Le Bois Sec Refleuri Traduit par Hong-Tjyong-Ou III
The
scene shifts to San-Houni.
Obliged to hire transport to the island, he choose the 2
boatmen brothers Sù-Roung
and Sù-Yeng. Sù-Yeng is good and Sù-Roung is wicked.
Sù-Roung wants San-Houni’s
wife Tjeng-Si, so he has San-Houni murdered before her
eyes and entrusts Tjeng-Si
to an old woman living nearby. She too has seen her
husband killed by Sù-Roung.
Sù-Yeng urges them to escape now, while his brother
(whom he hates) is drunk. They
set off, then the old woman takes Tjeng-Si’s shoes and
sends her on ahead. She
places the shoes on the shore of a lake then drowns
herself. Tjeng-Si continues
walking until she suddenly gives birth to a boy. A nun
finds her, agrees to
welcome her in the temple but not the baby, who must be
abandoned. Tjeng-Si tatooes
the name San-Syeng on the boy’s arm, hides a ring in his
clothing, then they leave
the baby in the street of a nearby town. Le savant San-Houni, ami intime de
Sùn-Hyen, avait dû à cette amitié même
une condamnation à l'exil. Il lui fallut donc quitter la
capitale de la Corée,
et il éprouva d'autant plus de regrets, que sa femme
Tjeng-Si, dont il n'eut
voulu se séparer à aucun prix, était dans un état de
grossesse très-avancé.
Mais à quoi servent l'innocence et les regrets, quand un
premier minisire a
réussi à vous rendre odieux au monarque! San-Houni était
banni, il dût se
mettre en route pour l'île de Ko-Koum-To, qui lui avait
été assignée comme lieu
de résidence. C'était un assez long voyage. Il y avait à
faire une traversée de plusieurs
jours. Des particuliers se chargeaient, moyennant une
redevance, de transporter
les voyageurs à destination. San-Houni se mit en quête
d'un batelier. Son choix
ne fut pas heureux. Le plus violent contraste existait
entre le caractère de Sù-Roung
et celui de Sù-Yeng, les deux frères avec qui San-Houni
avait fait prix pour la
traversée. Il devait en résulter les plus grands
malheurs. Tant qu'on fut en face des côtes, tout
alla bien. Mais lorsque nos
voyageurs furent en pleine mer, le sinistre Sù-Roung
dévoila ses projets. — Je suis épris de la femme de votre
passager, dit-il à son frère. Il me la
faut. Le mari me gène. Je le supprimerai. — Vous êtes insensé, répliqua Sù-Yeng.
Croyez-vous que je laisse jamais
s'accomplir un pareil forfait. — Ah, oui, vous êtes jaloux de moi, cria
Sù-Roung furieux. — Pas le moins du monde, mais vos projets
me révoltent. Sù-Roung n'insista pas. Cependant il était
facile de voir qu'il n'avait
nullement renoncé à son entreprise. Ce qu'il y avait de plus terrible, c'est
que San-Houni et sa femme avaient
tout entendu. Grande était leur anxiété. Ils songeaient
avec épouvante au péril
qui les menaçait, et se demandèrent comment ils
pourraient bien y échapper. Ils n'eurent pas le temps de réfléchir
beaucoup. Sù-Roung venait d'appeler
les rameurs et leur dit: — Allons, saisissez-vous de cet homme et
de son domestique. Prenez leur
l'argent qu'ils ont sur eux, puis tuez-les. La femme
seule doit survivre. Sù-Yeng voulut intervenir : — Je comprends que vous leur preniez leur
argent, mais laissez-leur au
moins la vie sauve. — Mêlez-vous de vos affaires, s'écria
Sù-Roung irrité ; je suis le maître
ici. Je vous ordonne de vous retirer. Sù-Yeng dut obéir à cette injonction.
Aussitôt San-Houni et son domestique
furent mis à mort. Cet assassinat fut commis sous les
yeux-mêmes de la femme de
l'infortuné savant. Elle était folle de douleur. Ne
voulant pas survivre à son
époux, elle se précipita dans la mer en s'écriant : «
Malgré tout, je suivrai
mon mari ». Mais Sù-Roung enjoignit à ses matelots de
se jeter à l'eau pour ramener la
malheureuse. Au bout de quelques minutes, Tjeng-Si était
remontée saine et
sauve sur le bateau. Alors, l'assassin, jugeant inutile de
continuer à naviguer dans la
direction do Ko-Koum-To, fit virer de bord. Le bateau
revint à son point de
départ. Sù-Roung débarqué le premier, fit sur le champ
mander une vieille femme
à laquelle il dit : — Prenez une barque et rendez-vous abord
de mon bateau. Yous y trouverez
une dame que vous conduirez chez vous. Soyez très
aimable avec elle ;
prodiguez-lui les encouragements et les consolations,
car elle est très
affligée. La vieille se mit aussitôt en demeure de
faire ce que Sù-Roung lui avait
ordonné. Pendant ce temps, Sù-Roung débarquait son
butin. En signe de satisfaction,
il convia les complices de son crime à un festin. La
fête fut très animée. On
but énormément, et bientôt tous les convives furent en
proie à l'ivresse. Seul
Sù-Yeng avait conservé sa raison. Il avait été désespéré
de la tournure qu'avaient
prises les choses et de son impuissance à empêcher le
crime de s'accomplir.
Aussi résolut-il de profiter de la situation pour porter
secours, si c'était
possible, à la malheureuse captive de son frère. Il
quitta donc le festin, sans
qu'aucun des assistants s'en aperçut. D'un pas rapide,
il gagna le domicile
delà vieille femme. Au moment d'entrer, il s'arrêta pour
écouter ce qui se
disait et, au milieu des gémissements de Tjeng-Si, il
entendit ces paroles. — De quel pays êtes vous ? — De la capitale. —Vraiment.Tiens, moi aussi j'ai habité
Hpyeng-Yang. — Alors comment se fait-il que vous vous
trouviez ici ? La vieille femme (car c'était elle qui
conversait ainsi avec Tseng-Si)
poussa un profond soupir : — Hélas! si j'habite ici depuis dix ans,
c'est bien contre mon gré. Je suis
comme vous une victime de Sù-Roung, qui a assassiné mon
mari. J'attends l'heure
de la vengeance, mais elle est bien lente à venir ! Ce
monstre restera-t-il
donc toujours impuni ? Attendrie par ce récit, Tseng-Si, oubliant
son propre malheur, versa des
larmes de compassion. C'est à ce moment même que Sù-Yeng,
entrant dans la chambre où setrouvaient
les deux femmes, leur dit d'une voie émue : — Ne vous désespérez pas trop. Vous serez
peut-être bientôt délivrées.
Quelqu'un veille sur vous. C'est moi, qui ai horreur des
crimes de mon frère.
Ecoutez-moi. Si vous voulez vous enfuir, rien ne vous
est plus facile en ce
moment. — Est-ce possible ? Mais votre frère. — Ne craignez rien. Il est incapable pour
le moment de se mettre à votre
poursuite, car il dort, terrassé par l'ivresse. Mais il
n'y a pas une minute à
perdre. Vous qui connaissez le pays puisque vous
l'habitez depuis longtemps,
vous montrerez le chemin à Madame qui vient seulement
d'arriver. Tenez, prenez
cet argent; il vous permettra de vous nourrir en route.
Mais, encore une fois,
n'attendez pas davantage. Les deux femmes se jettent au pied de leur
sauveur et le remercient en
pleurant. Sù-Yeng les relève, et les presse de
nouveau de partir. Qu'elles prennent
l'avance, de façon à échapper à Sù-Roung, dont la colère
s'il les rattrappait
serait terrible. Cédant aux instances de Sù-Yeng, les deux
femmes se mettent en route. Leur
sauveur les accompagne quelque temps. Bientôt elles sont
seules. Elles marchent
aussi vite que leurs forces le leur permettent. Au bout
de deux heures,
Tjeng-Si fatiguée demanda à s'arrêter pendant quelques
instants. Sa compagne y
consentit volontiers. Les deux fugitives s'assirent pour
reposer leurs membres
fatigués. A un moment donné, la plus âgée des deux dit à
l'autre. — Je voudrais vous demander quelque chose?
— Parlez, que puis-je faire pour vous? — Eh bien, vous me feriez le plus grand
plaisir si vous consentiez à me
donner vos chaussures en échange des miennes. Cette demande parut très vivement
intriguer Tjeng-Si. Elle ne comprenait
pas dans quel but elle lui était faite. D'ailleurs la
vieille femme ne lui
laissa pas le temps de réfléchir. — Vous êtes, lui dit-elle, comme moi, très
fatiguée. Mais, vous êtes encore
jeune, par conséquent capable d'endurer de plus grandes
fatigues que moi, qui
suis déjà âgée. Partez en avant. Si Sù-Roung arrive — et
il ne peut tarder — je
lui dirai que j'ignore dans quelle direction vous êtes
allée. Remettez-vous
donc en route, mais laissez-moi vos souliers, si vous
voulez m'être agréable. Tjeng-Si se leva aussitôt. Elle remercia
sa compagne de son excellent
conseil, puis lui remit ses chaussures, sans comprendre
à quel mobile la
vieille femme obéissait en lui adressant cette demande.
Déjà elle s'éloignait,
quand la vieille lui dit encore : — Attendez, je vais vous indiquer la route
que vous aurez à suivre pour
échapper à Sù-Roung. D'abord, vous marcherez tout droil
devant vous. Arrivée à
une forêt de bambous, reposez-vous un moment. Ensuite
vous continuerez à marcher
jusqu'à ce que vous rencontriez un temple de la doctrine
de Ro-ja. A partir de
cet endroit vous serez hors de danger. Surtout
conformez-vous exactement à mes
indications. — Je suivrai vos conseils de point en
point. — C'est bien. Maintenant partez. Adieu. Quand Tjeng-Si se fut un peu éloignée, la
vieille femme se leva à son tour.
Prenant les souliers de sa compagne, elle se dirigea
vers un lac qui se
trouvait tout près de là. Elle déposa les souliers de
Tjeng-Si au bord de
l'eau, fit une courte prière entremêlée de pleurs et se
précipita dans les
flots. Cependant Tjeng-Si, tout en marchant,
avait entendu les dernières plaintes
de la vieille femme. Aussitôt, elle revint sur ses pas
et arriva à son tour au
bord du lac. Elle aperçut d'abord ses souliers placés en
évidence sur la rive,
puis le cadavre de la vieille femme flottant sur l'eau.
Ce spectacle la remua
jusqu'aux entrailles. —Pourquoi cette pauvre femme s'est-elle
noyée, se demanda-t-elle.
Serait-ce... Mais oui... Cette insistance à me demander
mes chaussures... La
malheureuse ! Elle avait déjà formé le projet de mourir
avant de me dire de
partir. Elle n'a pas voulu que sa mort fut inutile, et
c'est pour faire croire
à mon propre décès qu'elle a déposé mes chaussures au
bord de ce lac ! Infortunée
! Tu t'es dévouée pour moi. Puisses-tu en être
récompensée là-haut! Si elle n'eut écouté que son coeur,
Tjeng-Si fut restée encore longtemps à
se lamenter sur le sort de sa malheureuse compagne. Se
rappelant les
recommandations de cette dernière, elle se remit en
route. Bientôt elle arriva
à la forêt de bambous. A ce moment elle se sentit en
proie à une douleur
étrange. Elle tremblait, frissonnait, souffrant
atrocement. Elle comprit
qu'elle allait être mère. Terrible situation que la
sienne. Seule, loin de
tous, qu'allait-clle devenir ! La voilà qui a un fils.
Elle saisit le pauvre
petit être, le couvre de larmes et de baisers. — Pauvre enfant, lui dit-elle, que vais-je
faire de foi. Tu n'as plus de
père, et ta mère ne sait ellemême ce qu'elle va devenir.
Heureusement pour Tjeng-Si quelqu'un avait
entendu ses plaintes. C'était
une religieuse du temple dont lui avait parlé la vieille
femme. Cette
religieuse, ayant distingué des gémissements, s'était
dirigée du côté d'où ils
semblaient parvenir. Elle ne fut pas peu étonnée en se
trouvant en face d'une
femme qui venait de mettre au monde un enfant. Lui
prodiguant les premiers
soins, elle lui demanda à ia suite de quelles
circonstances elle était venue
accoucher en cet endroit ? Tjeng-Si raconta brièvement sa lamentable
histoire. La soeur fut
profondément émue en écoutant le récit de tant de
malheurs. Elle s'intéressait
vivement au sort de Tjeng-Si. — Que comptez-vous faire ? lui
demanda-t-elle. — Hélas ! je suis bien embarrassée. Seule,
sans ressources, comment
éléverai-je mon enfant ? Il va falloir que je
l'abandonne. Mais, je ne pourrai
vivre plus longtemps, et je suis décidée à mourir. — Ce serait très mal agir. Suivez plutôt
mon conseil. Donnez votre enfant à
quelque personne charitable, et venez vivre avec moi. — Je ne demande pas mieux. Mais pourquoi
ne voulez-vous pas me laisser
emmener mon fils ? — Parce que l’on ne reçoit pas d'enfants
chez nous. Certes, il est
douloureux pour vous d'abandonner cet enfant qui vient à
peine de naître. Mais,
puisque vous ne pouvez pas faire autrement, il faut vous
résigner. Si vous
continuiez votre route en portant votre fils, vous
retomberiez bientôt entre
les mains des brigands. Du reste, rien ne dit que vous
ne puissiez pas
retrouver un jour votre enfant. Devenu homme, il vous
aidera à venger son père.
Tjeng-Si fut bien obligée de se rendre aux
conseils de la religieusa. Elle
enveloppa tant bien que mal l'enfant, en lui faisant des
langes de ses propres
vêtements. Puis elle voulut qu'il y eut un signe qui lui
permit un jour de
reconnaître son fils. Elle prit le bras de l'enfant et,
à l'aide d'une
aiguille, elle traça sur ce bras des lettres formant le
nom de San-Syeng. Puis
elle repassa ces lettres avec de l'encre de Chine.
Enfin, détachant la bague
qu'elle portait au doigt, elle la glissa dans les langes
qui emmailloltaient
l'enfant. Cela fait, elle se mit en route avec la soeur.
Elles devaient d'abord
aller jusqu'à la ville voisine déposer l'enfant au coin
d'une rue, puis revenir
au temple. Bientôt Tjeng-Si aperçut les premières
maisons de la ville où elle
devait se séparer de son fils. Ainsi, cet enfant dont
elle et son mari avaient
depuis si longtemps souhaité la naissance, il lui
fallait l'abandonner, comme
si elle eut été une mère dénaturée ! En quelques jours
elle avait épuisé la
coupe des malheurs. Son mari assassiné sous ses yeux ;
son fils laissé au coin
d'une rue. Tous ces sentiments agitaient convulsivement
le coeur de la pauvre
mère. Plus morte que vive, elle déposa à terre son
enfant après l'avoir embrassé
une dernière fois. Faisant un dernier appel à son
courage, elle s'éloigna en
versant des larmes abondantes, que les vagissements du
pauvre petit venaient
encore redoubler. Elle marchait avec beaucoup de peine,
brisée par tant d'émotions et de
chagrins. La religieuse écoutait ses plaintes, se
sentant elle-même émue
jusqu'au fond du coeur. — Priez le ciel, dit-elle à Tjeng-Si. Vous
retrouverez un jour votre fils.
Oui, il vous sera rendu quand il sera homme. Je vous en
donne l'assurance.
Mais, résignez-vous à cette longue séparation ; prenez
courage. |