Le Bois Sec Refleuri

Traduit par Hong-Tjyong-Ou


VIII

 

The girl with whom San-Syeng had fallen in love, now named as Tjyang-So-Tyjei, after the death of her mother, loses everything in a popular uprising, escapes and dresses as a man for safety. Lost and exhausted, she falls asleep by the bamboo forest where San-Syeng had been born years before. There she is discovered by Tjyeng-Si, San-Syeng’s mother, who is still living in the temple, and goes to the temple with her. Tjyeng-Si recognizes the ring San-Syeng had given to Tjyang-So-Tyjei and asks how she got it. The identities are revealed. The two women set off, reach the town of Saug-Tjyou, where the son of the innkeeper falls for Tjyang-So-Tyjei. Rejected, he takes revenge by having his own jewels hidden in their room then claiming they had stolen them. Arrested, they are taken before the magistrate who falls for Tjyang-So-Tyjei and gives her the choice, marriage or death. They are put in prison.

 

C'est San-Syeng qui avait le plus puissamment contribué à rétablir le souverain légitime de la Corée, sur son trône. Il ne considérait pas sa tâche comme terminée ; car il lui restait à retrouver ses parents, et à aller rejoindre l'adorable jeune fille à qui il avait donné son coeur. Au milieu de toutes les aventures qu'il venait de traverser, il n'avait pas un instant cessé de penser à Tjyang-So-Tyjei. Il était loin de se douter que, de ce côté là aussi, il s'était passé des événements extraordinaires.

Quelque temps après le départ de San-Syeng, Tjyang-So-Tyjei avait un jour trouvé sa mère morte dans sa chambre. La pauvre jeune femme fut accablée de douleur. Elle ne pouvait se consoler de ce malheur irréparable dont la solitude lui faisait apprécier encore davantage l'étendue. Bientôt une nouvelle calamité vint fondre sur elle. Le peuple, révolté contre la noblesse, porta partout l'incendie et le pillage. Tjyang-So-Tyjei eut à peine le temps de s'enfuir par une porte secrète.

En peu de mois la jeune fille avait perdu sa mère et sa fortune. Elle ne se désespéra cependant pas. « Il me reste San-Syeng, se disait-elle. J'irai le retrouver dans la capitale ». Afin de pouvoir plus facilement exécuter son projet, elle revêtit le costume masculin. Ainsi équipée, elle se mit en route.

Malheureusement, n'ayant aucune notion du chemin qu'elle devait suivre, elle ne tarda pas à s'égarer. Un brouillard intense vint encore aggraver la situation. La jeune femme marcha longtemps, ne rencontrant jamais, à son grand désespoir, la moindre maison pour se reposer. Harrassée de fatigue, elle s’assit près d'une forêt de bambous. Elle ne voulait prendre que quelques instants de repos ; mais, malgré ses efforts elle ne tarda pas à s'endormir.

La forêt de bambous vers laquelle le hasard avait dirigé les pas de Tjyang-So-Tyjei était précisément celle où, de longues années auparavant, Tjyeng-Si avait mis au monde San-Syeng. La malheureuse mère, forcée d'abandonner son enfant et de se faire religieuse, venait souvent faire un pèlerinage en ces lieux qui lui rappelaient de si douloureux souvenirs. Elle se plaisait à raviver sa douleur en contemplant l'endroit où elle était devenue mère, et qu'elle arrosait de ses larmes.

Un jour, en revenant de sa triste promenade, la religieuse vit tout à coup un jeune homme qui. couché au travers du chemin, dormait profondément. Elle s'effraya d'abord, puis se risqua à contempler le dormeur. « Mon fils doit avoir le même âge, se dit-elle ; je vais attendre le réveil de ce jeune homme pour lui parler. » Elle s'assit auprès de lui, ne pouvant détacher ces regards de sa figure. A la fin, n'y tenant plus, et après s'être bien assurée que personne ne la voyait, elle se décida à réveiller le voyageur étranger.

— Excusez ma curiosité, Monsieur, mais votre aventure est bien étrange.

— Quelle aventure ? demanda Tjyang-So Tyjei.

— Comment se fait-il que vous soyez venu vous coucher dans ce sentier ?

— Cela vient de ce que j'étais très fatigué.

— Où demeurez-vous ?

— A Tjin-Tjyou ; mais je fais route pour la capitale.

— Pour la capitale ? Mais vous n'êtes pas du tout sur la bonne route.

— Me serais-je égaré? Comment vais-je faire? La pauvre jeune femme avait les larmes aux yeux. Tjyeng-Si de son côté était tout émue.

— Pourquoi, demanda-t-elle encore, pourquoi voyagez-vous ainsi, seul? Ce n'est pas prudent.

— Je le sais, Madame, mais j'y suis bien obligé, car je suis orphelin.

— Voulez-vous venir avec moi ?

— Oui ; mais je ne pourrai accepter votre hospitalité que pour peu de temps.

Sur ces mots, nos deux personnages se dirigèrent vers le temple de Ro-ja.

La soeur Out-Poug consentit à recevoir le jeune voyageur ; mais le prévint qu'il lui était impossible de garder plus de deux ou trois jours un homme dans la maison.

Tjyang-So-Tyjei n'en demandait pas tant. Quand elle se fut installée dans sa chambre, elle alla trouver Tjyeng-Si. Celle-ci lui raconta tous ses malheurs. Ce récit émut jusqu'aux entrailles la jeune femme qui pleura longtemps avec sa nouvelle amie.

Le lendemain matin, Tjyeng-Si vint dans la chambre du voyageur. Apercevant une bague sur la table, elle l'examina attentivement, puis demanda brusquement :

— Je suis peut-être très indiscrète ; mais je vous serais fort obligée de me dire de qui vous tenez cette bague ?

— C'est un souvenir de mon meilleur ami.

— Et où est-il cet ami ?

— Il est allé à la capitale. Je voulais justement le rejoindre, et j'espère être bientôt auprès de lui.

— Quel âge a-t-il ?

— Nous sommes à peu près aussi âgés l'un que l'autre. Mais pourquoi toutes ces questions ?

Tjyeng-Si ne répondit pas immédiatement. Ses yeux étaient gonflés de larmes. Toup à coup, elle éclata en sanglots.

— Mon fils ! mon pauvre fils! Où es-tu? dit-elle.

Ces paroles frappèrent très vivement Tjyang-So-Tyjei. Est-ce que cette pauvre femme serait la mère de mon mari ? songea-t-elle.

Elle attira doucement vers elle sa pauvre compagne tout en larmes, et lui demanda:

— Votre fils s'appellerait-il San-Syeng ?

A ce nom, Tjyeng-Si, plus émue que jamais s'écria :

— Oui, c'est ainsi que je l'ai nommé, et j'ai moi-même inscrit sur le bras de mon enfant ce nom de San-Syeng en caractères ineffaçables. Cette bague que j'ai regardée tout à l'heure je l'ai glissée dans les langes de mon fils lorsque je dus l'abandonner.

— Ma mère, ma chère mère, dit Tjyang-So-Tyjei en se jetant dans les bras de Tjyeng-Si, votre fils est mon mari, et je suis à sa recherche.

— Est-ce que j'entends bien ! s'écria Tjyeng-Si. Mais alors, que signifie ce costume?

— Je l'ai endossé afin de pouvoir voyager avec plus de sécurité.

Les deux femmes tendrement enlacées pleuraient à chaudes larmes. La soeur Out-Poug, qui passait à ce moment, entendant sangloter entra dans la chambre.

— Pourquoi pleurez vous ainsi ? demanda-t-elle.

— Ma bonne soeur, nous avons donné l'hospitalité non pas à un jeune homme ; mais à la propre femme de mon fils, répondit Tjyeng-Si.

— Comme je suis heureuse pour vous ! Tjyang-So-Tyjei, expliqua à la religieuse pourquoi elle avait revêtue des habits d'homme.

— Vous avez raison, reprit la soeur ; mais quel motif vous a fait quitter la ville que vous habitiez.

La jeune femme raconta toutes ses infortunes. Plus que jamais elle brûlait du désir de retrouver son mari.

— Je le retrouverai facilement, ajouta-elle, fût-il complètement changé. Il a probablement conservé le cheval que je lui ai donné lors de son départ et, à défaut du maître, je reconnaîtrai la monture.

— Eh bien ! dit la religieuse à Tjeng-Si, le terme de tous vos chagrins est proche. Suivez votre fille ; vous retrouverez ensemble celui que vous avez appelé San-Syeng.

— Oui, nous ferons tous nos efforts pour réussir dans cette entreprise.

Habituées depuis si longtemps à vivre ensemble, Tjeng-Si et la religieuse éprouvèrent un vrai chagrin à se quitter Mais la soeur Out-Poug avait été la première à conseiller à Tjeng-Si de partir avec sa bru. Dans sa tristesse, elle était encore heureuse du bonheur qui arrivait à sa compagne.

Tjeng-Si et Tjyang-So-Tyjei se mirent en route.

Quand elles arrivèrent près de la forêt de bambous, la mère de San-Syeng ne put retenir ses larmes.

— Pourquoi pleurez-vous ainsi, ma mère?

— C'est là ma fille, qu'il y a dix sept ans, j'ai mis au monde celui qui devait être votre mari. C'est à quelque distance d'ici que je l'ai abandonné, pour suivre la soeur Out-Poug. Tous ces souvenirs m'étreignent douloureusement le coeur. Les deux femmes continuèrent leur chemin ; au bout de plusieurs heures de marche, elles arrivèrent auprès d'un grand lac. Tjeng-Si, s'arrètant un instant, et levant les yeux au ciel s'écria en pleurant:

— Chère et infortunée amie, qu'es-tu devenue?

Elle raconta à Tjang-So-Tyjei le sublime dévouement de celle grâce à laquelle elle avait pu échapper aux poursuites de Sù-Roung.

Les jours suivants, le voyage se passa sans incidents. Les deux femmes arrivèrent dans la ville de Saug-Tjyou. Elles résolurent de s'y arrêter quelques jours car elles étaient épuisées par la fatigue, et entrèrent dans le premier hôtel qu'elles rencontrèrent.

Le fils de l'hôtelier ne tarda pas à tomber amoureux de Tjang-So-Tyjei, qui était une merveille de grâce et de beauté. Voyant ses avances repoussées, il résolut de se venger. Une servante fut chargée de cacher dans la chambre de la jeune femme des bijoux appartenant au jeune homme. La chose se fit sans difficulté. La servante dut jurer qu'elle ne dirait rien.

Le lendemain, l'amoureux évincé entrant dans la chambre de Tjang-So-Tyjei, lui dit :

— Madame, veuillez m'excuser. On m'a volé mes bijoux. J'ai fait des recherches dans toutes les chambres de la maison et vous demande la permission d'en faire autant chez vous.

— Très volontiers, Monsieur.

Les deux femmes ne furent pas médiocrement étonnées de voir le jeune homme retrouver, comme par enchantement, chez elles les bijoux qu'il prétendait lui avoir été volés. Elles jurèrent qu'elles étaient innocentes ; mais ce fut inutile.

Bientôt on vint les arrêter de la part du mandarin, et elles durent subir un premier interrogatoire.

Elles renouvelèrent énergiquement leurs dénégations. Le mandarin les écouta. Il avait été frappé de l'admirable beauté de Tjang-So-Tyjei. N'en laissant rien paraître, il ordonna de mener les deux femmes en prison. Quelques minutes après, il leur faisait dire que, si Tjang-So-Tyjei consentait à l'épouser, on ne reparlerait plus de ce vol. En cas de refus, c'était la mort.

La jeune femme répondit avec indignation à l'envoyé du mandarin :

— Dites à votre maître, qu'il est un infâme. Je suis mariée et ne trahirai jamais mon époux ; même pour échapper à la mort.

Le mandarin très irrité donna des ordres pour que l'exécution des prisonnières eut lieu à trois jours de là. Le gardien de la prison, en même temps bourreau, fit ses sinistres préparatifs. Vivement touché de l'infortune des deux femmes, il alla les trouver et leur dit :

— Je serais très heureux de vous rendre tel service que vous me demanderiez. Je suis obligé de me conformer aux ordres du mandarin ; mais je ne crains pas de dire que c'est le plus misérable des hommes.

Le gardien pleurait en parlant ainsi. Tjeng-Si et sa bru, au comble du désespoir, se lamentaient. Ainsi, il leur fallait quitter la vie sans avoir revu l'une son fils, l'autre son mari !

— O mon San-Syeng, ô mon San-Syeng! s'écriaient-elles. Telle était leur douleur qu'à la fin elles perdirent connaissance.