PREFACE « Quoique située entre deux mers
fréquentées, et aperçue chaque année par
des milliers de navigateurs, la Corée est un des pays
les moins explorés ».
Rien de plus vrai que ces lignes d'Elisée Reclus. Il
n'est pas, jusqu'à
l'appellation de Corée, qui ne soit inexacte —
aujourd'hui du moins — appliquée
à notre pays. Ce nom de Corée, fut, selon toute
probabilité, introduit en
Europe par Marco-Polo. A l'époque où le célèbre,
voyageur était à la cour de
Koubilaï Khan, le vocable « Corée », désignait encore
une partie de la
presqu'île, que les Européens dénomment toujours de
même. Au XIVe siècle, à la
suite d'événements qu'il serait trop long de relater
ici, la Corée prit le nom
de Tcio-shen « Sérénité du matin », qui est le seul
employé aujourd'hui par les
habitants du pays. Je ne m'étonne pas outre mesure, du peu de
progrès qu'on a fait en Europe,
en ce qui concerne la connaissance de ma patrie.
Jusqu'au XVIIe siècle, la
Corée était représentée sur les cartes comme une île.
Cette ignorance est due à
bien des causes, dont la principale est, je l'avoue
humblement, le peu
d'empressement que nous avons témoigné, jusqu'à ces
derniers temps, d'entrer en
contact avec la civilisation occidentale. « Il est de
tradition constante», dit
encore Elisée Reclus, « chez les Coréens, de tenir
l'étranger dans l'ignorance
complète de leur pays ». Aujourd'hui nous commençons à
nous départir de ce
système, à l'exemple de nos voisins de l'Est, les
Japonais. Il est vrai que
nous n'allons pas si vite que ces derniers, car je suis,
jusqu'ici, le premier
Coréen qui soit venu en Europe. Le Tcio-shen présente un grand intérêt,
non seulement au point de vue
géographique, mais encore an point de vue politique.
Sous le premier rapport,
il est de tradition de comparer notre pays à l'Italie.
Il y a en effet
plusieurs points de ressemblance entre les deux
contrées. Politiquement
parlant, je rapprocherais plus volontiers !a situation
de la Corée, de celle de
la péninsule des Balkhans. Elle est entourée de
puissants voisins, dont deux,
la Chine et le Japon, se sont à plusieurs reprises
disputé la domination de
notre pays, et dont le troisième, la Russie, pourra bien
un jour, entrer en
ligne à son tour. Un royaume qui excite tant de
convoitises mérite d'être "connu,
et c'est pour cela que je me suis décidé à publier la
présente étude. Il y a quelques mois, j'étais le
collaborateur d'un écrivain français, M.
Rosny, pour la traduction du roman coréen intitulé «
Printemps parfumé ». Après
la publication de ce livre, qui eut un assez grand
succès, quelques lettrés
français me demandèrent, s'il n'y avait pas parmi les
monuments de notre
vieille littérature, quelque roman digne d'être traduit.
Pour répondre à leurs
voeux, je donne aujourd'hui un de nos plus anciens
romans, intitulé « le Bois
sec refleuri ». Nous ne connaissons ni l'auteur de cet
ouvrage, ni l'époque où il a été
composé. D'après les lettrés, ce roman était connu, sous
la forme de pièce de
théâtre, avant l'avènement (1392) de la dynastie
actuelle au trône. Mais au
moment de la formation du Tciôshen, il y eut une
querelle entre bouddhistes et
philosophes. Ce fut à ces derniers que l'avantage
resta. Par esprit de réaction, les
philosophes supprimèrent presque tous les monuments du
théâtre coréen, en
général imprégné d'idées bouddhiques. Il se pourrait que
ce roman eut échappé à
cette espèce de destruction littéraire. Dans la préface qu'il a placée en tète de
« Printemps parfumé » M. Rosny
donne quelques indications sur les moeurs contemporaines
de la Corée, presque
sans parler de l'histoire de la péninsule. C'est pour
compléter ces notes et
pour satisfaire un certain nombre de chercheurs, que je
vais résumer à grands
traits l'histoire de notre pays. Cette histoire se divise en un certain
nombre de périodes très nettement
délimitées, et coïncidant généralement avec un
changement de dynastie. La première de ces périodes est toute
légendaire. On la fait commencer avec
l'année 2358 avant J.-C. Voici ce que dit la tradition à
ce sujet : « Six ans
après l'avènement de l'empereur de Chine, Yao, un saint
vint s'établir sur le
sommet de la montagne de Taihakou. Il ne tarda pas à
être entouré d'un grand
nombre d'indigènes, qui le vénérèrent comme leur
souverain, et l'appelèrent
Tankoun. Ce saint monarque vécut 1668 ans et disparut
pour monter au ciel. » Quelle part de vérité y a-t-il dans cette
légende? On peut lire dans le
Chou-King, un des livres sacrés, le passage suivant : «
l'empereur Yao ordonna
à Ghi-Tciou, l'un des grands dignitaires de la cour, de
se fixer sur une
montagne située à l'Est de la capitale. C'était là que
le soleil semblait se
lever, et Ghi-Tciou, devait au nom de son maître, saluer
respectueusement
l'astre à son aurore. » Le même livre nous rapporte que
trois autres
dignitaires furent envoyés aux trois autres points
cardinaux. La montagne où
s'établit Ghi-Tciou, pourrait très bien être le Taihakou
où la légende fait
vivre Tankoun. La situation est la même, et la date des
deux événements, semble
identique. On peut donc conclure avec assez de
vraisemblance que Tankoun et
Ghi-Tciou ne font qu'un seul et même personnage. La
longueur extraordinaire de
la vie de Tankoun est un fait assez commun dans les
légendes de
l'Extrême-Orient. Notre rapprochement, n'est qu'une
hypothèse, disons-le en
toute sincérité, car il n'existe ni texte ni monument
qui viennent le
confirmer. Avec la seconde période, s'ouvre l'ère
vraiment historique de la Corée.
C'est à cette époque que la péninsule commence à former
un royaume spécial. Le
dernier roi de la dynastie chinoise de Chang, se vit
déposséder par un prince
révolté du nom de Wou-Wang et mourut bientôt après. Il
avait mené une vie de
débauches, malgré les conseils de son oncle Ghi-si. Ce
dernier ne voulait pas
servir sous le nouveau maître de la Chine, qui de son
côté ne tenait pas à
conserver près de lui un homme dont la réputation eut
porté ombrage à
l'omnipotence royale. Pour se débarrasser de Ghi-si,
Wou-Wang lui donna tout le
territoire qui devait former plus tard la Corée. (1122
av. J.-C). Ghi-si, suivi
d'un certain nombre de savants, alla se fixer dans le
pays qui lui était
attribué. Il en fut le véritable souverain, tout en ne
portant que le titre de
vicomte. La civilisation chinoise fut introduite dans la
péninsule, qui, sous
l'administration bienfaisante de Ghi-si, devint bientôt
très prospère. « Plus
de voleurs » dit un historien chinois. « Telle était la
sécurité qui régnait
dans le pays, qu'on ne fermait plus les portes des
maisons, la nuit. La
protection de Ghi-si s'étendait sur toute la contrée. »
Ghi-si est donc le vrai
fondateur du royaume de Corée. Parmi les huit savants que Ghi-si avait
amenés avec lui, en figurait un du
nom de Hong. C'est le véritable ancêtre de la famille à
laquelle j'appartiens.
Les sept autres savants ont également aujourd'hui encore
des descendants. Ces
huit familles vivent dans la plus étroite intimité,
comme si elles étaient
liées par la parenté la plus rapprochée. La dynastie fondée par Ghi-si eut une
durée de dix siècles. A vrai dire, sa
domination ne s'étendait que sur la moitié
septentrionale de la Corée. La
partie méridionale, connue sous le nom de Shim, était
encore sauvage et presque
ignorée. Le quarante et unième descendant de Ghi-si,
Ghi-Joun, se proclama roi
de la presqu'île tout entière. Mais, un prince chinois
déclarant la guerre à
Ghi-Joun, le chassa du territoire de ses pères. Ghi-Joun
dut se réfugier
précisément dans la partie de la Corée dont il s'était
peu auparavant attribué
la souveraineté. Sa position n'était pas désavantageuse,
car le nombre de ses
nouveaux sujets s'accroissait chaque jour par
l'émigration chinoise. Celle-ci
était due à ce fait, qu'à cette époque l'empereur de
Chine Tsin-Chi-Hoang-Ti,
avait décrété une corvée générale pour la construction
de la grande muraille. Quant au vainqueur de Ghi-Joun, le prince
Yei-man, il s'était proclamé
souverain de la Corée septentrional. Son fils lui
succéda sur le trône, mais
son petit-fils You-Kio ne régna pas longtemps. Il fut
attaqué par le quatrième
empereur de la dynastie Chinoise de Han et dépouillé par
lui. Cet empereur,
homme d'une bravoure extraordinaire, lutta également
contre les Huns qu'il
refoula à l'Ouest. Son empire s'étendit jusqu'à la mer
Caspienne. L'ancien
royaume de Ghi-si, ne forma plus qu'une province du
Céleste Empire (109 av.
J.-C.) et son nom même disparut pour quelque temps. Soixante douze ans après un étranger du
nom de Co-Shou-mô, étant venu dans
la partie septentrionale de la Corée, s'en empara et
s'en proclama roi. C'est avec Co-Shou-mô, fondateur d'une
dynastie qui régna pendant huit
siècles, que nous arrivons à la troisième période de
l'histoire de la Corée.
D'où venait ce conquérant ? Du royaume de Pou-Yo que
l'on doit
vraisemblablement placer en Sibérie. Voici en effet ce
qu'on lit à ce sujet
dans un vieux géographe : «Le royaume de Pou-Yo, se
trouvait à mille ri (un ri
vaut à peu près 400 mètres) au nord du Tcio-shen.
C'était un pays barbare. La
naissance de Go-Shou-mô est entourée de légendes. Eu
voici quelques traits. Le roi de Pou-Yo rencontra un jour une
jeune vierge, fille du « Dieu de la
rivière ». Il l'emmena dans son palais, d'où il ne la
laissa plus sortir. Or,
au retour d'un long voyage, le roi trouva la jeune fille
sur le point d'être
mère. Il voulut la tuer, mais lui demanda d'abord
quelques explications. Voici
ce que raconta la jeune fille. « Le soleil dardait sur
moi des rayons brûlants,
dans ma chambre. J'ai voulu m'y soustraire et me suis
retirée en marchant à
reculons. Mais la lumière me suivait toujours. C'est
depuis cette époque que je
me sens enceinte ». Cette réponse mystérieuse sauva la
jeune fille. Le roi lui
laissa la vie. Bientôt elle mit au monde un garçon. A
cause de son habileté à
tirer de l'arc, celui-ci reçut le nom de Shou-mô, qui
signifie « tireur adroit
». L'adresse de Shou-mô s'accroissant d'année
en année, lui valut de nombreux
envieux qui résolurent de l'assassiner. Il s'enfuit dans
la direction du midi.
Arrivé dans une région appelée Kouré, il s'y établit et
prit le titre de roi.
Son nom de famille étant « Gô », il appela d'abord son
royaume Cô-Kouré. Par
abréviation on se contenta bientôt de dire Corée. C'est
là la vraie origine de
l'appellation sous laquelle aujourd'hui encore notre
pays est connu en Europe.
Avant de s'enfuir du royaume de Pou-Yo, Shou-mô avait
contracté une union dont
après son départ, il naquit un fils, auquel on donna le
nom de Roui-ri Quand
cet enfant fut arrivé à l'adolescence et qu'il eut
appris la haute situation de
son père, il alla rejoindre ce dernier en compagnie de
sa mère. La polygamie
existait-elle à cette époque en Corée, ou Shou-mô ne
tarda-t-il pas à perdre
son épouse après qu'elle l'eut rejoint? Nous ne sommes
point fixés sur ce
point. L'histoire nous apprend seulement que Shou-mo se
remaria avec la fille
du roi de Pou-Yo. De ce second mariage, deux fils
naquirent. L'aîné reçut le
nom de Foutsou-Rieou, en souvenir d'une tribu du même
nom soumise par Shou-mô.
Le second fut nommé Ouslio. Le royaume devait revenir à
Roui-ri, le premier
fils de Shou-mô. Les deux autres jeunes princes,
craignant que Roui-ri ne les
maltraitât un jour, s'enfuirent ; Foutsou-Rieou, chercha
un asile dans la
partie méridionale de la Corée, qui se subdivisait alors
en trois petits Etats
formant une sorte de confédération. Pour comprendre
cette partie de l'histoire
coréenne, nous sommes obligés de revenir sur nos pas, et
de dire un mot du plus
grand de ces trois petits Etats, celui connu sous le nom
de Kam et dont nous
avons déjà parlé à propos de Ghi-Joun. L'Etat de Kam,
correspondait à cette
partie de la Corée que nous avons désignée plus haut
sous le nom de Shim.
Lorsque Ghi-Joun arriva dans ce pays, il habita d'abord
une petite île située
au midi, puis se proclama roi du pays tout entier.
Ba-kam, Ben-kam et Shin-kam,
tels étaient les noms des trois régions formant le Shim.
La plus importante était
le Bakam qui ne comprenait pas moins de cinquante trois
tribus. Ghi-Joun fut le
premier roi de ce pays. Ses fils lui succédèrent pendant
deux siècles sur le
trône. Lorsque Foutsou-Rieou et son frère arrivèrent
dans la contrée, le roi
les accueillit avec bienveillance. Il donna même à
Foutsou-Rieou un vaste
domaine. Ce prince n'en jouit pas longtemps, car il
mourut très-jeune et à sa mort,
les habitants du pays soumis à son autorité, donnèrent à
leur district le nom
de Koutara. Quant au frère de Foutsou-Rieou, Ousho, il
vécut quelque temps dans
l'obscurité. Devenu populaire, il en profita pour
attaquer le souverain du
Ba-kam, le surprit, et se rendit maître du pays tout
entier. Ainsi s'éteignit
la dynastie de Ghi-Joun. Ousho, donna au territoire
qu'il avait soumis, le nom
de Koutara, sous lequel il a toujours été désigné depuis
cette époque. Les deux autres petits Etats de la Corée
méridionale, le Ben-kam et le
Shin-kam comprenaient chacun douze tribus. On ne connaît
pas exactement
l'époque de leur fondation en tant qu'Etats distincts.
Ils existaient déjà sous
cette forme quand Ghi-Joun vint s'établir dans le pays.
On a vu plus haut, qu'à
ce moment même, les Chinois émigraient en foule pour
échapper à la corvée de la
construction de la Grande Muraille. Les sujets du
Céleste-Empire ne tardèrent
pas à se mêler et à se fondre avec les indigènes. Le
Ben-kam et le Shin-kam,
tout en jouissant d'une certaine indépendance, étaient
cependant rattachés par
de nombreux liens au Bakam. Les trois petits Etats,
formaient comme nous
l'avons déjà dit, une sorte de confédération. Parmi les douze tribus du Shin-kam, la
plus importante était celle de
Shinra. Celle-ci produisit un héros fameux du nom de
Kokou-Kyo-Shei, qui après
avoir été reconnu comme maître par toute sa tribu, reçut
le nom de
Shei-Kyo-Khan. Le mot Khan signifie en coréen, comme en
Tartare, chef des
chefs. C'est peut-être le plus ancien de ces Khans
farouches, dont les uns
attaquèrent le Céleste-Empire, tandis que les autres
ravageaient l'Asie
occidentale. Devenu maître du Shin-kam tout entier,
Shei-Kyo-Khan, s'empara
ensuite du Ben-kam. A partir de cette époque, les noms
de Shin-kam et de
Ben-kam disparaissent de l'histoire de la Corée. On ne
connut plus que ceux de
Shinra, de Corée et de Koutara. Sous le règne du neuvième successeur de
Shei-Kyo-Khan, la partie
occidentale du Japon se révolta à l'instigation des
habitants du Shinra.
L'empereur du Japon alla combattre les rebelles,
accompagné de l'impératrice.
Le souverain étant mort dans son camp, son épouse n'en
continua pas moins la
campagne. Elle voulait châtier les habitants du Shinra,
toujours prêts à
encourager les Japonais à la rébellion. Dans ce but,
elle fit équiper une très
grande flot, dont elle prit elle-même le commandement.
Elle débarqua sur la côte
du Shinra et ne tarda pas à rencontrer le roi du pays.
Celui-ci frappé de la
beauté resplendissante de l'impératrice, crut voir
devant ses yeux une déesse,
et se jeta à ses pieds. Les rois de Corée et du Koutara
vinrent également
présenter leurs respectueux hommages à. la belle
impératrice. Celle-ci repartit
après avoir signé un traité (200 après J.-C). C'est de celle époque que datent les
relations entre la presqu'île coréenne
et le Japon. Ce dernier pays, qui ne connaissait encore
presque rien de la
civilisation chinoise, y fut initié par l'entremise des
Coréens. Sciences, arts,
industrie, religion même, les Japonais empruntèrent tout
à leurs voisins. Aussi
un écrivain français a-t-il dit avec raison : « la Chine
et la Corée ont fait
au Japon, ce que nous ont fait les Grecs et les Romains.
» Rien n'est plus
exact, et c'est au IIIe siècle de l'ère chrétienne que
les Japonais se firent
nos élèves. Du VIe au VIIe siècle après J.-C,
l'histoire de la presqu'île coréenne ne
présente aucun fait saillant. Au milieu du VIIe siècle,
le royaume de Koutara
attaqua celui de Shinra. Ce dernier eut en outre à
lutter contre l'Etat de
Corée avec lequel il n'avait jamais entretenu de bons
rapports. Pour combattre
avantageusement ses ennemis, le Koutara fit appel à la
Chine. La Corée et le
Shinra demandèrent des secours au Japon. La victoire
resta aux alliés du
Céleste-Empire. Le résultat de la guerre, fut l'annexion
de la plus grande
partie de la Corée et du Shinra à la Chine. Le nom même
de Corée disparut
momentanément. Le Shinra s'augmenta de son côté, de
quelques districts des deux
royaumes écrasés. (662-668). A dater de celte époque, la moitié
septentrionale de notre presqu'île fut
une dépendance de la Chine. Seul le royaume de Shinra
continua à constituer un
Etat autonome. An commencement du Xe siècle, il fut en
proie à des troubles
fréquents. De tous côtés éclataient des révoltes, et on
vit plusieurs chefs de
rebelles prendre le titre de roi. L'un d'entre eux,
nommé O-Ken, acquit assez
d'influence, pour fonder un nouveau royaume de Corée, et
se rendre maître de
tout le territoire dont le Shinra s'était emparé grâce à
l'alliance chinoise
(935 après J.-C). La dynastie d'Oh, fondée par O-Ken, avec
qui commence la quatrième période
de notre histoire, régna paisiblement pendant trois
siècles. Elle ne possédait
à vrai dire que la moitié méridionale de la péninsule.
Au commencement du XIIIe
siècle, l'autorité de l'empire chinois fut ébranlé par
Ghengis Khan. Ce héros
fameux que certains historiens japonais considèrent
comme originaire de leur
pays, fit d'immenses conquêtes. Il ne dirigea pas ses
attaques du côte de la
Corée, niais son successeur, rendit à la dynastie d'Oh,
les territoires que la
Chine s'était annexés au VIIe siècle. (C’est depuis
cette époque que les descendants
d’O-Ken.régnèrent sur la péninsule presque tout entière.
Koubilaï-Khan, petit-fils de Genghis-Kan,
voulut faire reconnaître son
autorité par le Japon lui-même. Il envoya dans ce but
plusieurs messagers
coréens à la cour de l'empereur japonais. Celui-ci ne
fit aucune réponse.
Koubilaï-Khan en vint aux menaces. Les porteurs de ses
lettres comminatoires
furent mis à mort par ordre du gouvernement japonais.
Mais quand Koubilaï-Khan,
devenu maître de la Chine en totalité, eut fondé la
dynastie des Youen. la face
des choses changea. Le conquérant, faisant appel aux
Coréens, équipa une flotte
nombreuse qui fit voile vers le Japon. Il s'empara d'une
dizaine d'iles. puis
s'approcha des côtes méridionales de l'empire japonais.
Un long mur, haut de 10
mètres, avait été élevé par les Japonais, qui pouvaient
ainsi facilement
accabler de traits les assaillants. Ceux-ci, pour ne pas
être surpris, avaient
relié entre eux tous leurs navires, à l'aide de chaînes
en fer. Ils attendaient
un moment propice pour commencer l'attaque, quand une
tempête terrible, comme
il s'en élève souvent à l'époque de la mousson, vint les
arrêter dans leurs
desseins. Attachés les uns aux autres, les navires
s'entrechoquant avec fracas,
furent tous brisés. Ce fut un désastre sans pareil. Nous
en trouvons un écho,
exagéré peut-être dans les historiens chinois : «
Pendant plusieurs jours »,
dit l'un d'eux, « les vagues rejetèrent des cadavres
dans les golfes qui s'en
trouvèrent obstrués. Sur cent mille soldats mongols,
trois seulement survécurent.
7000 Coréens sur 10000 périrent. » Il y a certainement
de l'exagération dans ce
récit; les historiens chinois donnent généralement un
cours trop libre à leur
imagination poétique. Néanmoins, ce fut pour
Koubilaï-Khan une défaite
extraordinaire, à laquelle seule le Japon dut son salut
(1281 après J.-C.). La dynastie fondée par Koubilaï-Khan, ne
se maintint pas longtemps sur le
trône de Chine. Un siècle ne s'était pas écoulé, qu'elle
devait céder la place
à la dynastie des Ming. En Corée, le pouvoir des
descendants d'O-Ken, allait
également s'affaiblissant de jour en jour. Le dernier
représentant de cette
famille abandonna de lui-même le trône et alla vivre
obscurément dans une
province. Un général, Li-Shei-Kei prit le titre de roi.
C'est lui qui fonda la dynastie
qui est encore au pouvoir aujourd'hui (1392 après J.-C).
Ici commence la cinquième période de notre
histoire. Le roi Li, maître de
la péninsule tout entière, changea le nom de Corée en
celui de Tciô-Shen
(1398). Il signa un traité avec la Chine, et les
relations les plus amicales
existèrent entre les deux pays. Ce fait parait étrange
de prime abord et
demande une explication. Avant de monter sur le trône, Li-Shei-Kei,
avait vécu retiré dans un
monastère bâti sur les flancs des monts Tcio-Hakou.
Cette chaîne montueuse sert
de limite, au Nord, à la Corée du côté de la Chine. Dans
ce même monastère se
trouvait un jeune homme, du nom de Tchou-Youan-Tchang,
qui devint plus tard le
fondateur de la dynastie des Ming en Chine. Quoique
voisins, les deux hommes
appelés à de si brillantes destinées, n'échangèrent pas
un mot pendant leur dix
années de séjour au monastère. Mais, par une sorte
d'intuition, ils s'étaient
rendus compte de leurs capacités réciproques. Ce fut
Tchou Youan-Tchang qui
quitta le premier le monastère. Au moment de son départ,
il dit à son compagnon
: « Vous régnerez un jour sur le pays qui s'étend au sud
de ces montagnes ;
moi-même j'aurai en partage l'empire du Milieu ». Il
s'éloigna sur ces mots. Sa
prophétie se réalisa et les deux souverains qui avaient
vécu si longtemps côte
à côte comme s'ils eussent été muets, conservèrent sur
le trône l'amitié tacite
qui les avait unis auparavant. Il n'est pas moins intéressant de savoir
en quels termes les gouvernements
de la Chine et du Tcio-Shen vivaient avec le Japon. Dans
ce pays, on avait vu
s'établir le militarisme féodal, sous l'autorité du
Mikado (1086) Le véritable
chef du gouvernement était le Shiogoun, qui en sa
qualité de général suprême,
détenait le pouvoir exécutif. Bientôt la fonction de
Shiogoun devint quasi
héréditaire. A l'époque de l'histoire coréenne où nous
sommes arrivés, c'était
Oshikaga qui gouvernait. Le pouvoir de ce personnage
n'était qu'un pâle reflet
du prestige exercé par ses prédécesseurs. Des révoltes
avaient éclaté sur tous
les points de l'empire. Les petites provinces étaient la
proie des grandes.
Partout, régnait l'anarchie. Ce fut alors qu'un homme
très grande valeur,
Hidéyoshi, qui avait commencé par être valet d'un
prince, renversa le shiogoun
et prit sa place. Il rétablit l'ordre dans le pays, et
bientôt personne n'osa
plus contester son autorité. Très ambitieux, il avait de
bonne heure rêvé
d'asservir la Chine au Japon. La perte d'un enfant qu'il
adorait avait rempli
son coeur de tristesse. Pour échapper à son chagrin, il
résolut de tenter une
grande expédition contre le Céleste-Empire. Il ordonna à
tous les princes
féodaux de lever des troupes, et se trouva ainsi à la
tête d'une armée de 50,000
hommes. Plusieurs milliers de navires furent équipés
pour le transport de ces
troupes. La flotte fit voile pour la Corée. L'armée
débarqua. sans obstacles.
Ne se fiant pas à leurs propres forces pour repousser
l'invasion, les Coréens
firent appel à la Chine. L'empereur envoya une nombreuse
armée sous les ordres
du général Li-Jio-Shiô. Elle fut défaite, et son chef
rentra eu Chine, où il demanda,
sous prétexte de maladie à être relevé de son
commandement. Le souverain
chinois dépêcha sur le lieu des hostilités le plus
éloquent de ses sujets,
Shin-i-Kei, avec mission, de conclure la paix avec le
Japon. Shin-i-Kei,
s'acquitta à merveille de sa tâche. Il s'entendit avec
le général japonais en
qui le shiogoun avait la plus absolue confiance. Un
traité en quatre articles
fut proposé. D'après le dernier de ces articles
Hidéyoshi devait être «
couronné ». Informé de ce fait, le shiogoun donna, son
acquiescement au traité
projeté, et la paix fut conclue. Des ambassadeurs
chinois et coréens, vinrent
apporter au shiogoun un cachet d'or, le costume rouge
complet et une lettre
d'investiture. S'étant revêtu de ces insignes, Hidéyoshi
ordonna qu'on lui lut
la lettre de l’empereur chinois. Or cette lettre disait
simplement: « Je te
nomme roi du Japon ». A ces mots, Hidéyoshi entra dans
une colère furieuse.
Lacérant les habits qu'il avait endossés, ainsi que la
lettre impériale, il
s'écria : « Je croyais qu'on m'avait promis de me
reconnaître empereur de
Chine. C'est pour cela que j'ai arrêté mes troupes en
plein succès. Si je
voulais prendre le titre de souverain du Japon, je
n'aurais besoin du secours
de personne ». Immédiatement, le shiogoun ordonna une
nouvelle expédition
contre la Chine. Le théâtre de la guerre fut la Corée.
La lutte se prolongea
pendant plusieurs années. Hidéyoshi étant tombé malade,
ordonna à ses troupes
de revenir au Japon. Peu de temps après il mourut. A
vrai dire, il n'avait pas
porté le titre de shiogoun, mais celui de kouan-bakou,
ou grand conseiller
impérial. Après le monarque, il avait été le personnage
le plus important de
l'empire, et avait joui d'une autorité presque absolue.
Six ans après la mort d'Hidéyoshi,
l'empereur nomma shiogoun Tokougava.
C'était un homme très-habile, complètement dépourvu de
cet esprit d'aventure
qui avait caractérisé Hidéyoshi. Tokougava voulait avant
tout pacifier le
Japon. Il demanda à la Corée de signer avec le
gouvernement japonais un traité
de paix, ce qui fut accepté. Le Tcioshen en profita pour
demander à la Chine de
retirer les garnisons qu'elle avait établies dans la
péninsule pour la défendre
contre les Japonais. C'est en 1604 que fut conclu ce
traité entre la Corée et
le Japon. Depuis cette époque.la péninsule coréenne
a vécu avec calme et sans bruit.
En Chine on a vu une nouvelle dynastie arriver au
pouvoir après une longue
guerre civile (1661), tandis que le Japon a secoué le
joug de la féodalité en
renversant le shiogoun (1868). Les deux empires qui nous
avoisinent à l'Est et
à l'Ouest, sont entrés en contact avec l'Europe. La
Chine a ouvert ses ports au
commerce européen en 1842 ; le Japon a suivi son exemple
en 1859. Nous mêmes,
fûmes l'objet des sollicitations des gouvernements
étrangers. Mais, tant que
nous fûmes sous la dépendance chinoise, il nous a été
imposiblc de conclure des
traités. La cour de Pékin ayant autorisé la Corée à
traiter, puis finalement
reconnu son indépendance, le gouvernement signa d'abord
une convention avec le
Japon (1876). Puis, ce fut le tour des Etats-Unis,
(1886), de l'Allemagne, de
la France, de l'Angleterre, de la Russie, etc. Tous ces
pays ont envoyé à Séoul
des ministres plénipotentiaires ou des chargés
d'affaires. Mais le gouvernement
préoccupé des réformes intérieures, n'a pu jusqu'ici
déléguer aucun ambassadeur
en Europe. Ce sera chose faite dans quelque temps. J'ai essayé de résumer à grands traits
l'histoire de mon pays, histoire qui
est totalement inconnue à l'étranger. J'espère que ces
quelques pages
exciteront la curiosité d'un certain nombre de lecteurs
et que la Corée
deviendra à son tour l'objet des études des savants
européens. Il y a juste cinq cents ans que la
dynastie actuelle occupe le trône en
Corée. Nous souhaitons une existence éternelle à la
famille de nos souverains,
car nos rois ont toujours été les bienfaiteurs du pays.
Je n'ignore pas que
j'écris pour des Français, habitués à vivre en
république. Mais je suis sûr qu'ils
ne nous en voudront pas de notre attachement à la forme
de gouvernement
instituée par nos pères. C'est affaire de tempérament.
Il y a longtemps qu'on a
démontré l'influence du climat sur les moeurs des
peuples. Nul ne songe à
reprocher aux Indiens, de ne pas s'habiller de même que
les Esquimaux. Ainsi en
est-il des constitutions des différents pays. Tout en
conservant notre forme de
gouvernement, nous désirons profiter à notre tour de la
civilisation
européenne. Tous ceux qui nous aideront dans cette
oeuvre, sont assurés
d'avance de notre estime et de notre affection. Quand Voltaire, ce grand railleur, voulait
parler de quelque chose de
lointain et de ténébreux, il ne manquait pas de mettre
en avant la Corée. C'est
qu'à l'époque où vivait le célèbre écrivain, notre pays
était en effet bien
loin de la France. Il n'eut pas fallu moins de dix-huit
mois à un navire à
voiles pour se rendre d'un port français jusqu'en Corée.
Aujourd'hui il n'en
est plus de même. D'ailleurs, quand il existe une
sympathie réciproque entre
deux hommes ou deux pays, ils ne sont jamais trop
éloignés l'un de l'autre.
J'espère que la lecture de ce roman, attirera vers nous
les regards de mes
lecteurs. Cet ordre d'idées me rappelle les vers que le
poète chinois fait
écrire à son héros, obligé de vivre loin de celle qu'il
aime : « Qui donc dit que le fleuve Jaune est
large ? Une feuille de roseau permettrait de le
traverser. Qui donc dit que la province de Soug est
loin? Je n'ai qu'à me dresser sur mes talons
pour la voir. » Les distances n'existent pas pour les
amoureux. Je souhaiterais qu'il en
fut de même entre les pays. Quand les Français auront
appris à aimer la Corée,
notre pays ne leur paraîtra plus situé aux confins du
monde. Pour ma part, je
m'estimerais le plus heureux des hommes, si j'avais pu
contribuer en quelque
mesure au rapprochement de deux pays qui ne pourraient
que gagner à se
connaître réciproquement. Le 15 Janvier 1893. HONG TJYONG-OU. |