Histoire de l’Église de Corée Charles Dallet LIVRE II
[82] CHAPITRE II
Persécutions partielles. — Martyre de
Ni Tokei, de François Pak, etc. — Mort du roi.
Nous
venons de résumer le peu que l’on connaît des travaux
apostoliques du P. Tsiou pendant son séjour de six ans
en Corée, Avant de raconter le glorieux triomphe qui
couronna la vie de ce saint missionnaire, il nous faut
faire connaître les noms et les actes des confesseurs
et des martyrs qui rendirent témoignage à
Jésus-Christ, pendant cette période. La mort
des trois introducteurs du prêtre étranger n’avait pas
fait entièrement cesser la persécution. Les ennemis de
la religion sollicitaient vivement le roi d’ordonner
de nouvelles poursuites contre les chrétiens, et ce
prince, malgré sa modération, se crut obligé de donner
quelque satisfaction à leurs rancunes. Tieng Iak-iong,
qui avait une position élevée à la cour, fut disgracié
et envoyé comme surveillant des portes, à Kim-tseng.
Il avait déjà apostasie une fois, et lorsqu’il fut
arrivé dans son gouvernement, il eut la lâcheté de
tourmenter quelques chrétiens, pour mieux se laver du
crime d’être chrétien lui-même. Poursuivi malgré tout
cela par ses adversaires, il finit par présenter au
roi une adresse dans laquelle sa défection était
clairement exprimée, ce qui lui permit de respirer un
peu. Pierre
Seng-houn-i avait depuis longtemps abandonné la
religion, et fait connaître son apostasie par un écrit
public. Il fut néanmoins envoyé en exil à Niei-san, où
il demeura une année. Là, il publia encore une
apologie de sa conduite, protestant qu’il avait rompu
avec les chrétiens, et renié leur doctrine; mais il
était si méprisé à cause de sa faiblesse, que personne
ne voulut ajouter foi à ses paroles. Ni Ka-hoan-i
lui-même, chef du parti Nam-in, ancien ministre des
travaux publics, fut aussi disgracié et nommé mandarin
de la ville de T’siong-tsiou. C’est celui que nous
avons vu, dans les premières années de l’établissement
de la religion en Corée, entrer en conférence avec
Piek-i, reconnaître la vérité de la religion, mais
refuser de se convertir. Jamais Ni Ka-hoan-i ne fut du
nombre des fidèles. Au contraire, il s’était fait leur
persécuteur, lorsqu’il était mandarin à Kang-hoa, — 83 — et,
dans son nouveau gouvernement de T’siong-tsiou, il
suivit la même ligne de conduite. On raconte qu’il
choisissait les jours d’abstinence des chrétiens, pour
réunir chez lui les lettrés, et qu’il leur faisait
servir de la viande, afin de reconnaître s’ils
pratiquaient ou non la religion. Les trois villes, que
nous venons de nommer, Kim-tseng, Niei-san et
T’siong-tsiou, avaient été, avec intention, choisies
pour la résidence de ces dignitaires disgraciés. On
savait que les chrétiens y étaient comparativement
fort nombreux, et on voulait les effrayer et mettre
obstacle à la conversion des gentils. La
disgrâce de ces trois hommes influents, dont deux
apostats et un païen, montre bien clairement que les
ennemis des chrétiens voulaient, non-seulement
détruire la nouvelle religion, mais aussi abattre le
parti Nam-in, dans la personne de ses principaux
chefs. Quant à la conduite du roi, en cette
circonstance, elle nous est expliquée comme il suit,
dans les mémoires du martyr Alexandre Hoang. « Le feu
roi, dit-il, n’était pas sans craintes du côté de la
Chine. La présence d’un prêtre de cette nation en
Corée, pouvait lui attirer des difficultés avec la
cour de Péking, difficultés d’autant plus graves qu’il
lui eût été impossible de prétexter son ignorance du
fait, puisque des preuves certaines en avaient été
données devant les tribunaux. D’un autre côté, il
répugnait, par caractère, aux mesures violentes.
Jamais il n’avait voulu consentir à une persécution
générale, et ce n’était qu’à force d’instances qu’on
lui avait arraché, dans quelques cas particuliers, la
signature des sentences de mort. Il eût désiré se
débarrasser sans bruit du prêtre, et amener les
chrétiens à l’apostasie par les séductions ou les
menaces, plutôt que par les supplices. Il démêlait
très-bien d’ailleurs les haines politiques qui, chez
ses ministres, se déguisaient sous l’apparence de zèle
pour la religion nationale, mais il n’avait pas la
force d’y résister, et le plus souvent fermait les
yeux sur les excès commis en son nom contre les
chrétiens, par les différents mandarins des provinces.
La plupart de ceux-ci, se sentant appuyés à la cour,
donnèrent libre carrière à leur rapacité et à leurs
rancunes. » Une de
leurs premières victimes fut Thomas Kim, connu aussi
sous le nom de Kim P’ong-heu, (c’est-à-dire : chef de
canton ou collecteur d’impôts). Né dans la province de
T’siong-t’sieng, au district de T’sieng-iang, d’une
famille du peuple, il avait reçu quelque instruction.
Son caractère droit et ferme lui avait attiré l’estime
de ses concitoyens, et c’est sur la demande du peuple
— 84 — qu’il
avait été fait chef de canton. Devenu chrétien, il
continua l’exercice de sa charge. Il pratiquait avec
ferveur la religion, se livrait avec assiduité à la
prière et aux lectures pieuses, instruisait avec soin
sa famille et vivait en parfaite harmonie avec tout le
monde. En l’année pieng-tsin (1796), il fut arrêté et
conduit à la préfecture de T’sieng-iang où il eut à
supporter les plus violents supplices. On en vint
jusqu’à lui brûler de la feuille d’armoise sèche sur
l’anus, mais rien ne put lui faire renier sa foi. On
fit rougir au feu un soc de charrue, et on lui ordonna
de quitter sa chaussure et de marcher dessus. Il
allait obéir, quand on l’arrêta en disant qu’il était
fou; c’était la sainte folie de la croix. Thomas fut
condamné à mort. Trois jours avant l’exécution, on lui
barbouilla le visage avec de la chaux, et on lui fit
faire trois fois le tour du marché au son du tambour.
Sur ces entrefaites, le mandarin de T’sieng-iang ayant
été cassé, l’affaire fut différée jusqu’à l’arrivée de
son successeur, malgré les instances de Thomas qui
demandait l’exécution de la sentence. Le nouveau
mandarin, après avoir examiné les pièces du procès,
fit sortir de prison le confesseur, en le plaçant sous
caution dans la maison d’un particulier, et quelques
jours après, lui fit ordonner de sortir du territoire
de sa préfecture, Thomas, désolé de n’avoir pu obtenir
la couronne du martyre, s’en alla en gémissant, et
répétant à tous, qu’il n’avait pas eu de bonheur, et
que désormais, pays, maison, famille, n’étaient plus
rien pour lui. Il habita successivement dans les
districts de Pou-ie, de Keumsan et de Ko-san,
s’appliquant à l’instruction des chrétiens, et vivant
dans un dénûment complet de toutes choses. Si les
fidèles lui donnaient des habits ou des souliers
neufs, il disait que les beaux habits entretiennent
l’orgueil, et changeait de vêtements avec le premier
pauvre qu’il rencontrait. Il ne faisait souvent qu’un
repas par jour, et sa nourriture était des plus
grossières. En l’année 1801, la persécution étant
devenue plus violente, Thomas conduisit sa famille
dans les montagnes : « Attendez là, dit-il, l’ordre de
la Providence. Pour moi, j’ai toujours dans le cœur le
regret de n’avoir pas souffert le martyre. L’occasion
est belle, je vais me livrer. » On lui représenta que
sans lui, toute sa famille mourrait de faim, et que,
d’ailleurs, lui aussi devait attendre l’ordre de Dieu.
Ce fut à grand’peine qu’on parvint à le retenir. Il
conservait toujours l’espoir d’obtenir la grâce du
martyre, mais Dieu exauça ses vœux d’une autre
manière. Quelques jours après, à la septième lune de
cette même année 1801, il tomba malade à Han-ko-ki, au
district de Liong-tam. La veille — 85 — de
sa mort, il prédit qu’il mourrait le lendemain. Le
moment étant venu, il se fit porter dans la cour de la
maison qu’il habitait, s’agenouilla, et dans cette
humble posture, rendit paisiblement le dernier soupir.
Tous les
chrétiens, cependant, ne montraient pas un aussi grand
courage. En 1797, Luc Hong Nak-min-i, qui avait une
dignité assez élevée à la cour, fut chargé d’oftîce de
présenter un rapport au roi sur les affaires de la
religion. Il fut assez faible pour le rédiger en
termes ambigus, et sans se prononcer ni pour ni
contre, mais il n’eut pas lieu de se féliciter de sa
lâcheté. Le roi, qui le connaissait comme chrétien,
lui reprocha son peu de droiture et de franchise,
ajoutant qu’un dignitaire public doit toujours parler
au prince selon sa pensée. Au lieu de recevoir ces
paroles comme un avertissement de Dieu, Luc Hong, dans
sa réponse, en vint jusqu’à répéter au roi les
odieuses calomnies répandues contre la religion, et à
le prier de poursuivre les chrétiens. Le roi fut
très-mécontent, et dans la suite, ne manqua pas une
occasion de faire sentir à l’apostat son déplaisir et
son mépris. Nous verrons plus tard que Luc eut le
bonheur d’obtenir de Dieu son pardon et la grâce du
martyre. En cette
même année 1797, Han Iong-hoa, gouverneur de la
province de T’siong-t’sieng, résidant à Kong-tsiou,
donna ordre à tous les mandarins de sa province
d’emprisonner les chrétiens et d’anéantir à tout prix
leur religion. Cette mesure violente donna lieu à de
nombreuses arrestations, mais Dieu seul aujourd’hui
sait le nom de ceux qui souffrirent alors pour sa
gloire. Les mémoires du temps ne nous ont conservé le
nom et l’histoire que d’un de ces martyrs, celui qui
est resté le plus célèbre, Paul Ni To-kei. Paul, né
dans le district de Tsien-iang, province de
T’siong-t’sieng, n’avait pas étudié les lettres, mais
à l’école de l’Esprit-Saint, il avait appris l’amour
de Dieu et la pratique sincère des vertus chrétiennes.
Sa petite fortune fut, par lui, employée toute entière
à la conversion des païens. Son zèle ayant attiré sur
lui l’attention des ennemis de notre sainte religion,
il dut cinq ou six fois changer de résidence, et
chacun des lieux où il se retira, devint bientôt une
fervente chrétienté. Enfin il s’établit dans une
fabrique de poteries, du district de Tieng-san, et y
vécut d’un petit commerce. Or, tous ceux qui
l’entouraient étaient païens; il s’appliqua à leur
faire connaître le vrai Dieu, et y réussit si bien,
qu’en peu de temps, tout le village fut converti.
Quand parut l’ordre du gouverneur, un païen nommé Kim,
qui — 86 — vivait
dans le voisinage, menaça Paul de le dénoncer comme
chef des chrétiens. Sa femme, effrayée, l’engageait à
fuir, mais il refusa, dans la crainte d’aller contre
la volonté de Dieu et de scandaliser les néophytes qui
avaient mis en lui leur confiance. Seulement, il cacha
ses livres et ses objets de religion, et attendit. Le
huitième jour de la sixième lune (1797), il était chez
lui occupé à son travail, quand tout à coup des hommes
armés se présentèrent, demandant à travers la haie de
son jardin, s’il était à la maison. « J’y suis,
répondit-il, qui m’appelle? » Aussitôt il sortit
au-devant d’eux, les introduisit dans sa maison, les
fit asseoir, et s’informa du motif qui les animait. «
Nous sommes, dirent-ils, des gens du prétoire, occupés
à rechercher un esclave de la préfecture qui s’est
enfui. Ayant appris que tu as un calendrier, nous
avons voulu le voir pour faciliter nos perquisitions.»
Le calendrier chinois dont on fait usage en Corée,
contient des paroles superstitieuses pour retrouver
les objets perdus. Paul répondit : « J’ai bien un
calendrier, mais il n’indique que la suite du temps; »
et il l’apporta. « Lis pour moi, dit le chef des
satellites. — Je ne sais pas lire les caractères
chinois. — Tu ne sais donc lire que les livres de la
religion du Maître du ciel? » Et, sans attendre de
réponse, il donna ordre de l’arrêter. Aussitôt une
dizaine d’hommes se jetèrent sur lui et le
garrottèrent étroitement. On fouilla la maison, où
l’on découvrit un crucifix et quelques livres. On
l’entraîna dans un bois voisin, et pendant qu’on le
frappait de verges, le chef l’interrogeait, pour
apprendre de lui la retraite du prêtre et l’obliger à
dénoncer les chrétiens, mais ce fut en vain. La nuit
venue, on le conduisit, ainsi que d’autres chrétiens
pris avec lui, dans une pauvre auberge, dont le
maître, touché de compassion, obtint qu’on relâchât
leurs liens qui les faisaient beaucoup souffrir; mais
arrivés à la ville, lui et ses compagnons de
souffrances, furent chargés de fers. Après
avoir examiné le crucifix et les livres, le mandarin
fit comparaître les prisonniers et interrogea d’abord
Paul : « Quelle est ta demeure? — J’ai demeuré d’abord
à Tieng-iang, j’habite maintenant Tieng-san. — Qui t’a
instruit et quels sont tes disciples? — Je n’ai ni
maîtres ni disciples. — Tu es un être digne de mort.
Si tu n’as ni maîtres ni disciples, d’où viennent ces
livres et cette image? » Paul ne répondit rien. On le
reconduisit en prison les mains et les pieds
enchaînés, et la cangue au cou. Ses compagnons firent
ce que voulut le mandarin, à l’exception d’un seul qui
fut aussi mis en prison. — 87 — Le
lendemain, le mandarin les menaça de les faire
conduire tous deux au marché qui se tenait à six lys
(environ trois quarts de lieue) de la ville, et de les
exposer à tous les outrages de la multitude. — « C’est
pour la cause de Jésus-Christ, répondit Paul, nous ne
pourrons jamais assez reconnaître un pareil honneur. —
La doctrine de Confucius, dit le mandarin, ou bien
celle de Meng-tse, ou bien celle de Fo, sont
véritables. Pour vous, refusant de vous en instruire,
où êtes-vous allés chercher cette fausse doctrine que
vous suivez, et pourquoi voulez-vous en infester tout
le pays? Votre secte ne connaît ni roi, ni parents;
vous vous livrez aux plus monstrueux penchants, et
vous suivez cette doctrine, malgré la défense du roi.
C’est là un grand désordre, et vous êtes dignes de
mort, » «
Ignorant comme je suis, répondit Paul, je ne connais
pas la doctrine de Confucius ni celle de Meng-tse qui
sont réservées aux seuls lettrés. Celle de Fo ne
regarde que les bonzes. Mais la religion chrétienne
est faite pour tous les hommes; votre serviteur va
vous en dire quelque chose. Au commencement Dieu seul
existait; c’est lui qui a créé tout ce qui existe.
Après la création, il y eut des époux et des familles,
puis des rois et des sujets. Fo, Confucius, Meng-tse,
les rois et les sujets, sont postérieurs à la création
du ciel et de la terre. Dieu est le vrai roi du ciel
et de la terre, le maître et le conservateur de toutes
choses, le vrai père de tous les peuples, la source
véritable de la piété filiale et de la fidélité aux
princes. La piété filiale et la fidélité aux princes
sont ordonnées par le quatrième des dix commandements.
Pourquoi donc nous reprocher si injustement de ne
connaître ni les parents ni le roi? » — « S’il en
était ainsi, reprit le mandarin, le roi, la cour et
les mandarins le sauraient, et c’est d’eux que le
peuple l’apprendrait; au contraire, ils prohibent
votre religion parce qu’elle porterait malheur à la
Corée. Et vous, peuple stupide, qui refusez d’obéir et
de dénoncer vos maîtres, vous méritez la mort. » — «
Mourir pour Dieu, dit Paul, c’est assurer à son âme
une gloire éternelle. » On les
fit alors sortir du tribunal. Les satellites les
accablaient d’injures, en leur donnant des souffiets
ou des coups de pied, les couvrant de crachats, ou
pesant de tout leur poids sur les cangues des
confesseurs. Les uns disaient : « Aujourd’hui, après
vous avoir fait faire le tour du marché, on vous
tuera. — Ces coquins-là vont monter au ciel, »
s’écriaient les autres. Enfin, on leur barbouilla la
figure avec de la chaux; on leur attacha une
inscription sur la tête, et, sur le dos, un énorme
tambour. Le manda — 89 — rin
monta à cheval, et, à coups de fouet, on força les
deux confesseurs à courir devant lui jusqu’au marché.
Pendant le trajet, une foule considérable se pressait
sur leur passage, attirée par les cris des satellites,
et les coups redoublés du tambour. Il était environ
neuf heures du matin. Lorsqu’ils furent arrivés, le
mandarin prit la parole : « Ces deux misérables,
dit-il, sont chrétiens, et leur crime est celui des
rebelles. Ils ne servent pas le roi, ne respectent pas
leurs parents, et enfreignent la loi naturelle.
Lorsqu’ils auront fait le tour du marché, on les fera
mourir. » Il leur fait ensuite donner dix coups de
planche, en leur commandant d’apostasier. — « J’ai
déjà répondu à toutes « vos accusations, dit Paul, je
n’ai rien à ajouter. » On lui frappa les côtés avec la
pointe de plusieurs bâtons à la fois, en répétant le
même ordre. « Quand je devrais mourir dix mille fois,
reprit le courageux chrétien, je ne puis apostasier. »
— Le peuple admirait sa fermeté et disait: «
Certainement, celui-là n’abjurera point. » Il était
sept heures du soir, lorsqu’on les reporta en prison,
après un supplice de plus de douze heures. Les
satellites essayèrent encore d’ébranler Paul, en lui
représentant que, s’il n’obéissait au mandarin, il ne
pouvait éviter la mort. Il se contenta de répondre
qu’il le savait bien. « Quel rebelle obstiné! »
disaient les soldats avec dépit. Quatre
jours après, le geôlier vint les prévenir que le
mandarin avait ordonné pour le lendemain un grand
repas sur la place publique. Les apostats devaient y
prendre part avec lui; les confesseurs, au contraire,
s’ils persistaient dans leur résolution, devaient être
mis à mort. Le compagnon de Paul ne comprenant pas
bien ces paroles, croyait que la paix serait peut-être
rendue aux fidèles. « Il n’en est rien, dit celui-ci.
Ne nous laissons pas aller à un vain espoir, qui nous
rendrait les supplices plus pénibles. Pour moi, je
veux demeurer en prison, et si le mandarin m’obligeait
à en sortir, loin de fuir, je resterais dans la ville.
» — Son compagnon, saisi de crainte, se cachait la
tête entre les mains, et gardait le silence. « Qu’as
-tu? demanda Paul. — Vraiment, je ne sais comment
supporter les supplices; que faire? — Il est vrai que,
moi aussi, je souffre beaucoup, et comme je suis plus
vieux que toi, mon âge me rend les tortures encore
plus pénibles; mais le ciel s’achète t-il à vil prix?
Les souffrances sont la monnaie avec laquelle on
achète le bonheur éternel. Prends courage et souffre
encore quelques instants. » Le
lendemain, on les conduisit sur la place du marché. Là
— 89 — s’élevait
une grande tente, et, sous cette tente, le tribunal du
mandarin, environné de plusieurs sièges, où prirent
place les apostats revêtus de beaux habits. Le festin
commença, pendant que les deux prisonniers se tenaient
au lieu du supplice. Le mandarin leur dit : « Le vrai
paradis c’est d’avoir ici-bas une bonne nourriture,
une belle musique et tout ce que l’on souhaite. Vous
qui voulez monter au ciel, comment ferez-vous pour en
escalader les trente-trois étages? Abjurez et vous
serez traités comme ceux-ci; sinon, je vous déférerai
au grand tribunal, et vous serez mis à mort. — J’ai
déjà répondu, dit Paul, mais j’ajouterai encore une
parole : Dieu est le seul maître de tout, de la vie et
de la mort; comment pourrais-je le renier? » — Mais
son compagnon, moins courageux, n’osa résister au
juge, et eut la faiblesse de faire un signe
d’apostasie. Encouragé par ce succès, le mandarin dit
alors : « Allons ! toi aussi, injurie le maître du
ciel. — « Quand le roi porte une loi, reprit Paul, on
la transmet au peuple, et vous, loin de la violer,
vous veillez à son exécution. Comment donc,
aujourd’hui, osez-vous ordonner au peuple de maudire
son véritable père? Chez nous, on n’a pas coutume de
maudire ses parents. » — Le mandarin, en colère,
ordonna de brûler les livres saisis chez Paul, et de
faire circuler le crucifix dans le marché, en disant :
« Cet homme fait son Dieu de celui que vous voyez;
n’est-ce pas affreux? » — Il était alors midi. Tout à
coup, le temps devient sombre, le tonnerre gronde, le
vent, soufflant avec violence, enlève la tente et
renverse presque le mandarin. Les apostats qui se
réjouissaient et faisaient bonne chère, sont effrayés
et prennent la fuite. Le peuple s’émeut, et dit qu’on
ferait bien de relâcher le chrétien. Mais le mandarin,
furieux de ce contre-temps, fait frapper de nouveau le
confesseur. Ce ne fut que vers le soir qu’on le
reconduisit en prison, si épuisé qu’il tomba par
terre, et qu’on fut obligé de le porter; ce qui
n’empêcha pas de le charger d’une lourde cangue.
Malgré tant de tortures, il était calme et ne cessait
de prier. A
l’automne, il subit un nouvel interrogatoire, et fui
de nouveau frappé de la planche. Ceux qui le voyaient,
disaient : « Il mourra sous les coups. — Mourir sous
les verges ou sous la planche, disait Paul, tout vient
de l’ordre de Dieu : qu’il soit béni de tout! » Et il
demandait sans cesse la grâce du martyre. Il
souffrait souvent de la faim, et ses vêtements s’étant
usés, le froid augmentait encore ses douleurs. Sa
femme ramassa un peu d’argent, et lui apporta du vin
et de la viande; il refusa — 90 — d’abord
: « La sainte Vierge, disait-il, m’ayant placé sur la
croix, il n’est pas convenable que je mange cela. J’ai
bien entendu dire que Jésus, sur la croix, n’avait eu
que des souffrances, mais je n’ai pas vu qu’il ait
pris rien de délicat. Moi aussi, je suis sur la croix,
je dois faire comme lui. » — Il dut néanmoins céder à
ses instances, et accepter ce soulagement.
Ordinairement assis ou couché, il pensait sans cesse à
Dieu, et en recevait d’abondantes consolations. Un
jour, il entendit une voix qui lui disait ces paroles
de la Salutation angélique : « Le Seigneur est avec
vous; » et il se sentit tout rempli de joie. (Le texte
coréen donne à entendre, sans néanmoins le dire
formellement, que c’était une voix miraculeuse.) Il
semblait aussi avoir reçu une intelligence
surnaturelle, et goûtait la beauté des prières
chrétienncs mieux que les plus instruits. Pendant les
plus grands froids de l’hiver, ses blessures le
faisaient beaucoup souffrir, et, le jour de Noël,
ayant subi un cruel interrogatoire, il fut pris d’une
fièvre brûlante : «Voyez, disait-il, le Seigneur, par
une faveur spéciale, afin que mon âme ne se
refroidisse pas, me réchauffe au moyen des coups. » Après le
nouvel an, il fut mis par trois fois à la question. La
troisième fois, le mandarin lui dit: «Si tu veux
abjurer, je te donnerai du riz, je ferai soigner tes
plaies, et je te procurerai une place de chef de
canton qui suffira pour te remettre à l’aise. — Il
répondit : Quand vous me donneriez tout le district de
Tiengsan, je ne pourrais jamais renier Dieu. — Tu
prétends, ajouta le mandarin, que les chrétiens
honorent leurs parents, mais tes quatre enfants ne
sont pas venus te voir une seule fois depuis que tu es
en prison. A-t-on jamais vu des cœurs aussi dénaturés?
— Obéir à ses parents, répliqua Paul, n’est-ce pas les
honorer? Or, j’ai maintes fois recommandé à mes
enfants de ne pas venir près de moi, de peur que cela
ne fût plus nuisible qu’utile aux uns et aux autres :
c’est cette défense qui les empêche de venir. » Pendant
la cinquième lune, les satellites venaient souvent le
voir, et ne gardaient pas beaucoup la porte, semblant
l’inviter à s’enfuir : mais il ne voulut pas le faire.
Lorsqu’on l’y engageait, il répondait : « C’est le
mandarin qui m’a fait mettre en prison, je ne puis en
sortir que sur son ordre. » Des chrétiens vinrent le
voir, et lui dirent que la conduite des satellites ne
pouvant qu’être dictée par le mandarin, il ne devait
pas se faire scrupule de s’enfuir. Il réfléchit un peu
et répondit : « Si nous nous laissons prendre aux
pièges du démon, nous courons risque — 91 — de
perdre notre âme, avec tout ce qu’elle a pu acquérir
de mérites. Ma maison est si pauvre qu’il ne m’est pas
difficile de rester dans cette prison, où je suis en
paix. Tout ce que les miens font pour moi me fait
peine. » — Puis il dit à sa femme : « Tous ceux qui
prient pour moi, s’ils le font pour me faire jouir
encore des choses de ce monde, doivent cesser leurs
prières : mais s’ils prient pour mon âme, pour mon
éternité, pour que je n’oublie pas les souffrances de
Jésus-Christ et ses mérites, recommande-moi à eux,
afin qu’ils prient sans cesse. J’espère que c’est de
la sorte que ma famille prie pour moi. Quant à ma
nourriture, apporte-moi, selon tes moyens, une écuelle
de riz par jour ou tous les deux jours, et quand tu ne
le pourras pas, ne t’en inquiète nullement. Si je ne
puis sortir d’ici, mon cadavre en sortira bien.
Dorénavant, quand on te chargera de me dire quelque
chose, même de la part des chrétiens, si cela tend à
m’ébranler, ne me le rapporte pas : mon cœur pourrait
être faible. » A partir
de ce jour, quand sa femme venait lui apporter quelque
chose, il refusait de la voir, et se contentait de lui
adresser de loin quelques mots. Quelques jours après,
le mandarin lui dit : « Tu as été trompé : en Chine,
Ni-Matou (1) a séduit le peuple par sa science;
comment ne vois-tu pas que ce sont des fourberies? —
Ni-Matou, reprit Paul, est un homme comme les autres;
mais la doctrine qu’il a répandue en Chine et
ailleurs, n’est pas la sienne; c’est celle du grand
Pioi du ciel et de la terre. Si l’on doit publier et
écouter avec une attention scrupuleuse les ordres des
rois de la terre, à plus forte raison les ordres de
Dieu qui sont plus terribles, plus redoutables et plus
aimables en même temps que ceux des rois de ce monde.
Il est le Tout-Puissant, le Très-Haut; il est dix
mille fois I)lus admirable que tous les princes. Quand
il ordonne, comment pourrait-on prêcher négligemment
la religion, la recevoir froidement, l’apprendre avec
indifférence? Voihà pourquoi, soutenu par la grâce, je
dois supporter et je supporterai patiemment tous les
tourments, mais jamais je ne consentirai à
l’apostasie. » — Le mandarin le fit battre plus qu’à
l’ordinaire, et le renvoya en prison. Deux
jours après, c’est-à-dire le troisième jour de la
sixième lune, sa femme vint à la prison s’informer de
son état, et des choses (1) C’est
la manière dont les Coréens prononcent le mot chinois
Ly Mateo, nom du père Matthieu Ricci, le grand apôtre
de la Chine au xvi" siècle. — 92 — dont
il pouvait avoir besoin. — « Je ne souffre pas,
dit-il, je ne sens pas la faim; j’ignore de combien de
coups on m’a frappé. Il me suffira d’avoir des
provisions jusqu’au 10 de ce mois. » — Il ne
s’expliqua pas davantage; mais il est facile de
comprendre qu’il avait reçu d’en haut la connaissance
de son prochain martyre. Le 8, le
mandarin le fit amener et lui répéta les ordres qu’il
avait reçus de le faire mourir s’il persistait dans
son refus d’apostasier. « Depuis plusieurs années que
je connais la religion, répondit Paul, je sais qu’il
est juste de mourir pour Dieu; n’espérez donc pas me
voir l’abandonner. » — On le tortura et il fut
reconduit en prison. Le lendemain, sa femme et trois
ou quatre chrétiens étant venus le trouver, il les
pria de se retirer, de peur que leur présence ne fit
sur son cœur une impression qu’il redoutait. Comme ils
demeuraient, il insista. «Pourquoi ne faites-vous pas
ce que je vous dis? Si le Seigneur me soutient, les
tourments les plus cruels sont faciles à supporter;
s’il m’abandonne, les moindres souffrances sont
insupportables. Si j’étais livré à ma propre
faiblesse, il me serait impossible de demeurer ferme;
mais Jésus et Marie me soutenant, rien ne me. fait
peur. Je vous conjure de me quitter. » — Ils se
retirèrent alors, pour ne pas l’affliger. Le 10, au
matin, les satellites vinrent l’avertir que le jour de
sa mort était arrivé; il tressaillit de joie, et son
visage parut tout rayonnant. — «C’est étonnant,
disaient les gens du prétoire, depuis que cet homme
est en prison, quand il n’est pas torturé il est
maigre, pâle et abattu; les tourments au contraire
semblent lui rendre la vie, et aujourd’hui qu’on lui
annonce sa mort, il semble plus radieux que jamais »
C’était l’anniversaire du jour où on lui avait fait
faire le tour du marché. On lui mit une petite cangue
et il s’avança vers la place, entouré de satellites
qui portaient les instruments de supplice, et suivi du
mandarin. Celui-ci descendit de cheval, et commanda de
le torturer; alors on le coucha à platventre, la tête
assujettie par ses longs cheveux, et les deux bras
liés à une grosse pierre. On serra la cangue jusqu’à
l’étouffer, et plusieurs bourreaux le frappèrent avec
un morceau de bois triangulaire, sorte de hache dont
chaque coup fait une plaie. Le mandarin lui demanda de
nouveau s’il ne voulait pas apostasier. Paul épuisé ne
put répondre. — Alors un satellite s’approcha et lui
dit : « Si tu veux abjurer, il est encore temps. » Le
martyr ramassa ce qui lui restait de forces pour
crier: « Jamais! «Ses lèvres étaient noires et
desséchées, à peine semblait-il lui rester un souffle
de vie. Quelques minutes après, il leva la tète,
regarda le ciel, et dit : Je vous salue Marie, puis il
retomba comme mort. — 93 Cependant
les païens disaient : « C’est à cause de lui que la
sécheresse nous désole, et que nous mourons de faim;
il faut l’achever h coups de pied. « La foule se
pressait autour de lui. Sa femme voulut s’approcher
pour le soulager; les clameurs s’élevèrent contre
elle, et repoussée, maltraitée, battue, foulée aux
pieds, elle fut emportée évanouie. Paul ayant repris
connaissance, le mandarin le lit frapper pour la
troisième fois. Ses jambes avaient été cassées
au-dessous du genou; on voyait à nu les os brisés, et
la moelle coulait jusqu’à terre. Lorsqu’on le délia,
il resta étendu sans mouvement. Sans lui ôter sa
cangue, on le jeta sur une natte, et quatre satellites
le rapportèrent h la prison, qui fut fermée avec soin.
Le mandarin dit : «Si quelqu’unlui donne seulement
unverre d’eau, je le fais mourir comme lui. » Pendant
deux jours, le martyr ne reçut aucun soulagement, et
personne ne put savoir s’il était mort ou vivant. Le
12, vers le soir, le mandarin dit à ses gens : « Allez
à la prison, tirez ce chrétien dehors, voyez sou
visage, tàtez-lui le pouls, et s’il vit encore,
achevez-le, et venez m’en rendre compte. Les
satellites exécutèrent cet ordre, et, à coups de
pierres et de bâtons le mirent dans un tel état que,
sauf la paume des mains, aucune partie du corps
n’était sans blessure; toutefois, il lui restait
encore un souffle de vie. Les bourreaux le dirent au
mandarin, qui leur répondit en colère: « Si vous
nel’achevez pas, je vous fais tous assommer. » Ils
retournèrent donc à la prison, et, cette fois, ne
mirent de bornes à leur fureur que lorsque l’càme du
martyr se fut envolée au ciel. Cependant le mandarin,
craignant qu’il ne revînt encore à la vie, fit
continuer le supplice sur le cadavre. Un des
satellites lui appuya le bout de la cangue sur la
poitrine, et monta dessus; les côtes se brisèrent et
le sang coula à flots. Le corps n’avait plus forme
humaine. On le couvrit d’une natte, eton’le garda
pendant la nuit. Le lendemain, il fut enterré par
ordre du mandarin; mais sept ou huit jours après, des
chrétiens éloignés d’environ dix lieues, vinrent le
prendre pour l’ensevelir honorablement chez eux. Paul
était âgé de 56 ans. Son martyre arriva l’an de
Jésus-Christ 1798, le 12 de la sixième lune. Pour
consoler sa veuve, le geôlier lui dit : « Ne vous
affligez pas trop, car le 12, pendant la nuit, j’ai vu
une grande lumière environner le corps de votre mari.
» Vers le
même temps, mais dans une autre province, Laurent Pak
donnait aux fidèles l’exemple du même courage et de la
même persévérance. Nous l’avons vu, pendant la
persécution de 1791, intervenir hardiment en faveur
des chrétiens, et souffrir la — 94 — flagellation
pour sa foi. En 1797, lorsque la persécution éclata de
nouveau dans le district de Hong-tsiou, ordre fut
donné aussitôt de le saisir. Laurent, par une humble
défiance de ses propres forces, se cacha d’abord .
Mais son jeune fils ayant été emmené captif à sa
place, sa mère lui dit : « maintenant tu ne peux te
dispenser de te livrer, » Il vit dans cette parole la
volonté de Dieu, et, comptant sur le secours d’en
haut, se rendit de lui-même à la préfecture, le 19 de
la huitième lune. Le mandarin lui reprocha de s’être
enfui, mais Laurent répondit : « J’étaisparti avant
que votre ordre neme fût parvenu. A la nouvelle que
vous aviez fait saisir mon fils, et sur l’ordre de ma
mère, je suis venu; de quoi s’agit-il? — Pourquoi, lui
dit le mandarin, suis-tu une mauvaise doctrine,
prohibée par le roi et ses mandarins? — Je ne suis pas
une mauvaise doctrine, j’observe seulement les dix
préceptes de la vraie religion, qui enseigne à adorer
Dieu, créateur de toutes choses, J’honore ce Dieu,
puis le roi, les mandarins, mes parents et autres
supérieurs; j’aime mes amis, mes bienfaiteurs et mes
frères, et tous les autres hommes. — Tu as des parents
et des frères? On dit aussi que tout ton village suit
la religion chrétienne, dénoncemoi tout exactement. —
Je n’ai que ma mère et pas de frère cadet; dans tout
le village, je suis seul à pratiquer la religion. — Tu
méconnais tes parents, le roi et ses mandarins, tu
abuses des femmes des autres, tu dissipes ton bien en
futilités, et ne fais pas les sacrifices aux parents;
pourquoi violer ainsi tous les principes naturels? »
Puis, se tournant vers les satellites: « Liez-moi cet
homme, cria le mandarin, frappez-le et mettez-le à la
question. — « Le quatrième précepte, répondit Laurent,
nous ordonne d’honorer nos parents, nos supérieurs, le
roi et les mandarins, et d’aimer nos frères et nos
proches : ne sont-ce pas là les vrais principes
naturels? Mais les parents, après leur mort, ne
pouvant plus venir manger ce qu’on leur offre, nous ne
leur offrons pas de nourriture, car la vraie doctrine
rejette les choses vaines et ne s’attache qu’aux
réalités. Du reste, nous faisons la sépulture des
morts selon toutes les règles et convenances. Le
sixième commandement nous défend toute espèce
d’impuretés, et le neuvième nous défend même de
désirerla femme du prochain. Le peu que j’ai, je
l’emploie à soulager ceux qui sont nus ou dans le
besoin; ce n’est pas là dissiper son bien en
futilités. » Le
mandarin commanda de lui mettre la cangue, et dit : «
Par qui as-tu été instruit? qui a copié tes livres, et
qui sont tes complices? — J’ai été instruit par
Tsi-hong-i, de la capitale, qui a été décapité pour la
religion. C’est de lui aussi que me viennent les — 95 — livres,
il est juste que je meure. — Voudrais-tu par hasard
mourir comme Tsi-hong-i? Qu’y a-t-il donc de si beau à
mourir? — Dieu m’a comblé de bienfaits sans bornes, et
mes péchés sont sans nombre; il est bien juste que je
meure. — Quels péchés as-tu commis? — Je n’ai pas
observé dans leur intégrité les dix commandements.» Le
mandarin le fit reconduire alors à la prison. Les
geôliers, pour lui extorquer quelque argent, lui
mirent les pieds dans des entraves, le couchèrent sur
des morceaux de tuile, et lui firent souffrir toute
espèce d’avanies. Laurent répondit qu’il était disposé
à mourir pour la justice, mais que s’il avait voulu
donner de l’argent, il ne serait pas venu jusqu’à la
prison. Ces paroles augmentèrent la rage des
bourreaux, et il fut accablé de coups. Au second
interrogatoire, le mandarin le fit placer sur la
planche à tortures, puis flageller, puis tirailler
avec des pinces. — « T’obstineras-tu encore à
méconnaître parents, roi et mandarins? Brûle tes
livres, croix, médailles et images, toutes ces
choses-là sont mauvaises. — Quand je devrais mourir,
reprit Laurent, comment pourrais-je brûler des livres
si précieux? » Il ajouta quelques mots sur
l’Incarnation de Jésus-Christ, sur les mérites de sa
passion, sur sa résurrection, son ascension et son
second avènement, ce qui lui valut une volée de coups
sur les jambes. Il y
avait trois mois qu’il portait la cangue, quand des
chrétiens de différents lieux, étant venus pour le
voir, obtinrent du geôlier, à prix d’argent, qu’elle
lui fût enlevée dans la prison. Le troisième
interrogatoire, comme ensuite tous les autres,
commença par des menacesde mort. Puis le
mandarinluidit: « Toi, enfantde la Corée, pourquoi
t’obstines-tu à faire ce que tous nos saints et hommes
célèbres n’ont jamais fait? Qu’as-tu à gagner en
violant la loi du royaume? Ta conduite n’est pas
raisonnable. — Le roi, répondit Laurent, peut bien
être maître du corps, mais Dieu seul est maître de
Tàme; il a établi des récompenses et des peines après
la mort, et personne ne peut les éviter. S’il faut
mourir, que m’importe? Cette vie n’est-elle pas
semblable à la rosée qui se dissipe. La vie est un
pèlerinage, la mort n’est qu’un retour vers la patrie.
» Sept mois
après, le quatrième interrogatoire officiel eut lieu,
à l’arrivée d’un nouveau mandarin. Celui-ci dit à
Laurent : « Pourquoi, après d’aussi violents
tourments, persistes-tu dans ton obstination? Et puis,
ta mère vivant encore, comment peux-tu vouloir mourir?
décidément, tu es devenu insensé. — « La mort,
répondit le confesseur, est de toutes les misères de
ce monde la plus grande; le désir de la vie et
l’horreur de la mort sont des — 96 — sentiments
communs à tous. Mais Dieu étant le premier père de
tous les hommes est le souverain maître de toutes
choses, dussé-je mourir, je ne le renierai pas. — Il
n’y a rien à faire avec cet être-là, » dit le
mandarin, et il le fit battre cruellement, puis
l’envoya à la préfecture de Hai-mi. Devant ce
nouveau tribunal, aux mêmes accusations ridicules du
juge, Laurent fit les mêmes réponses; aux tortures de
tout genre, il continua d’opposer une patience
inflexible. — « Quel est ce Dieu dont tu parles,
disait le mandarin, où est-il? que fait-il? Peux-tu le
connaître, toi, quand nos savants l’ignorent? Si cette
doctrine était vraie, le roi, la cour et ses mandarins
ne la suivraient-ils pas? — Dieu est au ciel, d’où il
fait connaître ses ordres; si vous les exécutez, il
vous fera monter près de lui; si vous lui résistez, il
vous précipitera dans les enfers. C’est une peine un
million de fois plus forte qu’on ne peut l’imaginer
ici-bas. Aucun être n’est en dehors de ses bienfaits;
mais puisqu’une pauvre créature telle que moi en a
reçu plus que tous mes supérieurs, dussé-je mourir, je
ne le renierai pas. — Après ton supplice, ta mère
aussi sera mise à mort à cause de toi. — Après ma
mort, ma mère restera entre vos mains, mais elle aussi
a été créée par Dieu, Dieu pensera à elle. — Est-ce
par crainte de l’enfer que tu agis ainsi? — Oui, c’est
par crainte de l’enfer; mais, en tous cas, je ne puis
renoncer à mon Dieu. » Le juge le fit battre de quinze
coups de la grosse planche, puis reconduire en prison.
A
l’interrogatoire suivant, Laurent développa avec plus
d’énergie la doctrine chrétienne sur le ciel et sur
l’enfer. « Puisque vous voulez aujourd’hui même me
mettre à mort et que vous traitez ma religion de vaine
superstition, je ne puis me taire. Sachez-le donc : à
la fin du monde, après l’anéantissement de tous les
royaumes,tous les hommes de tousles âges, grands et
petits, rois et peuples, seront réunis devant le Fils
de Dieu, descendu du ciel et porté sur les nues, et il
jugera les hommes des temps passés et présents. Les
bons seront portés au ciel avec le Seigneur Jésus et
ses saints, et jouiront d’un bonheur dix millions de
fois plus grand que toutes les gloires et tous les
plaisirs du monde. Les méchants seront engloutis dans
l’enfer, par la terre qui s’ouvrira sous leurs pieds,
et souffriront des peines dix millions de fois plus
fortes que les douleurs de ce monde, plongés dans un
feu ardent qui ne s’éteindra jamais. A ce moment-là,
tout regret sera tardif et inutile; chacun recevra
selon ses œuvres. Puisque vous voulez me faire mourir,
retournez maintenant mon corps, et, me frappant sur la
gorge, tuez-moi tout de suite. — Tu — 97 — mourras
sous les coups du bâton des voleurs, » repartit le
mandarin qui le fit frapper de vingt coups. Au
sixième interrogatoire, le mandarin s’écria : « C’est
à cause des scélérats qui suivent cette mauvaise
doctrine, que la famine et la sécheresse sévissent
dans le royaume, et que tout le peuple va périr.
Déclare les lieux où vous vous réunissez pour
pratiquer votre religion, fais connaître les chefs des
chrétiens. On dit qu’ils sont réunis dans les
montagnes, dénonce tout. — Nous n’avons pas de chefs;
que les chrétiens soient dans les montagnes, c’est ce
que j’ignore; si vous le savez, pourquoi le demander?
» Le mandarin furieux s’adresse à un bourreau : «
Brise les os de la jambe à ce coquin-là, et bats-le à
mort pour qu’il ne sorte pas d’ici. » Cet ordre fut
aussitôt exécuté, puis on le traîna à la prison. Quelques
jours après, le gouverneur de la province, dont le
mandarin avait demandé les ordres, répondit : « La
doctrine des Européens est sale, mauvaise et horrible
: frappez ces gens-là sur les jambes, et si, au
quatorzième coup, ils ne se rendent pas,
défaites-vous-en en les tuant. » Lecture de cet édit
fut faite à Laurent en plein tribunal, au milieu de
tous les instruments de supplice. Puis le mandarin
ajouta : « Ne désires-tu pas voir ta mère? Qu’y a-t-il
de si bon à mourir? — Mon désir de voir ma mère est
inexprimable; mais, dussé-je mourir, je ne puis
apostasier. Faites ce que vous voudrez, je n’ai plus
rien à dire. — Mais les autres chrétiens ont obéi au
roi. — J’ignore ce que d’autres ont fait : je n’ai pas
à scruter leurs actions. Je ne réponds que de
moi-même. » Le mandarin lui fit infliger une horrible
torture. Pendant plusieurs mois, il fut tous les huit
ou dix jours ramené devant le mandarin et remis à la
question. La cruauté des satellites s’ingéniait à
augmenter ses souffrances, et plurd’une fois ils le
laissèrent nu et meurtri dans la boue, exposé la nuit
entière au froid et à la pluie. C’est
vers cette époque, qu’il trouva le moyen d’écrire à sa
mère la lettre suivante : « A ma mère, moi Laurent,
fils ingrat, de ma prison, je vous adresse
l’expression de mes sentiments. J’avais toujours fait
résolution d’être dévot envers Dieu, pieux envers mes
parents et mes frères, et d’accomplir les ordres de
Dieu dans toutes mes pensées, paroles et actions.
Mais, hélas! j’ai péché envers Dieu, et je n’ai pas
rempli tous mes devoirs envers mes parents et mes
frères. N’ayant pu vaincre nos trois ennemis (les
trois concupiscences), mes péchés sont sans nombre. Ma
mère, pardonnez-moi mes désobéissances; mon oncle, mon
— 98 — frère,
ma belle-sœur, pardonnez-moi de ne pas vous avoir
mieux traités, et priez Dieu de me remettre mes péchés
et de sauver mon âme; par là Dieu vous remettra aussi
tous vos péchés. Le printemps et l’automne passent
comme le cours des eaux, le temps est comme
l’étincelle qui jaillit du caillou sous les coups du
briquet; il n’est pas long. Surtout soyez sur vos
gardes, et fidèles aux ordres de Dieu. Environ deux
mois après mon arrivée en prison, je cherchais ce que
je devais faire pour obtenir la grâce de Dieu. Un
jour, pendant mon sommeil, j’entrevis la croix de
Jésus, qui me dit : Suis la croix. Cette vision était
un peu confuse, néanmoins je n’ai jamais pu l’oublier.
» Le 25 de la deuxième lune de 4799, il écrivit encore
: « Je suis inquiet en pensant que ma mère, ma femme
et mes enfants auront de la peine à se conformer à
l’ordre de Dieu. Si vous vous y conformez bien, je
serai moi-même dans la joie. » Cependant,
l’heure du triomphe approchait pour Laurent. Deux
jours après avoir écrit ces dernières lignes, à son
quinzième ou seizième interrogatoire, il fut frappé de
nouveau de cinquante coups de planche, et pour
accélérer sa mort, le mandarin fit verser de l’eau sur
lui, pendant qu’on le battait. C’est un raffinement de
torture que l’on dit insupportable. Son corps était
dans un état affreux. Il avait reçu en tout plus de
quatorze cents coups de planche ou de bâton, et depuis
huit jours entiers il n’avait pas pris une goutte
d’eau. Le geôlier le crut mort, et après l’avoir
emporté sur son dos à la prison, le dépouilla de ses
vêtements, lui lava le dos avec de l’eau froide, et le
jeta dehors. Laurent
cependant n’était pas mort. Pendant la nuit, des
chrétiens purent pénétrer en secret auprès de lui et
lui faire prendre quelque nourriture, sans que le
geôlier s’y opposât. Le lendemain, 28 de la deuxième
lune, nouvelle comparution devant le mandarin, et
nouvelle flagellation. Le juge, les bourreaux, les
spectateurs étaient stupéfaits de le voir vivant. On
l’emporta évanoui, sans connaissance et sans
mouvement. Onze chrétiens qui étaient alors enfermés
dans la même prison, le virent quelques heures après,
se lever seul, déposer lui-même sa cangue, entrer dans
la salle et se coucher. Le geôlier furieux accabla les
chrétiens d’injures, croyant que ceux-ci l’avaient
aidé. Mais Laurent lui dit : « Je ne mourrai ni de
faim, ni sous les coups, je serai étranglé. » Le
lendemain, le juge ayant appris que Laurent respirait
encore, fit donner la bastonnade au geôlier, et le
menaça de — 99 — le
faire tuer lui-même. Celui-ci, aidé de son fils,
revint frapper le martyr, jusqu’à ce que le croyant
mort, il tomba de fatigue et s’endormit. Pendant qu’il
dormait, les prisonniers chrétiens s’approchèrent de
Laurent, et quel ne fut pas leur étonnement quand il
se mit à causer tranquillement avec eux. Toutes ses
plaies étaient miraculeusement guéries, on n’en voyait
pas même la trace. Il dut sortir un instant, et le
geôlier s’étant réveillé, courut après lui, le saisit,
et pour en finir avec ce qu’il croyait être une
puissance magique, l’étrangla avec une corde de
paille. Il était onze heures du matin, le 29 delà
deuxième lune de l’année kei-mi (1799). Ainsi
mourut, à l’âge d’environ trente ans, ce glorieux
serviteur de Jésus-Christ. Pendant les dix-huit mois
que dura son martyre, chacun de ses jours fut marqué
par quelque torture, chacun de ses pas laissa des
traces ensanglantées. Il semble impossible qu’un corps
humain puisse résister si longtemps aux supplices.
Mais Dieu, par des motifs dignes de sa sagesse et de
sa miséricorde, voulait donner un grand exemple, et,
de fait, le lieu où Laurent a souffert, est toujours
demeuré une de nos plus ferventes chrétientés. Son
sang a été littéralement une semence de chrétiens. Laurent
Pak avait trois amis intimes, nommés Jacques Ouen,
Pierre Tsieng et François Pang. La tradition rapporte
que tous les quatre, dans un élan de zèle peu éclairé,
s’étaient promis de se dénoncer mutuellement, afin
d’être martyrisés ensemble. Il ne paraît pas cependant
qu’ils l’aient fait; mais Dieu, pour récompenser leur
bonne volonté, permit qu’ils tombassent entre les
mains des mandarins l’un après l’autre, à peu près à
la même époque, quoique dans des districts différents,
et tous les quatre eurent l’honneur de verser
glorieusement leur sang pour la foi. Nous recueillons
ici ce que les mémoires du temps et les traditions
locales nous ont conservé de leur histoire. Il est
très-probable qu’ils souffrirent dans cette même année
1799, et c’est la date que nous avons adoptée.
Cependant le fait n’est pas absolument certain, car
les premiers chrétiens de Corée qui prenaient un grand
soin de marquer exactement le jour de la mort des
martyrs, afin de célébrer leur anniversaire, n’ont pas
observé la même exactitude dans la désignation des
années, ce qui cause quelquefois une certaine
confusion dans la suite des faits d’ailleurs les plus
authentiques. Jacques
Ouen était le cousin germain et l’aîné de Pierre Ouen,
martyrisé en 1793. Ils vivaient ensemble au village de
Eug-trien-i, — 100 — district
de Hong-tsiou, et tous deux furent en même temps
instruits de la religion. Jacques était doux, facile,
droit et ouvert, et, dans un si bon fonds, la foi fit
promptement germer toutes sortes de vertus. Dès qu’il
fut chrétien, il fit serment de consacrer sa fortune,
qui était considérable, au soulagement des indigents,
et son occupation journalière fut de les chercher pour
leur faire du bien. Afin d’expier ses anciens péchés
de gourmandise, il jeûnait tous les vendredis. Son
zèle à répandre la religion parmi les païens le
portait à aller les trouver de côté et d’autre pour
les prêcher. Non content de cela, les dimanches et
jours de fête il faisait préparer des aliments en
grande quantité, et invitait tout le monde à y prendre
part. Quand on était réuni il disait : « C’est
aujourd’hui le jour du Seigneur, il faut le célébrer
avec une sainte joie, et aussi remercier Dieu de ses
dons en faisant part des biens qu’ils nous a donnés. »
De là il prenait occasion d’expliquer divers articles
de la religion. Sa
réputation se répandit bientôt et, en 1792, le
mandarin envoya des satellites pour le saisir. Mais il
avait eu le temps de se cacher, et réussit cette fois
à se sauver. Lorsqu’il apprit le martyre de son
cousin, sa ferveur redoubla, et, regrettant de n’avoir
pas été martyr avec lui, il se dit : « Si je pratique
ma religion publiquement, le mandarin en aura bientôt
vent, et me fera saisir.» Il se mit donc à faire ses
prières et exercices de dévotion au milieu des païens,
soit le jour, soit la nuit, pendant plusieurs années;
il alla même s’installer sur le grand chemin. Les
satellites le savaient et quelquefois même le
voyaient, néanmoins il ne fut pas inquiété. Ayant
appris l’entrée du P. Tsiou en Corée, il alla de suite
le trouver et témoigna le désir de recevoir les
sacrements. Le prêtre lui dit : « Tout homme qui a
deux femmes est rejeté par l’Église, sors de suite et
ne te représente plus devant moi.» Jacques sortit et,
pendant trois jours et trois nuits, il ne fit que
pleurer et gémir sans vouloir prendre de nourriture.
On alla avertir le prêtre qui permit de le laisser
entrer, et lui dit : « Aussitôt après ton retour
chasseras-tu ta concubine? Sur ta promesse formelle je
pourrai te donner les sacrements; sinon, tu ne pourras
plus même me voir. » Jacques répondit : « En vérité,
j’ignorais qu’il fût défendu par la loi chrétienne
d’avoir femme et concubine; vos ordres me le faisant
connaître, je promets de chasser de suite, à mon
retour, ma concubine; veuillez m’accorder les
sacrements. » Il les reçut, et de retour chez lui, il
dit à cette femme : « Un chrétien ne peut pas avoir de
concubine, — 101 — et
une chrétienne ne peut pas être concubine. » Et
sur-le-champ il la répudia. Une
étroite amitié l’unissait à Laurent Pak; ils se
voyaient mutuellement et s’excitaient sans cesse à la
pratique des vertus et au désir du martyre. Jacques
avait ainsi passé plusieurs années, lorsqu’en 4798. il
fut saisi par les satellites de Tek-san, et conduit à
la prison, où il resta plus d’un mois sans qu’il fût
question de l’interroger. Pensant alors que c’était la
foute des satellites, il les pressa vivement de le
foire comparaître devant le mandarin ou de le mettre
en liberté. Cité enfin au tribunal, à cette question
du mandarin : « Est-il vrai que tu pratiques la
religion du Maître du ciel? — Oui, répondit-il, je la
pratique en effet, afin de servir Dieu et de sauver
mon âme. — Dénonce tes complices. — Il y a, reprit-il,
trois autres personnes animées comme moi du désir de
servir Dieu et de donner leur vie pour lui. » Jacques
parla ainsi, conformément à la promesse mutuelle que
lui-même, Laurent Pak, François Pang et Pierre Tsieng
se seraient faite de se dénoncer l’un l’autre, afin de
souffrir ensemble le martyre. Toutefois on ne voit pas
que Jacques ait fait de dénonciation bien positive. «
Explique-toi plus clairement. — Quand je devrais
mourir dix mille fois, je ne puis en dire davantage. »
Le juge alors le soumit aux divers supplices de 1
ecartement des os, de la puncture des bcâtons et de la
flagellation, mais inutilement. Jacques fut ensuite
transféré au tribunal criminel de Hongtsiou, oîi il
développa à plusieurs reprises les vérités de la
religion, et subit deux ou trois fois d’affreuses
tortures. On le renvoya à Tek-san, oii il fut encore
cruellement battu, et eut les jambes entièrement
brisées. Enfin sur
un ordre spécial du gouverneur, on l’expédia à
Tsieng-tsiou, chef-lieu militaire de la province. Le
jour de son départ, sa femme, ses enfonts et quelques
amis, le suivaient en pleurant. Il les fit approcher
et leur dit : « Lorsqu’il s’agit du service de Dieu,
et du salut de l’âme, il ne faut pas écouter
l’affection naturelle; supportez bien toutes les
peines et les souffrances, et nous nous retrouverons
dans la joie, ar.prèsde Dieu et de la bonne Vierge
Marie. Votre présence ne peut que m ‘ébranler et
m’être très-nuisible. Ainsi donc, soyez raisonnables,
et ne vous montrez plus devant mes yeux. » Puis il les
congédia. Son ancienne concubine aussi 1 i envoya un
exprès, demandant à le voir une dernière fois, mais il
refusa en disant : « Pourquoi vouloir me faire manquer
la grande affoire? » Arrivé à Tsieng-tsiou, il subit
un interrogatoire. Le juge voulait le faire apostasier
en — 102 — lui
promettant la vie, mais Jacques répondit : « Il y a
neuf ans que je désire mourir martyr pour Dieu. » Le
juge, en colère, lui fit souffrir de cruelles tortures
durant tout le jour. Le lendemain on recommença, et
ainsi de suite chaque jour, pendant près d’un mois.
Les verges, les bâtons et planches de supplice,
l’écartement des os, tout fut mis en œuvre, jusqu’à ce
qu’il mourut sous les coups, le 13 de la troisième
lune de l’an kei-mi (1799). Il avait alors
soixante-dix ans. Après sa mort, son corps parut
enveloppé d’une lumière extraordinaire. Une foule de
païens furent témoins du prodige, et près de cinquante
familles se convertirent à cette occasion. Pierre
Tsieng, né d’une famille honnête du district de
Tek-san, était, avant sa conversion, redouté de tous à
cause de son caractère violent et de sa force
extraordinaire. Il eut le bonheur de se faire chrétien
et de recevoir le baptême des mains du P. Tsiou; dès
lors^ il devint humble, doux et affable. On croit
qu’il resta quelque temps au service du prêtre. Plus
tard, nommé catéchiste dans le Naï-po, il se montra
assidu à la prière et aux lectures pieuses, s’occupant
sans cesse à instruire et à exhorter ceux qui lui
étaient confiés. En l’année 1708 ou 1799, il fut pris
et conduit à la ville de Tek-san, oii il eut à subir
bien des interrogatoires et des tortures; il confessa
Dieu généreusement, et signa sa sentence sans laisser
paraître sur son visage la moindre émotion. Dans la
prison, il encourageait les chrétiens ses compagnons
de captivité, et, le jour du supplice, quand on lui
apporta le repas des condamnés à mort, il les invita à
le partager avec lui, disant : « Pour la dernière
fois, il faut manger avec actions de grâces les
aliments que Dieu a créés pour l’homme, et ensuite
nous irons au ciel jouir du bonheur éternel. » Il eut
la tête tranchée. On croit qu’il avait alors de
cinquante à soixante ans. François
Pang, né au village de le, district de Mien-tsien,
était pit-siang, c’est-à-dire intendant du gouverneur
de la province. On ignore entièrement de quelle
manière et à quelle époque il se convertit. Il se
distinguait par une ferveur extraordinaire, et
désirait vivement le martyre. En l’année 1798, il fut
pris à Hong-tsiou, et eut à subir, pendant six mois,
des supplices fort nombreux, dont les détails ne nous
sont pas parvenus. On rapporte seulement qu’il y avait
alors dans la prison deux autres chrétiens comme lui
condamnés à mort, qui, lorsqu’on leur apporta, selon
l’usage, le dernier repas des condamnés, se mirent à
verser des larmes; mais François, d’un visage
rayonnant de joie, remercia Dieu et la vierge Marie,
et dit à ses compagnons : —103 — « La
création et la conservation sont des bienfaits de
Dieu, mais un si généreux traitement, de la part du
mandarin, n’est-il pas aussi un bienfait de la
Providence; pourquoi êtes-vous tristes et abattus?
C’est là une tentation du démon. Si nous perdons une
aussi belle chance de gagner le ciel, quelle autre
occasion attendrons-nous désormais? » Dieu rendit
efficaces ses exhortations et ses encouragements; ses
deux compagnons, regrettant leur faiblesse,
partagèrent bientôt la sainte joie de son cœur. Ils
furent tous trois martyrisés dans cette même ville de
Hong-tsiou. On ne sait pas si François mourut sous les
coups ou fut étranglé. C’était le 16 delà douzième
lune. (Janvier 1799.) A la
suite de Laurent Pak et de ses trois amis, mentionnons
un autre martyr qui souffrit à la même époque et dans
la même province. François
Pai Koan-kiem-i, né au village de Tsin-mok, district
de Tang-tsin, avait embrassé la religion dès qu’elle
fut prêchée par Piek-i. Arrêté une première fois en
1791, il eut, comme nous l’avons dit, la faiblesse
d’apostasier devant le mandarin. Mais bientôt après,
touché d’un sincère repentir, il se remit à servir
Dieu avec ferveur. Obligé de quitter son district, il
s’était d’abord retiré dans celui de Sie-san. Plus,
tard, en compagnie d’autres chrétiens, il vint
s’établir à ïang-tei, district de Mientsien, et c’est
là qu’en 1798, lui et ses compagnons préparèrent un
oratoire, dans l’espérance d’y recevoir le prêtre.
Quelque temps après, un apostat, nommé T’sio
Hoa-tsin-i, les trahit près du mandarin, et amena
lui-même les satellites dans le village. François Pai
fut arrêté, le 3 de la dixième lune, et conduit à
Hongtsiou. On voulut le forcer à faire connaître les
autres chrétiens et à livrer ses livres de religion;
mais les plus violents supplices ne purentlui arracher
une dénonciation. Pendant plusieurs mois il fut mis
fréquemment à la question, puis on le transféra
àTsiengtsiou, chef-lieu militaire et criminel de la
province, où il partagea les souffrances de Jacques
Ouen et des autres chrétiens prisonniers. On n’a pas
de détails sur les derniers mois qu’il passa en
prison. On sait seulement qu’il supporta les tortures
avec une patience héroïque. Toute sa chair était en
lambeaux, ses membres brisés, et les os mis à nu. Il
expira enfin sous les coups, à l’âge d’environ
soixante ans. La tradition de sa famille fixe la date
de son martyre au 13 de la douzième lune de l’année
kei-mi (1799). C’est à
cette même année, croyons-nous, qu’il faut aussi — 104 — rapporter
le martyre de François Ni Po-hien-i et celui de Martin
In Eun-min-i, morts sous les coups, le 15 de la
douzième lune. François
descendait d’une famille honnête et riche de
Hoangma-sil, au district de Tek-san. Dès l’enfance,
son caractère ferme et quelque peu opiniâtre le
faisait remarquer entre ses compagnons. La mort de son
père, qu’il perdit jeune encore, en le laissant maître
de ses volontés, fit qu’il lâcha la bride à toutes ses
passions, et devint si violent que personne ne
pouvaitle contenir. Mais à l’âge de vingt-quatre ans,
instruit de la religion par Thomas Hoang, il se
convertit et arriva en très-peu de temps à tellement
se réformer et à si bien dompter son tempérament
naturel, que sa conduite calme et réglée fit bientôt
l’édification de tous. Quoiqu’il n’eût lui-même aucun
désir de se marier, il le fit néanmoins pour obéir à
sa mère. De jour
en jour sa ferveur augmentait, et il s’appliquait avec
zèle aux exercices de la pénitence et de la
mortification. On dit même qu’il quitta quelque temps
son pays pour aller dans les montagnes; et là, vivant
de légumes, il répétait : « Pour servir Dieu et sauver
son âme, il faudrait ou pratiquer la continence, ou
donner sa vie par le martyre; c’est le seul moyen de
devenir un véritable enfant de Dieu. » Quand on
commença à persécuter les chrétiens, François, loin
d’en concevoir aucune crainte, ne cessait d’exhorter
sa famille, et les chrétiens de son village. Il
discourait chaque jour sur la passion de
Notre-Seigneur, et les engageait h ne pas laisser
échapper une aussi belleoccasiondeconfesserlafoi,
etdegagnerleciel. Prévoyant qu’il ne serait pas
longtemps en paix, il fit un jour préparer une grande
quantité de vin; « c’est, disait-il, pour faire une
dernière fête, et régaler tout le village, mais il
faut le faire promptement. » Deux jours après, les
satellites se présentèrent en effet, et lui
demandèrent : « Es-tu chrétien ? — Non-seulement je le
suis, répondit-il, mais, de, mis deux jours, j’attends
que vous arriviez pour méprendre. » Puis il traita les
satellites libéralement, après quoi, il fut an été et
conduit au mandarin. « Es-tu chrétien, lui demanda
celui-ci, et dequel pays es-tu? — Je suis chrétien, et
originaire de Tek-san. — Quel a été ton précepteur,
quels sont tes complices, et quels livres as-tu en ta
possession? — Mon maître et mes coreligionrairci sont
dans mon pays. Quant aux livres, j’en ai bien
quelques-uns, mais ils traitent tous de choses
très-importantes, et je ne puis vous les remettre. —
Quelle est donc cette chose si importante que tu ne
puisses me montrer ces livres? — — 105
— Comme
ils parlent de Dieu, le souverain maître de toutes
choses, je ne puis inconsidérément vous les mettre
entre les mains. » Piqué de cette réponse, le mandarin
le fit battre violemment, puis reconduire à la prison.
Cependant,
le juge criminel ayant reçu avis de cette affaire, et
ordonné de transférer François à sa ville natale, on
le conduisit à Haï-mi, dont le mandarin gérait alors
les deux préfectures. Ce nouveau juge lui dit: «Pour
quelle raison, abandonnant tes parents et le tombeau
de tes pères, vas-tut établir à 500 lys dans un autre
district? Pourquoi aussi fais-tu ce que le roi défend,
en suivant cette détestable doctrine? » — François
répondit : « Pourquoi qualifiez-vous si injurieusemont
une religion sainte, que le roi et les mandarins ne
connaissent pas? D’où les hommes tirentils leur
origine? Si c’est Dieu qui, au commencement, leur a
donné l’être, comment ne pas honorer Celui qui est
notre Père suprême et notre grand Pioi? — Le roi et
les mandarins valent-ils moins que toi, pour dire
qu’ils sont dans l’ignorance ? Et puis, pourquoi
suivre une doctrine étrangère? Si elle était bonne, le
roi et les mandarins, qui te valent bien, la
pratiqueraient. Tu n’es qu’un grand rebelle qui
méconnais les principes. » Puis, faisant approcher les
valets et préparer les divers instruments de supplice,
il répéta d’un ton de colère : « Dénonce tout sans
déguisement; » et sur son refus, lui fit infliger la
puncture des bâtons. — « Partout, dit François, il y a
des maîtres et des disciples, mais si je les
dénonçais, vous les traiteriez comme moi; dussé-je
donc mourir moi-même, je ne puis rien dire. » En vain
les bourreaux, excités par le juge furieux,
redoublèrent de cruauté et lui firent subir plusieurs
fois l’écartement des os; François demeura ferme. «
Non, cent mille fois non, répétait-il, je ne veux rien
dénoncer. » Pendant plus d’une demi-journée, toutes
les tortures imaginables furent mises en œuvre, et
bien des fois François perdit connaissance, mais sans
se laisser vaincre. A la fin, on le chargea d’une
lourde cangue, et on le reconduisit à la prison.
Quoique tout son corps ne fût qu’une plaie, il avait
le cœur content et joyeux, priait, exhortait les
autres prisonniers, et, selon son habitude, leur
expliquait le mystère de la passion de Jésus-Christ. Au
deuxième interrogatoire, le mandarin, qui avait
déployé un appareil de tortures effrayant, lui dit: «
Cette fois, tu ne peux échapper, dénonce donc tout et
renie le Dieu des chrétiens. — Pourquoi
m’adressez-vous encore de telles paroles ? répondit
François; si un sujet renie son roi, lui impose-t-on
des punitions, on lui donne-t-on des récompenses?
Vous, mandarin, payé par le — 106 — roi,
traitez-moi selon la loi. » Stupéfait de tant de
constance, le mandarin fit son rapport au juge
criminel, en demandant ce qu’il y avait à faire.
Celui-ci répondit de tuer François sous les coups,
s’il s’obstinait à ne rien dénoncer. Le confesseur fut
donc mené de nouveau au tribunal, et subit encore
toute la série des supplices. Enfin, ne pouvant rien
gagner sur lui, le mandarin lui présenta sa sentence,
qu’il signa d’un air si satisfait, que tous les
assistants se regardaient, muets d’étonnement. Il fut
reconduit à la prison et dès le lendemain on lui
servit le repas des condamnés, qu’il prit joyeusement;
puis, après lui avoir fait faire le tour du marché, on
commença à le battre. Les bourreaux, ayant lié chacun
devant soi une natte grossière en guise de tablier,
s’évertuèrent longtemps à frapper; puis, comme leur
victime tardait à rendre le dernier soupir, ils le
retournèrent sur le dos, lui enfoncèrent leurs bâtons
dans les parties naturelles, et l’achevèrent ainsi.
François avait alors vingt-sept ans. Quelques jours
après, on recueillit son corps, et tous les habitants
du village purent constater de leurs propres yeux que
sa figure était toute fraîche et souriante. Plusieurs
païens, dit-on, se convertirent à cette vue. François
eut un digne compagnon de son triomphe dans Martin In
Run-min-i, jeune noble qui vivait à Tsiou-rai,
district de Tek-san. D’un caractère à la fois doux et
ferme, Martin avait fait d’assez bonnes études, et
s’était lié avec le licencié Alexandre Hoang, qui
l’instruisit de la religion. A peine fut-il converti,
qu’il enferma les tablettes de ses ancêtres dans un
vase, et les jeta à l’eau. Ensuite, il gagna la
capitale, où il fut baptisé par le P. Tsiou. Il laissa
près du prêtre son fils aîné, nommé Joseph, et maria
son second fils dans une famille qui avait alors
beaucoup de réputation parmi les chrétiens; puis,
abandonnant sa maison et ses biens, il émigra au
district de Kong-tsiou. Ses parents païens ne pouvant
comprendre la raison d’une aussi étrange conduite, il
la leur déclara franchement, et leur développa la
religion, sans réussir à gagner leurs cœurs. Arrêté
par les satellites du mandarin de Kong-tsiou, il
déclara sans détour qu’il était chrétien et voulait
donner sa vie pour Dieu. Envoyé à Tsieng-tsiou, il y
subit de si violentes tortures, qu’il fut mis hors
d’état de marcher. Renvoyé à Hai-mi, tribunal criminel
de son district natal, il dut être transporté, de
relais en relais, sur les chevaux du gouvernement. Sa
constance ne se démentit pas un seul instant, et le
juge, poussé à bout, le condamna à mourir, comme
François, sous les coups. On lui servit le repas
d’usage, puis une vingtaine de satellites le prirent
et procédèrent à l’exécution de la sentence, — 107 — Pendant
le supplice, Martin répéta plusieurs fois : « Oh! oui,
c’est de bon cœur que je donne ma vie pour Dieu! » A
la fin, un des bourreaux, saisissant une énorme
pierre, le frappa plusieurs fois sur la poitrine. La
mâchoire inférieure se détacha, les os de la poitrine
furent broyés, et le saint confesseur expira dans ce
supplice, à l’age de soixante-trois ans. Cependant,
malgré ces exécutions ey d’autres encore qui
ensanglantèrent diverses chrétientés des provinces, on
peut dire qu’il n’y eut pas en Corée, pendant le règne
de Tieng-tsong tai-oang, de persécution officielle et
générale. Comme nous l’avons déjà remarqué, ce prince,
d’un caractère assez modéré, ne voulait point verser
le sang. Il avait en grande estime quelques chrétiens
illustres du parti Nam-in, et sachant que beaucoup
d’hommes éminents embrassaient la nouvelle religion,
il voulait examiner les faits par lui-même, et avec
calme. Plusieurs fois, il présida en personne aux
interrogatoires des chrétiens. Le martyr Pierre Sin,
cité plus haut, nous a conservé, dans ses lettres, un
fragment curieux d’un de ces interrogatoires,
probablement celui que Thomas T’soi Pil-kong-i eut à
subir, à la troisième lune de l’année kei-mi (1799).
En voici la traduction littérale. Le roi. —
Moi aussi, j’ai lu les livres de religion, mais
comment te semble cette doctrine, comparée à celle de
Fo? — Le chrétien. — La religion de Jésus-Christ ne
doit pas être comparée à celle de Fo. Le ciel, la
terre, les hommes, tout ce qui est, n’existe que par
un bienfait de Dieu, et ne se conserve que par un
autre bienfait, c’est-à-dire par l’Incarnation et la
Rédemption de ce même Dieu très-haut et très-grand,
père et gouverneur de l’univers. Comment oser mettre
en comparaison avec cette religion une doctrine dénuée
de sens et de principes. Ici est la véritable voie, la
véritable science. — Mais comment, dit le roi, celui
que tu appelles très-bon et très-grand maître de
toutes choses, a-t-il pu venir dans ce monde, s’y
incarner, et qui plus est, le sauver par la mort
infâme que les méchants lui ont fait subir? Cela est
bien difficile à croire. — Nous lisons dans l’histoire
de la Chine, reprit le chrétien, que le roi Seng-t’ang
voyant tout son peuple réduit à la mort par une
sécheresse de sept années, ne put y rester insensible.
Il se coupa les ongles, se rasa les cheveux, se
revêtit de paille, et se retira dans le désert de
Sang-lin, Là il se mit à pleurer et à faire pénitence,
puis chantant une prière qu’il avait composée,
s’offrit lui-même en sacrifice et en victime. Sa
prière n’était pas achevée, qu’une pluie abondante
tomba sur un espace — 108 — de
plus de deux mille lys; c’est depuis ce temps que le
peuple dans sa reconnaissance, l’a appelé le saint roi
(1). « Or,
combien plus grand est le bienfait de la Rédemption!
Tous les peuples anciens, présents, futurs, toutes les
choses du monde sont imprégnées de cette rédemption,
et ne subsistent que par elle. Voilà pourquoi, sire,
je ne puis comprendre que vous trouviez ceci difficile
à croire. — Mais la doctrine de Fo, non plus ne doit
pas être traitée légèrement. Le nom seul de Fo
signifiant celui qui sait et comprend tout, est un nom
sans égal, comment oserais-tu en parler avec mépris? —
Si ce n’était ce nom, de quoi eût-il pu se couvrir?
Aussi l’a-t-il volé. Mais par le fait, ce roi
Siek-ka-ie, que vous appelez Fo, n’est qu’un homme,
fils du roi Tsieng-pou et de la dame Mai-ia. Il a dit
en montrant de la main droite le ciel, et de la main
gauche la terre : « Moi seul je suis grand. » N’est-ce
pas là un orgueil ridicule? Quelle vertu, quelle
sainteté a-t-il eu, pour que ce soit un crime de le
mépriser? — La vérité, reprit le roi, se soutient par
elle-même, et chaque chose à la fin tourne du vrai
côté; nous verrons la suite. » Puis, sans rien
décider, il fit reconduire le chrétien à sa prison.
Devant un tribunal inférieur, ce confesseur aurait
expié sa franchise par une dure flagellation,
peut-être même par le dernier supplice, mais le roi
rejeta les adresses des ministres qui voulaient le
faire condamner à mort, et, quelque temps après, le
fit relâcher. Pendant
l’été de cette même année 1799, le taisa Kan
Sin-heu-tso présenta une requête contre Ambroise Kouen
T’siel-sin-i et Augustin Tieng Iak-tsiong, qu’il
représentait comme les chefs et les soutiens des
chrétiens. Le roi se fâcha contre l’auteur de la
requête, le cassa de sa dignité, et défendit de donner
suite à cette affaire. Ces faits
et plusieurs autres analogues donnaient à bien des
chrétiens l’espoir de faire triompher enfin la vérité.
Malgré l’opposition secrète des ministres, et la
cruauté de quelques gouverneurs de provinces,
l’Evangile se répandait parmi les païens; les
conversions se multipliaient, surtout à la capitale.
Mais la mort soudaine du roi laissa bientôt le champ
libre aux persécuteurs. Ce prince mourut d’une tumeur
sur le dos. Un coup de lancette donné à temps eût pu
le sauver, mais une loi inflexible de l’étiquette
coréenne défend de toucher le corps du roi, même en
cas de maladie, et pour le guérir. Cette tumeur
dégénéra en une large plaie, et il expira le 28 de la
sixième lune de 1800, après vingt-quatre ans de règne.
(1)
Peut-être s’agit-il de l’empereur Suen-vang, dont il
est parlé dans le Chi-king. — Duhalde, tome III, p.
13. |