encore,
parmi les confesseurs de cette époque, Pierre Ni
Tsioun-hoa, natif du district de Hong-tsiou, qui fut
alors saisi au district de
Na-tsiou, province de Tsien-la, où il résidait
depuis quelque temps. Il demeura
ferme dans les supplices, et mourut dans la prison
de cette ville, durant la
onzième lune, à l’âge de trente-trois ans. Nous
n’avons pas sur lui d’autres
renseignements. Puis, la veuve Barbe Pak, sa
belle-sœur, native du district de
T’sieng-tsiou. Toujours fidèle à ses devoirs de
chrétienne, d’épouse et de
mère. Barbe vivait au district de Ro-san. Arrêtée et
conduite dans la prison de
cette ville, elle montra une force au-dessus de son
sexe, et ne se laissa
ébranler ni par les tortures, ni par la présence de
ses trois jeunes enfants
emprisonnés avec elle. Sortie victorieuse de ces
diverses épreuves, elle
attendait avec joie dans le cachot le moment de
mourir pour Dieu, quand elle
fut atteinte de la peste. Pour empêcher la
contagion, on la transporta hors de
la prison, dans une cabane de paille, où on
l’abandonna seule avec ses petits
enfants. Ceux-ci s’amusèrent à souffler le feu dans
le vase de terre où
quelques charbons étaient déposés, et la flamme se
communiqua à la paille de la
cabane, qui fut réduite en cendre au bout de
quelques minutes. Tous y périrent
à la fois. Barbe Pak avait vingt-huit ans, son fils
aîné Vincent Ni, sept ans,
le second André Ni, quatre ans, et sa fille Marie
était encore à la mamelle.
Quoique victime de cet accident fortuit. Barbe a
certainement le droit d’être
comptée au nombre des martyrs, — 214 — puisque cet accident
avait eu pour première cause sa maladie, maladie
gagnée dans la prison où on la retenait en punition
de sa courageuse fidélité à
son Dieu. Arrêtons-nous aussi
quelques instants, au district de Iang-keun, berceau
de
notre sainte religion en Corée, mais dont nous
n’avons guère eu l’occasion de
nous occuper depuis la persécution de 1801. Les
chrétiens y étaient assez peu
nombreux. Toutefois, la haine des persécuteurs alla
les y chercher, et s’il est
à regretter que la noble famille qui répandait
autrefois la religion avec tant
de zèle dans cette partie du royaume, ait refusé en
cette circonstance de la
sceller de son sang, nous verrons cependant que Dieu
a trouvé là des témoins
fidèles, moins illustres peut-être aux yeux des
hommes par la renommée et par
la position sociale, mais plus grands aux yeux des
anges, parce qu’ils ont
mieux su mourir. A dix lys de Iang-keun, vivait
Pierre Tsiang Sa-koang-i,
descendant d’une famille honnête de la capitale, et
établi non loin de la famille
des Kouen de Han-kam-kai, qui l’avaient instruit de
la religion. Refroidi dans
sa première ferveur par les désastres de 1801, il
avait continué de vivre en
païen jusqu’en 1828, quand les exhortations des
chrétiens se joignant à l’impulsion
de la grâce, il prit enfin une détermination
décisive. Dès lors, il fit sa profession
de foi devant ses parents païens, brûla ses
tablettes, fit effacer san nom des
registres du temple de Confucius, renonça absolument
à l’usage du vin pour se
guérir de son penchant à l’intempérance, et
travailla sans relâche à dompter
son caractère dur et violent. Quand les
missionnaires eurent pénétré en Corée,
il eut le bonheur de recevoir les sacrements, et
depuis lors ses bonnes
résolutions furent plus solides, et sa fidélité à
tous ses devoirs ne se
démentit plus un seul instant. Sa femme, nommée
Madeleine Son, était fille de Son Kien-gioun-i,
catéchiste
de la capitale, martyrisé en 1801. Cette fervente
chrétienne eut à supporter
une pénible et longue épreuve, quand son mari,
Pierre Tsiang, abandonna ses
pratiques religieuses. Jour et nuit, elle se
désolait de ne pouvoir accomplir
convenablement ses exercices de piété; elle priait
Dieu avec larmes de la
secourir et d’ouvrir les yeux à son mari. Aussi,
grande fut sa joie quand enfin
il vint à résipiscence. Les deux époux ayant été
pris, avec leurs deux fils, à
la huitième lune de 1839, furent conduits au
mandarin de Iang-keun, qui voulut
obtenir leur apostasie par des supplices multipliés.
Pierre ne fut nullement
ébranlé, et Madeleine, après avoir été un moment — 210 — sur le point de
faiblir, reprit de suite une énergie qui trompa
l’attente
du tyran. Poussé à bout, ce mandarin, par un
raffinement inouï de férocité, les
menaça de faire mourir leurs deux enfants sous leurs
yeux, et commença, en
effet, à les torturer cruellement. Le cœur des
parents était transperce, mais
une grâce toute-puissante vint à leur secours, et
Pierre s’écria : « L’amour
des enfants est naturel à l’homme, et les
souffrances de mes fils me sont cent
fois plus pénibles que les miennes propres, mais
comment pourrais-je, par amour
pour eux, renier mon Dieu? Non, mille fois non, je
ne le ferai pas. » L’affaire
ayant été portée au gouverneur, il ordonna
d’insister; et en conséquence, plus
de dix fois, ils furent tous deux remis à la
question. Leurs fils ayant fini
par apostasier, après deux mois de captivité, furent
renvoyés libres. Pierre et
Madeleine restèrent à la prison, et le mandarin,
désespérant de les vaincre par
les tourments, essaya d’en triompher par la faim. Il
défendit de leur donner
aucune nourriture. Quelques jours après, il les cita
de nouveau à son tribunal,
mais il avait perdu sa peine; les deux confesseurs,
presque mourants, lui
résistèrent avec plus d’énergie que jamais. Leur
agonie se prolongea quelques
jours encore. Enfin Pierre rendit à Dieu sa belle
àme, le 13 de la onzième
lune, à l’âge de cinquante-trois ans, et Madeleine
le 17, à l’âge de
cinquante-six ans. Mais le plus glorieux
martyre qui, à cette époque, consola l’Église
coréenne, fut certainement celui de Protais Hong et
de ses compagnons, dans la
province de Tsien-la. Protais Hong Tsa-ieng-i était
le troisième fils du noble
Hong Nak-min-i, dont nous avons si souvent parlé au
commencement de cette
histoire. A l’automne de 1801, son nom ayant été
trouvé sur une liste de
confrérie dans les papiers du célèbre Alexandre
Hoang, Protais fut pris et
envoyé en exil à la ville de Koang-tsiou, province
de Tsien-la. Il est à peu
près certain qu’en cette occasion, il n’échappa à la
mort que par l’apostasie;
cependant le fait n’est établi par aucun document
positif. A Koang-t’siou,
isolé de tous les chrétiens, il passa quelques
années sans pratiquer sa
religion; puis, réveillé par un coup inespéré de la
grâce, il reprit ses
exercices de piété et chercha à réparer sa faute par
un redoublement de
ferveur. Sa femme alla le rejoindre au lieu de
l’exil, et ils s’y établirent
comme ne devant jamais en sortir. Protais
s’appliquait à bien régler sa maison
et à instruire chrétiennement ses enfants. Exact à
toutes ses prières et se
livrant à de longues méditations, il donnait à peine
quelques heures au som — 216 — meil, aux repas et à
tout ce qui concerne la vie du corps. Quand il
priait,
c’était toujours à genoux devant le crucifix, dans
une posture modeste, ne
laissant jamais paraître ni nonchalance, ni fatigue,
et ses prières étaient
tellement prolongées, qu’il se forma une grosse
tumeur à ses genoux, de sorte
qu’il lui était très-difficile de faire à pied le
moindre voyage. Il jeûnait
trois fois la semaine, s’excitait continuellement à
la contrition de ses péchés
et surtout de son apostasie, et souvent on
l’entendait sangloter et pousser des
gémissements lamentables. Adonné aux œuvres de
charité, quand il savait un de
ses frères dans le besoin, il emportait secrètement
quelque chose de la maison,
et allait remettre son aumône lui-même, afin que sa
famille n’en sût rien; mais
il fut surpris plus d’une fois par des païens,
qu’une pareille humilité
surprenait plus qu’on ne peut dire. En l’année 1832,
quand on publia l’amnistie générale pour les exilés,
le
gouverneur de la province écrivit au mandarin de
Koang-tsiou de relâcher
Protais, s’il était revenu à de meilleurs
sentiments. Le mandarin le fit donc
venir et lui demanda s’il s’était amendé : « Je n’ai
pas changé de sentiments,
répondit Protais. — Comment, repartit le mandarin
stupéfait, quelle parole me
dis-tu là? tu es exilé depuis plus de trente ans, tu
es maintenant arrivé à la
vieillesse et tu t’obstines encore ! Ne te serait-il
donc pas bien agréable de
retourner dans ta patrie? » Plusieurs jours de
suite, le mandarin revint à la
charge; il essaya tour à tour les raisonnements, les
promesses, les menaces;
mais tout fut inutile. Pendant la persécution de
1839, Protais ne se contenta
pas de donner une hospitalité passagère à beaucoup
de chrétiens fugitifs; il
consentit à recevoir chez lui quatre femmes, qui ne
savaient où se réfugier; il
les entretint à ses frais et voulut que sa maison
devînt la leur. Quand il
apprenait le martyre de quelques nouveaux
confesseurs, son cœur était vivement
ému, et il sentait d’autant plus le désir de marcher
sur leurs traces, qu’il en
avait lui-même, une première fois, manqué Foccasion.
Dieu lui accorda cette
grâce. Le 14 de la sixième lune, des satellites
venus de Tsien-tsiou l’arrêtèrent,
lui et toute sa famille, ainsi que les quatre
chrétiennes dont nous venons de
parler. C’étaient : Anastasie Kim, Anastasie Ni,
Madeleine Ni et Barbe T’soi. Après un premier
interrogatoire, le mandarin local fit passer au cou
de
Protais une petite cangue et l’envoya à Tsien-tsiou.
Quand il partit, les
habitants de la ville, de tout âge et de tout sexe,
au nombre de trois ou
quatre cents, le suivaient en disant : « Est-ce
ainsi que l’on punit les hommes
justes? Les bonnes 217 qualités, les plus
grandcs vertus ne servent-elles donc de rien? » Les
uns
le retenaient; d’autres poussaient des cris de
douleur : on eût cru voir la
séparation d’un père avec ses enfants. Protais les
consolait et leur répétait
qu’il était très-heureux, que cette route était pour
lui le chemin de la
gloire. Arrivé le 18 à Tsien-tsiou, avec toutes les
personnes arrêtées dans sa
maison, il fut, le soir même, cité devant le juge
criminel, où il refusa d’apostasier
et de dénoncer qui que ce fût. Deux jours après, on
le conduisit devant le
gouverneur. Celui-ci, entouré de quatre-vingts
satellites, renouvela les mêmes
injonctions et, sur son refus d’y obtempérer, le fit
mettre à la question.
Plusieurs interrogatoires se succédèrent, mais
Protais demeura inébranlable
dans les supplices. Sa sentence fut signée à la
septième lune, et au milieu des
coups et des injures des valets du tribimal, il
retourna à grand’peine à la
prison. En y arrivant, il tomba sans connaissance,
et ne revint à lui qu’après
un assez long intervalle. Le 15 de la neuvième lune,
le juge le fit comparaître
de nouveau et, après avoir vainement essayé de le
séduire, lui dit : « Non-seulement
tu es membre d’une secte sévèrement prohibée, mais
encore tu as reçu chez toi
des étrangers; ne trouve donc pas mauvais qu’on te
punisse du dernier supplice.
— Traitez-moi, repartit Protais, selon la loi du
royaume. » On lui infligea la
bastonnade d’usage après la lecture de la sentence,
et il fut déposé à la
prison civile, en attendant le jour fixé pour
l’exécution. Barbe Sim, épouse de
Thomas Hong, fils aine de Protais, avait été arrêtée
avec
son beau-père. Née de parents nobles, au district de
In-t’sien, elle
remplissait tous ses devoirs avec fidélité; mais
elle était d’une intelligence
si bornée que tous ses efforts lui avaient à peine
procuré l’instruction
religieuse nécessaire. Sa foi, néanmoins, était des
plus solides, et sa
charité, ardente. Elle le fit bien paraître en 1839,
par l’hospitalité
courageuse et dévouée qu’elle donna à tous les
chrétiens que la persécution
forçait à fuir, et surtout par la bonté avec
laquelle elle accueillit et
entretint si longtemps les quatre femmes réfugiées
dans sa maison. Jamais on n’aperçut
chez elle la moindre impatience, le moindre signe
que ses hôtes lui fussent à
charge. Au moment de l’arrestation et durant les
interrogatoires, elle ne
changea pas de couleur et conserva tout son calme.
Quoique d’une santé faible
et d’une complexion délicate, elle ne se laissa
nullement intimider par l’appaieil
terrible du tribunal du gouverneur et par les
odieuses vociférations qui
accompagnent tous les ordres qui y sont donnés. Elle
supporta de nombreuses
bastonnades et — 218 — fut mise plusieurs
fois à la question; mais ni les coups, ni les
blessures,
ni les injures des satellites et des geôliers, ni le
séjour prolongé dans un
cachot infect, rien ne put lui arracher une plainte,
parce qu’elle souffrait
pour son Dieu. Généreuse jusqu’à la fin, elle signa
deux fois sa sentence de
mort, ainsi que son beau-père, à la septième et à la
neuvième lune. Sa plus
grande épreuve, le plus terrible supplice pour son
cœur de mère, c’était la
présence de son plus jeune iils, âgé de deux ans,
qu’elle voyait mourir
lentement de faim et de misère. Attaquée elle-même
d’une violente dyssenterie,
qui vint se joindre à ses autres souffrances, elle
comprit que la délivrance
approchait et se prépara à la mort. Dieu ne permit
pas qu’elle vécût jusqu’au
jour marqué pour son supplice, et elle rendit
paisiblement son âme à son
Créateur, le 6 de la dixième lune, à l’âge de
vingt-sept ans. Son enfant mourut
quelques heures après et alla rejoindre sa mère dans
la gloire que Dieu réserve
à ses martyrs. Anastasie Kim, femme
de Paul Ni Sieng-sam-i, née au district de Tek-san,
appartenait à une honnête famille de la classe du
peuple. Son heureux caractère
la faisait aimer de tous, et sa maison était le
modèle des maisons chrétiennes.
Attentive à tous ses devoirs, elle veillait avec un
soin particulier à l’instruction
de ses enfants, et même à celle des femmes du
village auxquelles ses
exhortations furent très-utiles. Dénoncée en 1839,
et ne sachant où chercher un
asile, elle alla se réfugier chez Protais Hong, au
lieu de son exil, et fut
arrêtée avec toutes les autres personnes de la
maison. Arrivée à Tsien-tsiou,
elle dut subir plusieurs interrogatoires devant le
juge criminel, et ne céda ni
aux menaces ni aux tortures. Elle répondit avec
calme et dignité à toutes les
questions, et refusa constamment de renier son Dieu
et de dénoncer son mari, à
l’occasion duquel on lui fit subir des supplices
plus longs et plus violents
que de coutume. De là, elle fut conduite au tribunal
du gouverneur qui la
traita d’une manière plus cruelle encore, sans
pouvoir vaincre sa constance. On
finit par lui faire signer sa sentence de mort,
après quoi elle reçut la
bastonnade, de règle en pareil cas. A la prison, les
blessures très-graves qu’elle
avait reçues la faisaient beaucoup souffrir; elle
n’en fut pas moins fidèle à l’oraison
et à tous ses autres exercices de piété. Mais, ce qui occupait
surtout son âme et lui causait un grande inquiétude,
c’était sa jeune fille Anastasie. Cette pauvre
enfant ayant suivi sa mère chez
Protais Hong, était tombée avec elle entre les mains
des satellites, et
partageait sa prison et ses souf —
219 — frances. Anastasie M,
appelée Pong-keum-i, était un petit ange d’une piété
charmante. Dès l’âge le plus tendre, les pieuses
instructions de sa nièce
avaient jeté dans son cœnr de profondes racines.
Elle savait remplir ses
devoirs, elle savait aussi aimer Dieu de tout son
cœur. A dix ans, ayant appris
tout son catéchisme et les longues formules des
prières du matin et du soir,
elle eut le bonheur de rencontrer le missionnaire,
qui, frappé de ses
dispositions précoces, lui permit la sainte
communion. Anastasie avait répandu
tant de larmes devant Dieu, dans la crainte de ne
pas être admise à ce banquet
céleste, qu’elle fut au comble de ses vœux. Son
jeune cœur éclatait en
transports de joie et de reconnaissance. Ce fut
aussi un vrai jour de fête pour
son père et sa mère, heureux du bonheur de leur
enfant, juste récompense de
leurs généreux efforts. La suite ne démentit pas les
promesses de ce beau jour,
et l’enfant ne cessait de croître en vertu et en
piété, quand Dieu permit qu’elle
passât par l’épreuve de la persécution. Le juge
l’interrogea sur les prêtres
européens, lui demandant s’ils avaient été chez
elle, et où ils étaient à cette
heure? — « Oui, certainement ils sont venus chez
moi, répondit-elle, mais j’ignore
oii ils sont maintenant. Comment voulez-vous qu’une
petite fille, comme moi,
soit au courant des affaires des missionnaires? — Eh
bien ! dit le juge, si tu
veux renier ton Dieu et l’injurier, je te sauverai
la vie. Sinon, ajouta-t-il d’un
ton menaçant, je te fais mettre à mort. — Avant
l’âge de sept ans, dit
Anastasie, je n’avais pas l’usage de la raison, je
ne savais pas lire et ne
connaissais rien, je n’ai pu honorer Dieu comme il
faut; mais depuis l’âge de
sept ans je le sers, et vous voulez que je le renie
aujourd’hui ! vous voulez
que j’en vienne à l’injurier! non, quand je devrais
mourir mille fois, je ne le
puis. » Le juge n’osa pas cette fois exposer aux
tortures une aussi jeune
enfant, et on la renvoya à la prison. Là, sa mère ne
cessait de l’exhorter et usait de pieux artifices
pour
affermir son courage. « Pour toi, disait-elle, je
suis bien sûre que tu apostasieras.
» La petite fille de s’en défendre énergiquement, et
la mère d’ajouter : « Si
on te fait souffrir la torture, tu céderas de suite,
tu n’es pas de taille à
tenir ferme. » La jeune enfant renouvelait ses
promesses de tidélité à toute
épreuve, et la mère répétait : « Eh bien ! nous
verrons si tu seras capable de
quelque chose. » Les anges du ciel ne devaient-ils
pas écouter avec
complaisance les paroles de la mère et les élans
d’amour que ses doutes
affectés faisaient naître dans le cœur de cette
enfant prédestinée? Les satellites,
les geôliers eux — 220 — mêmes, touchés de
pitié pour son jeune et sa modestie, voulaient à
toute
force la sauver. Ils se mettaient, pour ainsi dire,
à ses pieds, la priaient,
la conjuraient de se conserver la vie. La moindre
parole équivoque l’eût mise à
l’abri des poursuites ; elle ne prononça pas cette
parole, elle sut repousser
les tentations des ministres de Satan, et rester
sourde à toutes leurs
instances. Citée plusieurs fois devant le juge, elle
ne se laissa séduire ni
par ses menaces ni par ses caresses, et celui-ci
irrité finit par la faire
mettre à la question. Ne pouvons-nous pas répéter
ici ce que saint Ambroise
disait de la glorieuse sainte Agnès : « Y aura-t-il,
sur ce petit corps, place
pour les blessures ? Mais si son corps peut à peine
recevoir le fer, il pourra
triompher du fer. Intrépide entre les mains
sanglantes des bourreaux, immobile
sous leurs coups furieux, ne sachant pas encore ce
que c’est que la mort, et
déjà prête à mourir, du milieu des tourments tendant
les bras au Christ, et
dans ce tribunal sacrilège érigeant les trophées
victorieux du Seigneur, elle
est à peine capable de souffrir, et déjà elle est
mûre pour la victoire [1]. »
Anastasie, toujours inébranlable, fut enfin
condamnée à mort et signa sa
sentence. Sa mère, épuisée par la maladie et
couverte de plaies par suite des
tortures qu’elle avait endurées, s’en alla la
première recevoir la couronne,
vers la dixième lune, à l’âge de cinquante et un
ans. Anastasie, restée seule
et sans appui humain, trouva sa force dans le Dieu
qu’elle aimait et qui ne lui
fit pas défaut. Elle sut persister jusqu’au bout
dans son héroïque
détermination, et ses juges vaincus, n’osant la
faire décapiter publiquement
par le bourreau, commandèrent de l’étrangler dans la
prison ; ce qui fut fait
dans la nuit de la dixième à la onzième lune.
Anastasie est,
croyons-nous, la plus jeune de tous les martyrs qui
ont été mis à mort dans ce
royaume en vertu d’une sentence officielle. C’est à
tort que plusieurs notices
lui donnent quatorze ans ; elle n’en avait
certainement pas plus de douze,
puisqu’elle naquit après la fuite de ses parents,
pendant la persécution de
1827. Quelle gloire pour la religion d’avoir d’aussi
intrépides témoins d’un
âge aussi tendre ! Quelle promesse de glorieux
avenir pour le peuple qui
fournit à la vérité de pareils défenseurs !
Madeleine Ni, du
district de Keum-san, mariée au frère de François
Kim Sieng-sie, devint veuve
avant l’âge dé vingt ans. N’ayant point d’enfants,
elle s’appliqua dès lors
uniquement au salut de son âme et à
l’accomplissement de ses devoirs de piété 1. Saint Ambroise, De Virginibus,
lib. I. — 221 — filiale envers son
beau-père et sa belle-mère. Elle remerciait Dieu
fréquemment de l’avoir mise dans une position où la
vertu lui était
comparativement facile. Elle vivait dans la
pauvreté, s’exerçait à la pratique
de la mortification par des jeûnes et des
abstinences volontaires, s’efforçait
de soulager les malheureux, et s’imposait surtout,
avec plaisir, la tâche
ingrate d’instruire les ignorants. Prise dans la
maison de Protais, elle fit
hardiment sa profession de foi et supporta les
diverses tortures sans faiblir.
Renvoyée à la prison, s’occupant peu de ses propres
souffrances, elle ne
songeait qu’à exhorter les chrétiens prisonniers à
persévérer dans la
courageuse confession de leur foi. « Surtout,
disait-elle, agissons franchement
avec Dieu ; soyons-lui fidèles et allons tous
ensemble au ciel ; qu’aucun n’y
manque ! » Citée ensuite devant le gouverneur, elle
montra la même fermeté dans
les supplices et mérita d’être condamnée à mort.
Barbe T’soi était fille
de Marcellin T’soi, martyrisé à Nie-tsiou en 1801.
Une bonne éducation réforma
son caractère peu discipliné, et bientôt on admira
sa patience dans la misère,
sa fervente charité envers Dieu et le prochain.
Mariée au fils de Pierre Sin T’aipo,
elle devint veuve peu après, resta seule près de son
beau-père, et ne témoigna
jamais ni fatigue ni tristesse au milieu des mille
embarras de sa position.
Prise avec son beau-père en 1827, elle fut relâchée
presque aussitôt ; on ne
sait ni pourquoi ni comment, car elle n’apostasia
point. Depuis lors, n’ayant
plus de maison à elle, elle vécut chez des parents
ou amis, visitant souvent
son beau-père pendant sa longue détention, et
s’efforçant de lui procurer, ainsi
qu’aux autres prisonniers, quelques petits secours.
En 1839, elle fut arrêtée
chez Protais, comme nous l’avons vu, et subit par
devant le juge criminel un
premier interrogatoire suivi de la question qu’elle
endura avec calme. Au
tribunal supérieur, le gouverneur lui demanda : «
Qui es-tu ? — Je suis,
répondit-elle librement, la fille de Marcellin T’soi
décapité en 1801, et la
belle-fille de Pierre Sin décapité ce printemps,
dans cette ville. — S’il en
est ainsi, tu t’es confessée sans doute ? — Vraiment
oui. — Dans ce cas, il
faut que tu meures. — Je m’y attends bien et il y a
longtemps que je m’y
prépare. » Sans en dire davantage, le gouverneur
porta immédiatement la
sentence de mort et la renvoya en prison.
Tous ces généreux
confesseurs dont nous venons de parler, réunis dans
un même cachot, s’encourageaient
à la persévérance. La Providence leur adjoignit un
autre compagnon, Jacques O,
d’une noble famille chrétienne du district de
Eun-tsin. Marié — 222 — depuis peu de temps,
il était allé rendre visite à son frère aîné au
village de Tsin-sou, quand il fut pris avec lui et
plusieurs autres chrétiens,
à la septième lune. Le juge criminel lui dit :
« Tu n’es encore qu’un
enfant, dis seulement que tu ne le feras plus, et on
te relâchera aussitôt. »
Il répondit : « Après avoir connu le bonheur de
servir mon Dieu, comment
pourrais-je le renier par crainte du supplice ? » Et
le juge, ne pouvant rien
obtenir par la douceur, le fit mettre à la torture.
Tout fut inutile. Envoyé
devant le gouverneur, Jacques eut la douleur de voir
apostasier son frère aîné.
Il ne se laissa pas ébranler et tint ferme dans les
supplices, ce qui lui valut
la sentence de mort, que ses désirs appelaient
depuis longtemps. Il partagea
dans la prison les souffrances des autres
confesseurs. On les y laissa languir
plusieurs mois, mais enfin toutes les formalités
ayant été remplies, le jour du
supplice fut fixé. Protais exhorta ses fils, qui
jusqu’alors avaient été d’assez
mauvais chrétiens, et ses paroles, que la
circonstance rendait plus éloquentes,
firent sur leur cœur une vive impression. Comme ils
versaient des larmes en le
voyant partir, il leur répéta plusieurs fois qu’il
fallait se réjouir et non
pleurer. Il se rendit au lieu de l’exécution avec un
visage calme et sérieux ;
on remarquait, au contraire, l’air de satisfaction
des autres confesseurs. Ils
furent décapités ensemble le 30 de la onzième lune,
4 janvier 1840. Protais
avait soixante ans ; Jacques O, dix-neuf ; Madeleine
Ni, trente-deux ; Barbe T’soi
comptait cinquante et quelques années.
Dans cette glorieuse
troupe de martyrs de la maison de Protais Hong, se
trouvèrent ainsi réunis tous
les âges et toutes les conditions : un vieillard,
deux veuves, deux femmes
mariées, une jeune vierge, un petit enfant. C’est
par leur supplice que la
persécution se termina dans la province de Tsien-la,
et leurs actes demeurent
une des plus belles pages de l’histoire de cette
chrétienté. |