Le Bois Sec Refleuri Traduit par Hong-Tjyong-Ou II. Sùn-Hyen
and his wife arrive on the
island (now called Kang-Tjyen). Until now childless,
here the wife gives birth
to a daughter, named Tcheng-Y, and dies 3 days later.
Heartbroken, Sùn-Hyen
sheds so many tears that he goes blind. Nothing is said
of the following years
until Tcheng-Y is 13 and begging food from neighbors.
Sùn-Hyen tells her what
happened. She goes begging as usual, is late coming
home. Her father, anxious,
goes out looking for her and falls into a lake. He is
rescued by the pupil of a
local hermit who tells him that his sight and fortunes
will be restored in 3
years (and will become prime minister) if he prays to
Tchen-Houang (Heavenly
Emperor). If he gives him 300 sacks of rice he will pray
in his place. He tells
Tcheng-Y about this, and she soon after agrees to sell
herself to merchants going
across the sea to China who need a young girl to
sacrifice to obtain a safe
journey. They provide the rice at once. Three months
later, they come to fetch
her and she has to tell her father. The merchants are so
touched by their grief
that they give another 100 sacks. After arranging for
her father to be cared
for, she sets out with the merchants. Le transport de Sùn-Hyen et de sa femme
dans l'île de Kang-Tjyen, s'était
effectué rapidement. Ils ne tardèrent pas à se trouver
seuls sur la terre de
l'exil, leurs surveillants étant retournés dans la
capitale. Ce qui chagrinait surtout Sùn, c'était
l'idée que sa femme allait s'ennuyer
à mourir, en cet endroit désert. Il en parla à son
épouse, qui lui répondit
avec beaucoup d'amabilité: « Soyez sans inquiétude à mon
sujet. Décidée à vous
suivre partout où vous irez, je ne trouverai jamais le
temps long, tant que je
serai avec vous. » Effectivement les jours s'écoulèrent pour
nos deux exilés, aussi vite que
s'ils avaient vécu au milieu de leurs parents et de
leurs amis. Bientôt la
belle saison annonça son retour. Sun dit un jour à sa
femme : — Voici déjà le printemps. Il fait beau
aujourd'hui. Si nous en profitions
pour aller faire une excursion ? — Avec plaisir mon ami. — Eh bien ! allons dans la montagne. Les voilà partis. A les voir, on ne dirait
pas qu'ils ont été accablés par
l'adversité. Ils se laissent aller tout entiers au
charme du paysage qui les
environne, et se sentent l'àme délicieusement émue.
Madame Sùn, surtout semble
au comble du bonheur. — Comme tout est tranquille, dit-elle à
son mari. J'éprouve un vrai plaisir
à me promener ainsi seu]e avec toi. Quand nous habitions
la capitale, je ne
pouvais l'accompagner dans tes promenades. — Tu as raison ; j'étais obligé de me
conformer à l'habitude reçue. — Nous voici au pied de la montagne,
dit-elle encore. Quel admirable
panorama se déroule devant nos yeux ! Contemplons-lé un
instant. Le souffle
poétique envahit mon âme. Ecoute ces strophes : « Le temps est beau ; le feuillage touffu
cache les fleurs, Que les papillons cherchent avidement. On
dirait qu'ils comptent les
feuilles. Le serpent engourdi par la chaleur, est
voluptueusement couché dans les
branches. La grenouille sautille sur les branches
des saules et se laisse bercer par
le vent. Le rossignol vole de tous côtés, happant
au passage les mouches qu'il porte
à sa nichée. » . — Oui, ajouta-t-elle, ces animaux sont
plus heureux que nous. — Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
demanda Sun. — C'est que ces animaux ont une
progéniture, tandis que nous, nous sommes
privés d'enfants. — Console-toi, ma chère. Nous ne sommes
pas encore à un âge où une union ne
peut plus être bénie. Aie confiance dans l'avenir. Mais,
je crois qu'il est
temps de rentrer. Le soleil, est à son déclin, et tu
dois être fatiguée. Les deux époux regagnent lentement leur
demeure, tous deux très rêveurs. A
quelque temps de là, l'épouse de Sun fil un rêve. Elle
vit la lune se détacher
du firmament et venir se poser sur son propre corps.
Réveillée en sursaut par
l'étrangeté de cette vision, elle alla immédiatement
l'apprendre à son mari. — Oui, dit celui-ci, c'est assez bizarre.
Mais n'aie aucune inquiétude.
C'est la fatigue qui t'a occasionné ce cauchemar. La vérité était que la noble dame portait
un enfant dans ses flancs. Elle ne tarda pas en effet, à mettre au
monde une fille à laquelle on donna
le nom de Tcheng-Y. Sùn était au comble de la joie.
Malheureusement sa femme
tomba gravement malade. Bientôt il n'y eut plus d'espoir
de la sauver, et le
médecin dut se contenter d'adoucir les souffrances de la
malade. Trois jours à
peine s'étaient écoulés depuis la naissance de la petite
Tcheng-Y, que sa mère
quittait ce monde. Elle avait très bien senti les
approches de la mort, et quelques
instants avant d'expirer elle avait dit à son mari : — Mon cher ami je vais te quitter. Je sais
que ton chagrin sera immense,
mais je te prie de ne pas trop l'abandonner à la
douleur. Avant tout il faut
songer à notre enfant et tu devras lui chercher une
nourrice. D'un suprême effort, la moribonde attire à
elle le petit être, et lui donne
le sein : « Hélas, dit-elle, avec un profond soupir,
c'est la première et la
dernière fois que je t'ai ainsi près de moi. » Cependant Sùn, en proie à la plus profonde
douleur disait à son épouse : — Ma chère femme, est-il vrai que tu
veuilles me quitter ? Nous avons
toujours protégé les malheureux, et les dieux nous
laissent accabler par la
mauvaise fortune. C'est vraiment trop d'injustice. Sa femme n'entendit pas ces derniers mots.
Déjà la mort avait posé sa main
sur elle. Sùn s'en aperçut, mais n'en voulut pas d'abord
croire ses yeux. Il
appelle son épouse avec des pleurs dans la voix, mais
hélas ! ses paroles
restent sans réponse. — Me voilà donc seul, s'écrie-t-il, au
comble du désespoir. Que
deviendrai-je, avec cette enfant? Il cherche sa fille du regard, et la voit
encore suspendue au sein de sa
mère. Cette vue redouble la douleur de Sùn. Il prend la
pauvre enfant, et, la
confie aux soins d'une nourrice. Puis, à moitié fou, il
dut s'occuper de
l'ensevelissement de sa femme. Tout cela s'était passé si vite, que Sùn
croyait avoir rêvé. Il lui fallait
bien cependant se rendre à la triste évidence. Chaque
jour on le voyait se
diriger vers l'endroit où reposait sa femme. Ces visites
fréquentes
entretenaient son chagrin, et sa douleur ne pouvait se
calmer. Notre héros toujours en pleurs, ne pouvant
trouver aucun repos, vit bientôt
fondre sur lui un nouveau malheur. Pour avoir versé trop
de larmes, Sùn devint
aveugle. Ce coup terrible ne le terrassa pas. Il
continua à mener la même vie. Son
plus grand regret était de ne pouvoir contempler les
traits de sa fille. C'est
que Tcheng-Y grandissait. Elle venait d'atteindre sa
treizième année, et
c'était elle qui était obligée de pourvoir à l'entretien
de son père infortuné,
privé de toute ressource. Elle n'avait qu'un moyen pour
empêcher Sùn, de mourir
de faim, c'était de mendier. Elle accomplissait ce
triste devoir sans fausse
honte. Cependant son intelligence s'éveillait. Un jour
elle dit à son père : — Il y a quelque chose qui me frappe, et
que je ne comprends pas bien. — Qu'est-ce donc, mon enfant ? — Eh ! bien, mon père, pourquoi, tandis
que les autres vivent au milieu de
leurs parents et de leurs amis, sommes nous ainsi
réduits à la solitude ? — Hélas ! ma fille, il est bien vrai que
nous sommes abandonnés à
nous-mêmes. Il n'en a pas toujours été ainsi. Il fut un
temps où j'habitais la
capitale avec ta pauvre mère, et où nous étions entourés
d'un cercle de parents
et d'amis. J'occupais une haute situation. Notre famille
appartient à la
meilleure noblesse, et a toujours entretenu de très bons
rapports avec la cour
royale. Mais un jour, à la suite d'une dénonciation
calomnieuse, le roi me
croyant coupable, m'exila ici. Mon ami San-Houni,
compromis dans la même
affaire, dut s'exiler à Ko-Koum-To. Il a partagé mon
malheur, car lui aussi
descend d'une excellente famille. Je songe avec chagrin
que depuis mon arrivée
dans cette île, je suis sans nouvelle de mon vieil ami.
— C'est que sans doute, il ne lui est pas
possible de communiquer avec
vous, dit l'enfant pour consoler le vieillard. Elle
ajouta: Excusez-moi, mon
père, il est temps que je sorte pour travailler. — Va, mon enfant ; et rentre de bonne
heure. La petite Tcheng-Y, s'éloigna d'un pas
rapide. Elle se rendit d'abord au
cimetière pour prier un instant sur la tombe de sa mère.
Tcheng-Y était aussi
travailleuse qu'intelligente. Elle consacrait ses nuits
à l'étude, et le jour,
elle allait de maison en maison pour recueillir des
aumônes. Souvent, dans ses
rêveries, elle songeait à sa mère qu'elle n'avait jamais
eu le bonheur de
connaître. Un jour, elle était allée comme d'habitude
pleurer sur la tombe de celle
qui lui avait donné le jour. Elle s'y était attardée, et
n'était pas rentrée à
la maison à la même heure que d'habitude. Sùn, ne voyant pas revenir sa fille était
très-inquiet. À la fin, il
résolut d'aller à la rencontre de Tcheng-Y. S'appuyant
sur son bâton, il se mit
en route. Malheusement, arrivé au bord d'un lac qui se
trouvait près de là, il
fit un faux pas, et tomba à l'eau. Sùn poussa un cri de détresse, et se mit à
se lamenter. — Me voici voué à une mort certaine,
disait-il, et ma pauvre fille qui me
cherche peut-être de tous côtés ! Par bonheur, les gémissements du
malheureux homme furent entendus par le
disciple d'un anachorète qui vivait retiré dans la
montagne, à peu de distance
du lac. Il accourut et retira Sùn de l'eau. Il lui
demanda : — Où habitez-vous ? — Tout près d'ici. — Mais comment se fait-il que vous sortiez
seul, étant aveugle? Vous vous
exposez ainsi aux plus grands dangers. — Oui, je le sais. Aussi je ne sors jamais
seul. Aujourd'hui je me suis
hasardé hors de ma maison pour aller au devant de ma
fille. Celle-ci n'est pas
rentrée à l'heure habituelle, et alors je me suis mis en
route. Voilà comment
je suis arrivé à tomber dans le lac, dont je ne serais
plus jamais sorti, sans
votre intervention. Vous m'avez sauvé la vie. — Je n'ai fait que mon devoir, dit le
disciple. Il prit Sùn par le bras, et l'accompagna
jusqu'à sa demeure. En route il
lui demanda : — Ajouterez-vous foi, à ce que je vais
vous dire. — Certainement. —Eh ! bien, je vous prédis, ou plutôt je
lis sur votre visage, que vos
malheurs ne dureront pas toujours. Dans trois ans vous
recouvrerez la vue, et
de plus vous deviendrez premier ministre. Aucune fortune
n'égalera la vôtre.
Pour atteindre ce but, il vous faudra prier Tchen-Houang
(l'empereur du ciel). — Ai-je bien entendu, demanda Sùn au
comble de l'étonnenicnt et de la joie.
—- Rien n'est plus vrai, répondit
gravement le disciple. — Mais que dois-je faire, renseignez-moi !
— I! faut que vous me donniez trois cents
sacs de riz. Je prierai à votre
place. — Hélas ! je ne puis vous donner ce que
vous me demandez. — Cela ne fait rien ; je ne demande pas la
livraison immédiate de ces trois
cents sacs. Il suffit que vous preniez l'engagement par
écrit, de vous
acquitter quand vous en aurez les moyens. — J'accepte, à ces conditions, reprit Sùn.
Le disciple lui tendit un livre,
sur lequel le pauvre aveugle apposa sa signature. — Je suis forcé de vous quitter, dit alors
le disciple. — Alors, au revoir, et à bientôt. Resté seul, Sùn rélléchit à ce que lui
avait dit le disciple. La
perspective de revoir la lumière du jour, et d'arriver
au faite des honneurs,
remplissait son àme d'une douce émotion. D'autre part,
l'obligation de fournir
trois cents sacs de riz, diminuait considérablement sa
joie. Lui dont la fille
était obligée de mendier pour ne pas le laisser mourir
de faim, n'arriverait
jamais à remplir l'engagement qu'il avait contracté. Il
regrettait même d'avoir
donné une promesse qu'il ne pourrait jamais tenir. Sùn, fut tiré de ses rêveries par
l'arrivée de sa fille. — D'où, vous vient cette mélancolie, mon
père? demanda l'enfant. Est-ce
parce que je suis en retard aujourd'hui, que vous
semblez si triste ? —Je vous demande mille fois pardon.
J'étais allée au cimetière, et de là,
recueillir des aumônes. On m'a donné quelque nourriture,
comme vos doigts vous
permettront de le constater. M'avez-vous pardonné ? — Ce n'est pas toi, ma chère enfant qui me
rend triste. Ecoute, ce qui
m'est arrivé. Ne te voyant pas revenir, et pris
d'inquiétude, je voulus aller à
ta rencontre. En route, je tombai dans un lac, et me
croyais perdu, quand je
fus sauvé par le disciple d'un anachorète. Cet homme me
ramena ici, et me dit
pendant que nous marchions : « Je vous prédis que vous
cesserez d'être aveugle
et que vous deviendrez un jour premier ministre du roi »
. Malheureusement je
devrai fournir trois cents sacs de riz et ne pourrai
jamais le faire. Voilà ce
qui me rend triste. — Ne vous inquiétez pas trop mon père. Je
tâcherai de trouver un moyen qui
vous permette de tenir votre promesse. Après le repas, la jeune fille remonta
dans sa chambre. Elle se mit à
réfléchir à ce que lui avait raconté son père. Ne
pouvant réussir à s'endormir,
elle sortit et alla prendre un bain dans la rivière.
Après cela, elle se mit en
devoir de dresser dans le jardin la table des
sacrifices, sur laquelle elle
plaça un vase rempli d'eau. Elle alluma encore des
brûle-parfums, ainsi que
deux lumières, et commença à prier le ciel. Ses prières
se prolongèrent jusqu'à
la pointe du jour. Alors seulement Teheng-Y, rentra dans sa
chambre. Brisée par la fatigue,
elle s'endormit presque aussitôt. Elle rêva qu'un
vieillard lui disait : « Tout
à l'heure il passera quelqu'un près de vous. Cette
personne vous proposera
quelque chose. N'hésitez pas à accepter car c'est une
occasion unique » . A son réveil, l'enfant se rappelant ce
rêve, demeura longtemps pensive. Et
cependant, le songe allait bientôt se réaliser.
A l'époque où se passe cette histoire, des
marchands coréens traversaient
chaque année pour les besoins de leur commerce, la mer
Jaune qui s'étend entre la
Chine et la Corée. La traversée était très-difficile à
cause de la rapidité du
courant en un certain endroit. A chaque voyage on avait
à déplorer la perte de
quelque bateau. Croyant écarter le danger, les marchands
avaient recours à une
pratique très-ancienne, très-barbare. Dans chaque ville
où ils s'arrêtaient,
ils achetaient une jeune fille. Celle-ci était
précipitée dans les flots, et on
pensait avoir ainsi conjuré le péril. Or, ce jour là, Tcheng-Y, à peine sortie
de chez elle, recontra précisément
un de ces marchands, à la recherche d'une victime
humaine. Ce marchand demanda
à la jeune fille, si elle ne savait pas, où il pourrait
trouver ce qu'il
cherchait. À cette demande Tcheng-Y répondit : — Vous n'avez pas besoin d'aller plus
loin. Si vous voulez me prendre,
j'accepte de remplir le rôle dont vous m'avez parlé. Que
me donnerezvous en
échange de ma vie? — Tout ce que vous exigerez. — Et si je vous demandais trois cents sacs
de riz? — J'accepterais le marché. Mais, j'ai des
associés. Il faut que je
m'entende avec eux, et je ne pourrai vous rendre réponse
que dans quelques
jours. — J'attendrai donc. — À bientôt dit le marchand. Heureuse d'avoir conclu cette affaire si
grave pour elle, la jeune fille
attendit impatiemment le retour du marchand. Un matin,
elle le vit se diriger
vers la maison qu'elle habitait. Aussitôt elle alla à sa
rencontre. — L'affaire est-elle conclue? lui
demanda-t-elle sans trahir la moindre
émotion. — Oui, Mademoiselle. Vous aurez vos trois
cents sacs de riz. Les voulez-vous
sur le champ. — Mais oui, avec plaisir. Cependant,
attendez un moment. Il faut que
j'aille prévenir mon père. Tcheng-Y rentra dans la maison. Elle ne
savait comment s'y prendre pour
faire part à son père de sa fatale détermination. Lui dire la vérité, se disait-elle, c'est
le condamner à mourir de chagrin.
Je me rappelle son inquiétude, le jour où je fus un peu
en retard. Que sera-ce
s'il ne me voit pas revenir. Mais le voilà... La jeune fille se jette au coude son père
et lui dit d'une voix joyeuse : — Mon père, j'ai trouvé un moyen de vous
procurer les trois cents sacs de
riz que vous avez promis au disciple. Faisons d'abord
venir votre débiteur. Quand le disciple fut là, Tcheng-Y le
conduisit chez le marchand et lui fit
remettre les trois cents sacs de riz. Elle lui demanda
en échange le papier
signé par son père, et après l'avoir remercié de ce
qu'il avait sauvé la vie à
Sùn-Hyen, elle le pria instamment de continuer ses
prières à Tchen-Houang, en
faveur de i'aveugle. Le disciple s'y engagea et prit
congé de la jeune fille. Celle-ci toute radieuse de son sacrifice,
courut retrouver son père. Elle
lui remit rengagement qu'il avait signé. — D'où tiens-tu cette pièce? demanda Sùn.
— Du disciple, auquel j'ai fait donner les
trois cents sacs de riz que vous
lui aviez promis. — Mais, comment t'es-tu procuré tout ce
riz, ma fille ? — D'une façon bien simple. Je me suis
vendue, l'autre jour? — Que dis-tu ! Ah ! malheureuse, tu veux
donc ma mort? — Ne vous chagrinez pas ainsi, mon père,
et laissez-moi aller jusqu'au bout
de ce que j'ai à vous dire. Il est vrai que je me suis
vendue, mais je n'irai
pas loin d'ici, et pourrai vous voir tous les jours.
Vous n'avez donc pas lieu
de vous désoler. C'est avec la plus grande joie que j'ai
fait le sacrifice de
ma liberté afin d'assurer votre bonheur. Quand nous
aurons ramassé assez
d'argent, je rembourserai le prix du riz, alors,
redevenue libre, rien ne
m'empêchera de rester à jamais auprès de vous. La jeune fille, heureuse d'avoir rassuré
un moment son père, courut ensuite
chez le marchand, s'informer de la date de son départ. Le marchand lui répondit qu'on ne
s'embarquerait pas avant trois mois.
Durant tout ce temps la jeune fille fut constamment
préoccupée de l'état de
dénûment clans lequel son père allait se trouver après
son départ. Qu'allait
devenir le pauvre aveugle seul et sans ressources? Cotte
pensée hantait nuit et
jour l'esprit de Tcheng-Y. Aussi, dans sa pitié filiale
s'efforçait-elle de
ramasser quelqu'argent et quelques provisions qui
permissent à l'aveugle de
vivre sans soucis pendant quelque temps. Bientôt les trois mois furent écoulés. Le
marchand vint rappeler sa
promesse à la jeune fille. Celle-ci lui demanda à parler
une dernière fois à
son père, auquel elle n'avait pas encore révélé la
triste vérité. Le marchand y
consentit volontiers et accompagna même Tcheng-Y. — Mon père, dit celle-ci à l'aveugle, il
faut que je vous quitte. — Me quitter ma fille, et où veux-tu
aller? — Mon père, je vous ai trompé l'autre
jour. Ce n'est pas ma liberté, c'est
ma vie que j'ai donnée en échange des trois cents sacs
de riz que vous deviez
au disciple. Oui, je me suis vendue, corps et âme, et je
dois aller au fond de la
mer Jaune prier les dieux d'accorder une traversée
favorable aux navigateurs. Tcheng-Y avait tendrement enlacé son père
pour lui faire ce fatal aveu.
Néanmoins, l'aveugle ne put supporter cette secousse, et
tomba évanoui. Quand il fut un peu revenu à lui, il dit
d'une voix qu'on entendait à peine
: « Malheureuse enfant, est-il bien vrai que tu veuilles
aussi m'abandonner?
Faudra-t-il qu'après avoir vu mourir ta mère, je te voie
disparaître de la
terre avant moi ? Dis-moi que ce n'est pas vrai, ma
fille ! Dis-moi que c'est
un rêve ! Regarde ton vieux père aveugle, et songe à ce
qu'il deviendrait s'il
ne t'avait plus ! Non, n'est-ce pas, tu ne veux pas
mourir ! » . Sùn-Hyen éclate en sanglots. Sa fille
essaye vainement de retenir ses
propres larmes. Elle aussi, pleure et sent son coeur
brisé. Le marchand témoin
de cette scène est lui-même ému par ce spectacle
déchirant. Il attire à lui la
jeune fille et lui dit. « Je vous donnerai encore cent sacs de
riz, et nous ne partirons que dans
trois jours » . Tcheng-Y le remercia avec effusion, et le
reconduisit jusqu'à la porte.
Puis, quand elle fut en possession des cent sacs de riz,
elle alla trouver le
premier magistrat de la ville. Celui-ci consentit à se
charger de l'entretien
du vieil aveugle, en échange des cent sacs de riz qu'il
reçut en dépôt. Jusqu'au moment où le marchand revint la
chercher, la jeune fille ne quitta
plus son père, tâchant de lui prodiguer les plus douces
consolations. Quand
l'heure de la séparation sonna, ce fut déchirant.
Sùn-Hyen, s'attachant
désespérément à sa fille disait en sanglotant : « Je
veux mourir avec toi ; je ne
te laisserai pas partir seule » . Les cris du pauvre
aveugle avaient attirés de
nombreux voisins, qui pleuraient eux-mêmes devant ce
spectacle. A la fin le
marchand, saisissant la jeune fille lui dit : — Allons partons. Accablé par la douleur, Sùn s'affaissa, ce
qui rendit la jeune fille libre
de ses mouvements. — Adieu, mon père, lui dit-elle. Calmez
votre douleur. Nous nous
retrouverons dans un monde meilleur où rien ne manquera
à notre bonheur. Tcheng-Y s'éloigna alors, après avoir
renouvelé ses recommandations au
premier magistrat. Ce dernier resta quelques moments
auprès de l'infortuné père
et essaya de le consoler, sans pouvoir y réussir. |